« Ce n’est rien de nouveau mais une suite aux tableaux du XVIIIème siècle. Fragonard en moins bien. » déclarait Auguste Renoir lorsqu’il parlait de sa propre peinture. Venant du maître, la phrase impressionne…

Par leur aspect intime et leurs couleurs chaudes rosées, de nombreuses œuvres de ce bouillonnant 18ème ont su plaire et même fait de l’ombre à la grande peinture d’histoire. Le rococo est un véritable hymne à l’intime. Watteau, Boucher ou encore Fragonard sont les artistes qui ont su capter les jolies choses avant que la Révolution française éclate. Après un entretien sur l’art durant la Renaissance avec Thomas Bohl, Conservateur du patrimoine au Musée du Louvre, et sur l’art au XVIIème siècle avec Nicolas Milovanovic, Conservateur en chef, département des peintures au Musée du Louvre, nous avons rencontré Guillaume Faroult – autre Conservateur au Musée du Louvre afin d’en savoir plus sur cette fameuse peinture du XVIIIème siècle.

Cet entretien est le 3ème en partenariat avec le célèbre musée français.

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Peut-on dire que c’est à la mort de Louis XIV en 1715 que la peinture du XVIIIème siècle émerge enfin ?

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D’une certaine façon oui. La fin du règne du roi soleil voit un changement notamment en ce qui concerne les commandes officielles de peinture. Les caisses étant vides et les grands chantiers achevés les décors des châteaux de Versailles et de Marly, des artistes comme Lafosse ne sont plus sollicités. Certains vont donc s’adapter et accepter de nouvelles commandes. La peinture allégorique typique du règne de Louis XIV n’est par conséquent plus hégémonique. Les peintres réalisent alors des œuvres plus décoratives ou sur des sujets en lien avec les divertissements modernes tel que le théâtre de foire. Les fêtes galantes, dont Watteau est le grand illustrateur, sont également peintes. 

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Le rococo élimine-t-il totalement le classicisme ?

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Le terme d’étiquette rocaille est plus commode car utilisée en partie dès les années 1730. Les artistes parlent même de « goût moderne ». Cependant, les grands genres et la peinture allégorique ne disparaissent pas totalement. Jusque dans les années 1750, tout en réalisant de l’art « rocaille », des artistes produisent toujours des peintures d’histoire chères à Le Brun. Louis Galloche est le parfait exemple d’artiste qui peint de la fin du XVIIème siècle jusque dans les années 1740. Il fait la fusion entre le style de Charles Le Brun et celui de François Lemoyne.

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Le rococo est-il un phénomène qui se diffuse ailleurs en Europe ? On parle même de rococo frédéricien.

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Rococo est d’ailleurs un mot venu d’Allemagne et d’inspiration italienne. Séduit par ce nouvel art venu de France, Frédéric II de Prusse engage des artistes français et allemands fortement influencés par le mouvement.

Le foyer parisien reste prédominant dans l’art européen. Dès 1720-30, la ville devient même le grand centre de la gravure. Sous l’influence d’artistes comme François Boucher, l’illustration est très recherchée.

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La peinture du XVIIIème siècle montre des paysages joyeux voire enchanteurs peuplés d’aristocrates-paysans. Est-ce une forme d’évasion ?

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L’ère est à la fantaisie. A l’époque du peintre Watteau, des fêtes s’organisent où l’on n’hésite pas à se déguiser en bergers. Le modèle du paysan s’impose bien plus tard avec notamment la reine Marie-Antoinette à Trianon.

Les fêtes galantes imaginées par Watteau s’inspirent indirectement des véritables fêtes organisées sous le règne de Louis XIV. Une partie des participants se travestissaient en bergers d’Arcadie.

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« Nous avons des sentiments avant des idées » écrit Rousseau. En quoi les peintres du XVIIIème siècle apportent des idées de liberté dans les sociétés européennes ?

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Avant de mentionner Rousseau, il faut parler de Fontenelle car c’est un écrivain qui a inspiré Watteau. La vie intellectuelle a été perçue comme subordonnée à la vie sensorielle. Les peintres sont influencés par les débats qui ont lieu à Paris et donnent alors une prégnance aux sensations. Dans le domaine artistique, nous parlons de la querelle du coloris. Le débat apparaît dès les années 1670 mais à l’époque de Watteau, c’est le courant coloriste qui domine le monde de l’art. Le clair-obscur et les couleurs sont alors valorisés.

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Que ce soit avec François Boucher ou Fragonard, le rococo montre beaucoup voire trop… Est-ce justement une des raisons du succès de ce mouvement ?

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Je ne pense pas que les peintres du rococo montrent plus voire trop, notamment si on les compare à leurs devanciers, Poussin ou le Brun par exemple. La peinture d’histoire ou religieuse n’a aucun scrupule à montrer la nudité des corps.

Cependant, il est vrai que certains critiques d’art sont offusqués devant des peintures montrant des femmes aux postures provocantes. Les artistes répondent aux demandes de leur temps. Dès la Régence, le royaume de France retrouve une certaine prospérité économique. Par conséquent, la société souhaite en jouir. « Le Mondain », poème écrit en 1736 par Voltaire, fait scandale car il expose l’homme à la fois individualiste et jouisseur. L’amour y est même présenté comme l’un des grands savoir-faire français.

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La peinture érotique complète-t-elle les textes amoureux d’écrivains du XVIIIème siècle ?

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La peinture a pu également inspirer les écrivains.

« Diane sortant du Bain » (1742) par François Boucher est un bel exemple de peinture érotique.

L’artiste mêle mythologie antique et sensualité. C’est une œuvre qui est proche de l’inspiration licencieuse : Diane est quasiment nue mais il y a tout de même de la retenue ce qui permet au tableau est d’être exposé publiquement.

« L’Odalisque brune » (1745) est une autre œuvre de Boucher qui va plus loin dans l’érotisme car le fessier est clairement exposé.

Il s’agit probablement d’une commande venant de Monsieur de La Popelinière, riche fermier général et grand mécène de Rousseau et de Rameau. Il est probable ce célèbre libertin a demandé à Boucher de s’inspirer d’un épisode d’un roman érotique écrit par Jolyot de Crébillon, « Le Sopha ». Une femme est allongée sur un lit et l’histoire suggère qu’elle se masturbe. La Popelinière écrit de plus à la même époque un autre roman « Tableau des mœurs du temps ». Les fesses féminines sont une véritable obsession pour le mécène écrivain. La peinture et la littérature s’inspirent mutuellement. Le texte de La Popelinière va être édité en trois exemplaires seulement pour un lectorat strictement « happy few ». 

Diderot a écrit que l’exposition de « L’Odalisque » est un scandale. Il est de mauvaise foi car Diderot a probablement dû voir « Diane sortant du Bain » en gravure ou dans l’intimité mais absolument pas publiquement.

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Pourquoi Diderot va-t-il s’opposer à l’art de la galanterie ?

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Diderot commence pourtant sa carrière d’écrivain avec des romans libertins notamment « Les Bijoux indiscrets » (1748). A partir des années 1750, il se lance dans l’aventure de l’Encyclopédie. Alors qu’il publie cet écrit qui dénonce le conservatisme de son époque, Diderot est critiqué pour ses textes antérieurs. Pour se défendre, le philosophe va alors fustiger l’art libertin et va prôner l’amour conjugal. En 1765, Diderot fait allusion au tableau de Boucher « L’Odalisque ».

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La peinture du XVIIIème siècle expose-t-elle également des scènes de viol ?

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Nous pouvons interpréter cet aspect avec le célèbre tableau de Fragonard « Le Verrou » (1777).

Le XVIIIème siècle est une période ambigüe : Dans les conventions de comportements, une dame qui est consentante pour un rapport sexuel avec un homme qui n’est pas son époux doit tout de même montrer un désaccord. Les romans de Crébillon révèlent d’ailleurs ces aspects. Cependant, à l’époque de Fragonard, ce système est questionné. L’opinion publique et les intellectuels prennent enfin en compte que certaines dames disent non et sont sincères.

« Le Verrou » est une œuvre mystérieuse et complexe. Deux amants enlacés s’enferment dans une chambre. La dame semble en désaccord. Ce qui peut faire penser que le tableau montre une scène de viol.

Fragonard va continuer sa réflexion avec deux autres tableaux : « L’Armoire » et « Le Contrat ». Dans la première toile, l’amant tente de se cacher dans une armoire et est trouvé par les parents de la femme. La dernière œuvre montre les deux amants signant un contrat de mariage. Il s’agit d’une bonne conclusion selon la morale conventionnelle de l’époque puisque Fragonard suggère que la dame était consentante.

Il semble que « L’Armoire » devait répondre au « Verrou » depuis le début. « Le Contrat » est peint bien plus tard dans une période critique. Le roman épistolaire « Les Liaisons dangereuses » (1782) a fait sensation et le libertinage est remis en question. Fragonard peint le troisième tableau avec sa belle-sœur Marguerite Gérard. Il est possible que Fragonard réalise une trilogie suite au succès des deux premiers tableaux. On peut relever néanmoins que « Les Liaisons dangereuses » est réédité plus tard avec les illustrations de Marguerite Gérard.

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Le portrait connaît un franc succès au XVIIIème. Peut-on dire que c’est le siècle de l’individu ?

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L’art se coordonne parfaitement avec les réflexions de son époque. Le XVIIIème siècle favorise des portraits plus intimistes. L’artiste François Desportes ne va pas hésiter à se représenter en chasseur et non en peintre.

C’est une œuvre qui fait certes allusion à ses fonctions de peintre animalier mais aussi aux goûts de ses clients.

Le Duc de Chaulnes, grand scientifique, a lui-même été présenté à demi-nu sous les traits d’Hercule.

Le peintre Jean-Marc Nattier donne ici une grande place à la fantaisie. De nos jours, c’est une œuvre qui peut fait sourire. Je pense qu’au XVIIIème siècle, elle avait déjà cet aspect fantaisiste.

La belle jardinière, à mi-chemin entre la bergère du roman « L’Astrée » (1607-1627) et Marie-Antoinette paysanne, est également un modèle artistique apprécié à l’époque. Dès les années 1750, Rousseau prône au retour à la terre. Cultiver soi-même son jardin est une activité qui est valorisée à l’époque des Lumières.

Drouais est le peintre spécialiste des portraits des belles dames à la toilette. Il peut s’agir d’aristocrates citadines mais également des jardinières.

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La Révolution française a-t-elle mise de côté le rococo ?

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A partir de 1793, au moment de la Convention, l’évocation du luxe est jugée incompatible avec une société égalitaire. La question du libertinage du corps et l’esprit est lourdement condamné par des personnalités politiques telles que Maximilien Robespierre. L’Incorruptible a prononcé de nombreux discours contre la galanterie et les artistes qui ont représenté le libertinage. La Révolution est un moment de l’histoire où on favorise le retour au dessin au dépend des coloristes.

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La peinture de la Révolution est-elle un nouvel hommage aux peintres antiques ou y’a-t-il tout de même une originalité qui s’impose ?

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Jacques-Louis David est un artiste à la fois pénétré par les modèles antiques et à la fois animé par la nouvelle esthétique du « Sublime » Ses œuvres bouillonnent de violence et de passion. « Le Serment des Horaces » (1785) est un bel exemple de ces tourments.

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La peinture du XVIIIème dépasse-t-elle les siècles selon vous ?

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L’art  du  XVIIIème siècle est avant tout fantaisiste. C’est un artifice qui de nos jours peut sembler frivole et accessoire mais il n’en est rien. L’art du XVIIIème siècle joue avec l’imagination. La Révolution française va justement condamner cette fantaisie car elle était jugée dangereuse. C’est un art qui sollicite l’esprit.

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« Je peindrai avec mon cul » aurait dit Fragonard. L’art est-il un moyen au XVIIIème siècle de se libérer ?

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Jules Renouvier, historien du XIXème siècle, rapporte ces propos. Les artistes du XVIIIème siècle, comme Fragonard, sont certes des amateurs passionnés de la littérature mais ce ne sont pas des phraseurs. Par conséquent, des peintres comme Boucher ou Fragonard s’exprimaient probablement avec un langage familier.

« Je peindrai avec mon cul » suggère peut-être que Fragonard souhaitait réaliser une peinture avant tout sensorielle et corporelle plutôt qu’une peinture intellectuelle. 

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Pour en savoir plus :

« Fragonard amoureux – Galant et libertin » de Guillaume Faroult – Editions Flammarion 2015 https://www.boutiquesdemusees.fr/fr/catalogues-d-exposition/fragonard-amoureux-galant-et-libertin/8927.html

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