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Le monde de la science-fiction. Y’a-t-il tout de même des restrictions et des limites ?
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C’est un espace relativement libre. Contrairement au cinéma, la bande dessinée permet une grande indépendance. Vous pouvez réussir à réaliser votre projet seul ou à deux. Il y a bien entendu le filtre des éditeurs mais c’est un monde qui reste assez libre.
Il y a plein de manières de raconter des histoires, mais ce que j’apprécie le plus, c’est le dessin. C’est un vrai amour. On a l’habitude de dire que lorsqu’on est dessinateur de BD, on est à la fois metteur en scène, décorateur, acteur et directeur d’acteurs. Donc la liberté est presque totale.
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Vos personnages peuvent faire penser à des poupées (Altor et son costume, Sylfeline) – en tout cas à des figures visuellement marquantes. Vos histoires sont-elles avant tout des contes ?
J’ai réalisé des bandes dessinées entre les années 80 et 2000 – une période où les contes fantastiques étaient très populaires. Concernant Sylfeline, je n’étais que scénariste et c’était Bruno Bellamy qui était au dessin. Mon univers était fantastique, coloré et lumineux. Il n’y avait pas ou peu d’aspect sombre. Puis j’ai choisi de faire une pause. Vers la fin des années 90, le nombre de lecteurs de bandes dessinées avait tendance à se réduire. Un peu plus tard, l’arrivée des mangas et des comics a changé la donne.
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Vous vous êtes alors orienté vers le court-métrage.
J’ai en effet décidé d’arrêter la BD au moment le monde de la vidéo amorçait la révolution du numérique. J’ai basculé dans cet univers en créant le Festival des Très Courts, aujourd’hui le « Très Court International Film Festival ». C’est à présent la 22ème édition, et il met en lumière les formats de films très courts (moins de 4 minutes). Lorsque le festival a commencé, il était déjà tout à fait possible aux amateurs de réaliser leur propre film, notamment grâce au super 8. Mais tout s’est accéléré avec l’arrivée du format miniDV et des logiciels de montage grand public. Très rapidement, le festival a connu un certain succès. Je me suis retrouvé propulsé dans le rôle l’éditeur, ce qui est une expérience très enrichissante. Lorsque vous êtes auteur, vous n’imaginez pas ce que c’est que de recevoir plein de projets dans la même journée et de devoir sélectionner les meilleurs. C’est une grande responsabilité d’avoir à dire oui ou non à un auteur qui vous soumet son travaille. Il faut pouvoir justifier votre choix.
Pendant un temps, j’ai mené de front la BD et le festival, mais ce dernier se développant rapidement, j’ai dû faire le choix de m’y consacrer à plein temps. J’ai tout de même continué à dessiner, mais hors logique éditoriale, uniquement par plaisir.
Quelle est la recette d’une bonne histoire courte ?
Il faut aller à l’essentiel, et bien connaître son propos. Pour ceux qui débutent, la contrainte du temps est en fait une bonne contrainte. Souvent, à trop vouloir réaliser de belles images, on dessert au final son propos. En étant concis, on gagne en efficacité.
Il y a dans votre dessin un portrait magnifique de la nature. Est-elle un personnage à part entière dans votre œuvre ?
Altor est un personnage elfique, une émanation de la Nature. Il est en effet très en phase avec l’esprit de la Nature et le monde végétal. C’est surtout avec « Les immortels de Shinkara » (Tome 4) qu’il y a une véritable sensibilité écologique avec notamment cette planète entièrement végétale.
Que retenez-vous de vos collaborations avec Jean Giraud/Moebius ?
Cette rencontre fut fondamentale dans mon travail. J’ai eu la grande chance de travailler avec lui tous les jours, pendant quelques années dans le même atelier. J’ai assisté Jean Giraud sur certains de ces projets, puis un jour, il m’a proposé une collaboration plus personnelle. « Le Cristal Majeur » était au départ une de mes idées de scénario. Il l’a complètement remanié tout en conservant l’univers où je me sentais à l’aise. J’ai bénéficié à ses côtés d’un véritable apprentissage de la bande dessinée, avec toute sa technique et son savoir.
J’étais jeune et inconscient et le rapport avec lui était très amical. Nous avions d’autres centres d’intérêt en commun autre que la bande dessinée par conséquent la relation était très riche. Je réalise encore plus la richesse de cet héritage aujourd’hui que Jean Giraud n’est plus là.
Plus globalement, est-ce une difficulté de retranscrire la vision d’un autre ?
Tout dépend de qui est l’autre. Cela peut être très enrichissant de part et d’autre. Il y a une forme de communion lorsque les univers se rapprochent, se complémentarisent. Il faut une réelle connexion. Chacun apporte ainsi sa part dans le projet commun qui va déboucher sur quelque chose de concret.
« La nuit de l’étoile » est-il l’œuvre qui illustre le mieux votre collaboration avec Jean Giraud ?
C’est surtout le point de départ. Il s’agit de la première collaboration avec Jean Giraud mais la série « Le Cristal Majeur » reste tout de même le cœur de notre collaboration. Au fil de nos albums, on peut voir que le style a évolué.
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Vous avez également travaillé ensemble sur l’adaptation du dessin animé « La ferme des animaux » d’après George Orwell.
C’était à l’époque où Jean Giraud cherchait à mettre en place un atelier. « La ferme des animaux » était une commande commerciale, une adaptation à réaliser à partir du dessin animé. Giraud a fait un story-board qui a été crayonné par quelqu’un, encré par un autre, et colorié par encore quelqu’un d’autre,… Il s’agissait d’un test de studio où 5 personnes travaillaient dessus. L’album a été fait en 3 mois. Il devait être publié uniquement en Europe de l’Est, mais l’éditeur, ayant eu la signature de Moebius, a voulu le diffuser plus largement. J’ai été mis en avant avec Moebius pour des raisons de marketing. L’album n’est pas mauvais, mais il est décevant pour ceux qui s’attendent à voir du Moebius ou du Bati. Ce n’est en fait qu’une simple adaptation du dessin animé.
La saga du « cristal majeur » s’apparente à de la science-fiction ou à de l’heroic fantasy ?
C’est clairement un mélange, à une époque c’était encore assez original de lier les deux. Il y avait bien sûr les œuvres de Philippe Druillet ou encore Valérian pour la science-fiction mais il y avait peu d’heroic fantasy. Je lisais à l’époque les livres de Tolkien et de Jack Vance (« Le Cycle de Tschaï » était un mélange des deux genres) et cela nous a inspiré.
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Avec « Les 5 mondes de Sylfeline », le lecteur explore 5 mondes bien différents. Ce fut un vrai travail avec Bruno Bellamy de composer de tels environnements ?
L’histoire met en place une cosmogonie qui débute par la création du monde et finit par la fin du monde. Les 3 tomes de cette série sont totalement atypiques. J’avais envie de raconter des histoires avec aucun « méchant » Il y a pourtant une tension narrative, mais celle-ci est générée par une quête de l’inconnu. Cette série se déroule dans une ambiance assez vaporeuse, mais avec un fond philosophique, et des retournements de situation acrobatiques. Chaque tome avait une fin qui semblait définitive (surtout le premier). Nous nous demandions quand même si nous pouvions réaliser une suite après cela. On a fini par trouver des ressorts narratifs pour réaliser au final 3 tomes. Ces histoires ne sont pas vraiment linéaires. Elles jouent sur des changements d’échelle, des univers multi dimensionnels.
On retrouve même Sylfeline et Tchoubou dans l’univers d’Altor et Altor dans l’univers de Sylfeline. Vos histoires sont-elles toutes liées ?
Oui c’était une sorte de clin d’œil aux fans qui liraient les 2 séries. Le lecteur va découvrir une même scène dans les deux séries, en parfaite cohérence dans chacune des histoires ( à la fois dans « Les seigneurs Force » et dans « Les pouvoirs de Tchoubou »).
Vous avez été scénariste et dessinateur. Quelle est votre préférence ?
Aujourd’hui, c’est le dessin qui m’intéresse le plus. Je me pose la question de m’y remettre davantage mais je n’ai pas vraiment envie de me soumettre aux règles qu’impose la narration. Plus jeune, j’avais l’impression d’avoir beaucoup de choses à raconter ; à présent, j’en vois moins l’intérêt. Je serais plus tenté de faire une suite d’images qui puisse toucher la sensibilité du lecteur, sans forcément lui raconter d’histoire.
En octobre 2019, j’ai été invité à présenter mes œuvres dans une exposition à Paris chez Barbier & Mathon. J’ai été agréablement surpris par l’accueil du public, après pourtant une si longue absence dans le milieu de la bande dessinée.
Ce qui m’intéresse maintenant, c’est de développer une ambiance et un univers graphique qui reflètent ma sensibilité actuelle. Voilà le défi : Raconter quelque chose uniquement par le dessin sans la contrainte d’un scénario. Sans savoir où je vais, il m’arrive d’être moi-même surpris par ce que je dessine. Se laisser guider intuitivement est un vrai plaisir pour moi.
Une voie largement tracée par Jean Giraud ou plutôt Moebius.
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Pour en savoir plus :
Le site de l’International Film Festival Très Court : https://trescourt.com/fr
La page Instagram de Marc Bati : https://www.instagram.com/marcbati/