Des millénaires plus tard, l’Égypte ancienne continue de fasciner. Les pyramides de Gizeh, le livre des morts, les pharaons, les hiéroglyphes, les dieux… tout cet ensemble a enrichi notre imagination et stimulé notre curiosité.
“Ramsès”, “Le Juge d’Egypte”, “Le Dernier rêve de Cléopâtre” ou encore “Les Mystères d’Osiris” : Tant de récits sur ce passé si lointain et pourtant toujours aussi incroyable.
.
.
.
Des millénaires plus tard, pourquoi selon vous l’Égypte ancienne continue de fasciner toujours autant ?
.
.
.
.
Il y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, il est impressionnant de constater que la civilisation égyptienne a perduré aussi longtemps. Elle s’est étendue sur au moins trois millénaires avec plus ou moins la même institution. Elle n’a connu qu’un seul régime: l’institution pharaonique. Même lorsque l’Égypte fut occupée par les Grecs puis les Romains, le système a été conservée. Sous la menace d’une guerre civile, le peuple égyptien a même forcé Alexandre le Grand à devenir pharaon. L’empire chinois a certes duré plus longtemps mais le pays a connu un grand nombre de changements de régimes.
Deuxièmement, l’art égyptien fascine toujours autant. Tous les âges, toutes les cultures et toutes les nationalités admirent le trésor de Toutankhamon ou les tombes de la Vallée des Rois. Il y a une véritable magie dans l’art égyptien. Dès le départ, les artistes étaient pleinement conscients de la beauté de leurs créations. Ils ont même prétendu que leur art était crée de façon surnaturelle et qu’il allait continuer à être aimé pendant des millions d’années.
Je conseille toujours de visiter la Grèce avant l’Égypte. La première ayant été moins préservée et plus pillée que la seconde. Les pyramides du plateau de Gizeh âgées de 3500 ans sont par exemple intactes.
Sur le plan intellectuel et spirituel, l’Égypte nous a presque tout légué: La philosophie, la littérature ou encore les sciences. Le Christianisme s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de l’Égypte ancienne.
2500 ans avant notre ère, dès la première dynastie, les Égyptiens avaient déjà établi l’égalité femmes-hommes.
Je me plais souvent à dire que nous sommes tous des anciens égyptiens. L’Égypte est notre source, notre grand-mère. La famille s’est agrandie avec les civilisations grecque, perse et romaine.
Il est fort dommage d’étudier la philosophie à partir des pré-socratiques. Dès mes études, cela m’avait choqué. La pensée égyptienne est encore très mal connue.
Par mon travail et mes livres, je veux prouver que l’Égypte est une civilisation matricienne. Ce n’est qu’au VIème siècle après Jésus-Christ que tout cela s’est terminée. De nombreux prêtres égyptiens ont fuit l’invasion arabe et se sont établis partout en Europe. Des temples isiaques ont été construits et ont contribué ensuite à l’art des cathédrales. Nous parlons souvent des racines chrétiennes de notre continent, n’oublions pas également de parler des racines égyptiennes de l’Europe.
.
.
.
.
.
.
.
.
Vous avez en effet étudié la philosophie à l’Université de Nanterre. Les événements de mai 68 se sont alors déclenchés. Cependant, vous n’avez pas participé au mouvement. Etes – vous finalement quelqu’un en-dehors de son temps? Du monde universitaire?
.
.
.
.
Les personnes de mon âge ont connu des changements extraordinaires. Pendant plus de 70 ans, nous avons connu de multiples révolutions. Durant ma jeunesse, certaines personnes se déplaçaient encore à cheval dans les campagnes. Le téléphone n’était pas présent partout. En l’espace de dizaines d’années, nous avons connu des changements plus importants que pendant des siècles. Mai 68 a en effet été un bouleversement. Lors de séminaires d’égyptologie, des étudiants revendiquaient ne plus vouloir de professeurs et prônaient le commandement. À cette époque, j’ai surtout travaillé et voyagé.
Je ne me sens pas hors du temps. En plus de mes travaux sur l’Égypte, j’écris des romans policiers. Je m’inspire beaucoup de l’actualité même si cela va très vite.
L’Égypte m’intéresse encore toujours pour ses valeurs et sa stabilité. Elle est étonnement moderne par rapport à l’économie, la médecine ou la justice. Je ne vis pas dans le passé. Je m’en inspire. Certains philosophes disent qu’on ne peut comprendre son présent si on ne connaît pas son passé. Je partage ce point de vue et en aucun cas je suis nostalgique. Il y avait auparavant de meilleures choses, d’autres ne l’étaient pas.
.
.
.
.
Vous êtes devenu un spécialiste du roman policier avec les enquêtes de l’inspecteur Higgins. Est-ce une façon de vous extirper de l’Égypte ancienne?
.
.
.
.
Entre deux travaux historiques, le roman policier me repose en effet.
Dès que j’ai su lire, j’ai parcouru de nombreux livres notamment les bandes dessinées et les romans policiers. Chez Agatha Christie ou chez Arthur Conan Doyle, il y a une part importante de la psychologie des personnages mais également une part de jeu. Mozart disait que pour que se reposer il travaillait. Je fais pareil. Les articles scientifiques et les romans historiques m’ont toujours pris beaucoup de temps. Le roman policier avec énigmes me reposent. Beaucoup de polars sont réalistes et violents mais cela ne me calme pas.
L’inspecteur Higgins me plaît beaucoup car je ne sais plus s’il a été totalement inventé ou s’il est totalement réel. Dans tous les cas, je l’ai rencontré un jour au British Museum. Seul Higgins réussi à résoudre des énigmes. Une spécialiste du Pôle nord a une fois écrit un article déclarant que si le lecteur souhaitait lire un livre qui décrit très bien le cercle arctique, il devait lire une des enquêtes de l’inspecteur Higgins (rires). Lorsque j’aborde un thème, je fais beaucoup de recherches. Le lecteur doit s’informer tout en lisant.
Environ 30% des enquêtes ne sont pas résolues. Cela veut sûrement dire que certains criminels connaissent le fonctionnement des enquêteurs. Même si Higgins ne renit pas les méthodes scientifiques, avec un stylo et un simple carnet, il utilise son intuition.
.
.
.
.
Au fil des années, le nom de Christian Jacq est devenu une réelle référence dans le roman historique. Vous avez écrit sur Akhenaton, la grande pyramide ou Ramsès. Avez-vous voulu être l’Alexandre Dumas de l’Égypte ancienne ?
.
.
.
.
« Le Comte de Monte Cristo » (1844-1846) reste pour moi la grande référence littéraire.
Je suis arrivé au roman historique tout à fait par hasard. Même si je ne crois pas vraiment au hasard… Étant au Collège de France en 1987, je cherchais à étudier Jean-François Champollion. À cette époque, il était encore bien ignoré. Champollion était pourtant un réel Indiana Jones. Même s’il connaissait très bien l’arabe et le copte, il n’a effectué qu’un seul voyage en Égypte. À la fin de sa vie, Champollion s’est alors retrouvé au milieu de brigands. Il a alors raconté son parcours. Cela m’a fasciné. Cependant, il y avait beaucoup de trous dans le récit. Alors que je devais au départ écrire un ouvrage scientifique, j’ai décidé d’écrire un roman historique sur Champollion. Je me suis mêlé au personnage.
Mon livre est sorti à la fin de l’année 1987 lors d’un hiver glacial. De plus, il y avait une grève SNCF. Par conséquent, la sortie fut vraiment anonyme. La grève s’est arrêtée et la température a augmenté. Le présentateur de TF1 Yves Mourousi a alors lu mon livre et s’est enthousiasmé. Le succès a alors été au rendez-vous.
Les inspirations sont venues ensuite naturellement.
Lorsque j’ai écrit la saga Ramsès, j’avais une quarantaine d’années. Pour écrire sur son personnage, il fallait avoir vécu pas mal de choses. Contre l’avis des éditeurs, j’ai voulu sortir 5 tomes (Ramsès ayant eu 5 noms). Le succès a alors été international. Tout au long des années, j’ai voulu raconter des histoires de personnalités historiques ou anonymes. Les thèmes me plaisent également beaucoup.
.
.
.
.
Vous comparez vos écrits à des opéras. Cela veut-il dire que vous vous fixez des règles ?
.
.
.
.
Oui et non. L’auteur de la bande dessinée Blake et Mortimer, Edgar P. Jacobs, disait qu’il écrivait des opéras de papier. J’ajoute d’ailleurs que son album « Le Mystère de la grande Pyramide » (1954) est admirablement bien documenté.
La première règle est d’avoir la bonne idée et de la garder. La deuxième règle est de beaucoup se documenter. Ensuite je choisis mes personnages comme si c’était un casting. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs existé. Je mets en scène comme si c’était un film. Et alors que vous pensez tout contrôler, certains personnages vous poussent à changer votre plan. Il y a donc un mélange de règles et d’inventivité.
La seule chose que je me fixe est d’écrire la première et la dernière ligne du livre dès le départ.
.
.
.
.
Que ce soit avec Mozart, Ramsès ou Toutankhamon, vous traitez souvent de l’enfance. Est-ce un moment clé de la vie ?
.
.
.
.
En effet car la jeunesse est indélébile. Elle dure de façon très variable selon les personnages. Toutankhamon est devenu pharaon à l’âge de 10 ans. Par conséquent, les responsabilités l’ont poussé à devenir un adulte plus vite que prévu. Même s’il ne dirigeait pas tout, le jeune pharaon avait réellement un rôle à jouer.
Cependant, je me rends compte que certains qui ont pourtant dépassé l’âge de quarante ans restent encore des enfants.
Qu’importe qu’il soit issu d’un milieu riche ou pauvre, un enfant doit pleinement profiter de sa vie tout en travaillant dur et faire du sport.
.
.
.
.
Dans votre livre « La Femme d’or » (2021), vous traitez de la vie d’Hatchepsout, régente de fer, reine-pharaon pendant 22 ans. A-t-elle surpris son monde ou l’a-t-elle même bouleversé?
.
.
.
.
Son parcours est en effet exceptionnel car parsemé de miracles. Cependant, Hatchepsout n’a pas été la seule reine-pharaon. Dès la première dynastie, une femme avait été désignée pharaon.
Fille de Thoutmôsis I, Hatchepsout n’était pourtant pas destinée à régner. Le pharaon suivant, Thoutmôsis II va l’épouser. Durant l’Égypte ancienne, les femmes étaient bien souvent en charge des affaires étrangères et devaient faire perdurer de bonnes relations avec les alliés du royaume. Thoutmôsis II meurt finalement assez jeune et Hatchepsout devient alors régente en attendant que le futur grand Thoutmôsis III soit à l’âge de devenir pharaon. Très rapidement, elle impressionne son entourage. L’État du royaume d’Égypte est souvent comparé à un navire et Hatchepsout fait alors figure de proue.
Nouveau « miracle » : alors que la régente assiste à une cérémonie à Karnak, la barque sacrée d’Amon s’arrête face à elle et les prêtres à bord s’inclinent. Thoutmôsis, l’adolescent et Hatchepsout devront alors être en même temps pharaons. C’est une première dans toute l’histoire égyptienne. Lorsqu’un homme devenait pharaon, il devait avoir l’obligation de se marier. Alors que lorsqu’une femme devenait pharaon, elle devait rester célibataire. En devenant pharaon, elle devient homme. A partir de ce moment-là , Hatchepsout est représentée par des statues avec une allure et une coiffe masculine. Cependant, elle garde une douceur dans le visage et une poitrine féminine.
Hatchepsout va réussir l’exploit d’imposer la paix au Proche Orient et va associer pleinement Thoutmôsis au pouvoir. C’est une reine au destin exceptionnel qui peut s’apparenter à Elizabeth Ière, la reine vierge mariée à l’Angleterre.
.
.
.
.
.
.
.
Tout au long de vos récits, les enquêtes de l’inspectrice Higgins comprises, la mort est très présente. L’Égypte ancienne laissait-elle une place importante pour le royaume des morts ou c’est l’imagination mortifère, présent depuis le XIXème siècle qui a idéalisé cet aspect?
.
.
.
.
Cette croyance est venue avec les récits des momies. Pourtant, les anciens égyptiens avaient une vision bien différente de la mort. Tout décès était selon eux un assassinat. La mort n’était pas naturelle. Les Égyptiens parlaient d’un âge d’or où elle n’était pas encore née. L’idée même est remarquable. La mort n’a pas toujours existé. Lorsqu’un pharaon montait sur le trône, il avait pour but de faire renaître l’âge d’or. La mort pouvait être vaincue. Ma thèse traitait justement de ce point. Il existait une seconde mort qui consistait à l’anéantissement totale. Si vous ne passez pas le jugement d’Osiris, vous êtes condamné à jamais. En revanche, si vous êtes jugé, c’est sur vos actes. Ces derniers sont pesés face aux dieux. Si vous avez été loyal, juste, calme, vous pouvez alors vivre une nouvelle forme de vie. Les tombes en Égypte ancienne sont d’ailleurs appelées « demeures d’éternité ». Le mot sarcophage (« mangeur de chair morte » en grec) n’existait même pas en égyptien ancien.
Notre vision mortifère de l’Égypte ancienne est par conséquent à l’opposé de la philosophie de l’époque. Après votre décès, selon le livre des morts, vous pourrez vous recomposer dans l’autre monde. Les pharaons deviennent, quant à eux, vent, fumée d’encens, lumière ou astres solaires.
.
.
.
.
Vous traitez souvent de mysticisme notamment avec la franc-maçonnerie. Les dieux égyptiens sont-ils chers à votre cœur?
.
.
.
.
.
Je suis en effet admiratif de la beauté et la poésie de l’Égypte ancienne. Une chimère telle qu’Anubis (mi-homme mi-chacal) pourrait être effrayante. C’est pourtant une représentation magnifique. Les égyptiens anciens expliquent que nous vivons dans un monde en guerre car les hommes se sont révoltés contre la lumière.
Je ne crois pas aux dieux égyptiens. Le verbe croire n’existe d’ailleurs pas en hiéroglyphes . Il y a le mot connaissance. Je partage l’avis de Champollion : les dieux égyptiens sont des forces. Hathor, la déesse à tête de vache, incarne la force que l’on appelle amour. Le ciel serait un vaste chaos et les membres de nos corps ne pourraient pas tenir sans Hathor. Chaque dieu porte un message bien précis.
Cette poésie est bien plus profonde que du folklore. Il s’agit d’une véritable philosophie.
.
.
.
.
.
.
.
Durant toutes vos recherches, quel est le personnage qui vous a le plus surpris?
.
.
.
.
Je n’ai pas encore écrit sur lui mais il s’agit du roi-fondateur de la IVème dynastie et père de Khéops, Snéfrou. Il m’impressionne tellement que je pense qu’un jour ou l’autre j’écrirai sur lui.
.
.
.
Quels sont vos projets ?
.
.
.
.
Je publie en général 4 romans d’Higgins par an. Le prochain sortira dans quelques mois et traitera des drones. Je continue également à écrire des articles scientifiques sur l’Égypte ancienne. Après Hatchepsout, je travaille déjà sur un nouveau roman historique.
.
.
.
.