Depuis plusieurs années, la Russie et ses pays voisins sont au cœur de l’actualité. Ukraine, Syrie, relations avec l’Union Européenne et les Etats-Unis bientôt sous l’ère Trump. Beaucoup d’interrogations se posent et nous avons rencontré Galia Ackerman, essayiste, historienne spécialiste du monde russe et ex-URSS, et journaliste pour en savoir plus

 


– Au vu des dernières actualités, y’a-t-il une solution au conflit syrien? La Russie peut-elle avoir une réponse pacifiste?

 

Le problème est complexe car beaucoup d’intérêts s’y croisent: ceux des Turcs, de la 15878850_1817330388533700_780249720_ncommunauté occidentale, des Iraniens et des Russes, sans parler de la population locale, et notamment des Sunnites, majoritaires dans le pays, et des Kurdes. Le Kremlin s’est toujours
méfié des « révolutions de couleur » (Révolution Orange en Ukraine, celle des Roses en Géorgie etc.) car il considère que les régimes doivent rester stables. La démocratie et l’alternance du pouvoir ne sont pas forcément son option préférée.

La Russie a regretté de ne pas avoir pu sauver Milosevic ou Kadhafi. Poutine a décidé de protéger Bachar car c’est un personnage qu’il apprécie et parce qu’il existe de forts intérêts militaires russes en Syrie. Un changement de régime serait une perte pour la Russie car ainsi les bases installées en Syrie seraient perdues et l’influence russe en Méditérrannée et au Proche-Orient disparaîtrait. De plus, la Russie a intérêt de combattre l’Etat islamique et autres groupes terroristes, car elle craint le possible retour de quelques milliers d’islamistes originaires du Caucase: mieux vaut s’en débarrasser sur le sol syrien.

J’ai des doutes que le nouveau plan de paix puisse fonctionner, car les intérêts des parties en question sont trop divergentes. Et le massacre d’Alep risque de se répéter ailleurs. Les Russes ont agi à Alep, comme à Grozny (Tchéchénie). De nos jours, une ville ne peut être complètement conquise que si elle est totalement détruite.

 

Tchernobyl est-il toujours une menace pour notre santé?

 

Non (sauf s’il y a une nouvelle catastrophe) mais cela restera un lieu maudit car c’est aujourd’hui la plus grande décharge nucléaire du monde. Pour extraire les déchets nucléaires situés sous le nouveau sarcophage et les enfouir durablement, il faudra 100 ans. Et la seule ville au monde contaminée au plutonium, Pripiat, située à 2 kilomètres de la
centrale, ne sera jamais habitable.

Dans l’air, il y a très peu de danger mais les sols sont toujours contaminés en Ukraine et en Biélorussie. J’ai moi-même fait le tour de la centrale plusieurs fois et j’ai constaté que15840938_1817330135200392_636086766_n
certaines zones restent très dangereuses. Cependant, la plupart des zones contaminées au césium-137 seront exploitables dans quelques dizaines d’années.

Par contre, il faut continuer à étudier les effets de l’accumulation du césium-137 dans l’organisme humain via la chaîne alimentaire : selon certains scientifiques, elle provoque des maladies cardiaques et oculaires, ainsi que la stérilité.

Certes, la Nature va peu à peu reprendre ses droits, mais Tchernobyl doit être une leçon pour l’Humanité.

 

– La situation en Ukraine ne change pas. Qu’est-ce l’Europe peut faire pour appliquer les accords de Minsk voire aller plus loin?

 

Les accords de Minsk ne sont pas appliquables: ils ont été signés sous une grande pression de Poutine après 16 heures de négociations, alors que plusieurs unités ukrainiennes étaient prises au piège dans la région de Debaltsevo. Pour éviter l’hécatombe, le Président ukrainien, Petro Porochenko, a signé mais les termes des accords sont trop difficiles à éxécuter. Notamment, ces accords prévoient la reprise du contrôle de la frontière  russo-ukrainienne dans la région du Donbass par les Ukrainiens, mais Moscou ne lâche pas les séparatistes. En fait, cette région est entièrement contrôlée par Moscou.

Ces accords sont un trompe l’oeil, alors que les combats sporadiques continuent et des gens meurent tous les jours. Selon moi, la situation ne s’améliorera pas à court terme.

 

– Vladimir Poutine rend responsable Lénine de la chute du système soviétique. Comment les Russes voient-ils leur histoire?

 

Poutine déplore la politique soviétique des nationalités appliquée par Lenine. A la chute du Tsar, chaque territoire de l’ancien Empire a revendiqué son autonomie, voire son indépendance (Géorgie, Ukraine,…). Afin de répondre à de telles revendications nationalistes, Lénine a fait des concessions. Cette politique nationale lui a permis de préserver la presque intégralité de l’Empire. Mais Staline a favorisé le retour à la politique où les Russes ethniques étaient perçues comme « l’ossature » de l’URSS. L’indépendance des républiques et même leur autonomie culturelle ont été brimées. Dès que Gorbatchev a permis la liberté de la parole, les revendications nationales sont devenues pressantes. C’est donc plutôt Staline, tant admiré par Poutine, qui a causé in fine l’effondrement de l’URSS!

L’histoire russe est un enjeu de batailles idéologiques, et le regard des Russes sur leur histoire changent d’une période à l’autre. Ils étaient très critiques de l’URSS lors la Perestroïka alors qu’aujourd’hui, ils ont une vision positive de leur passé soviétique. Les Bolchéviques dénonçaient le régime tsariste alors qu’aujourd’hui certains ont la nostalgie de cette époque. Le dernier Tsar, Nicolas II, et sa famille ont même été sanctifiés par l’église orthodoxe!

 

– Que pensez-vous du statut de la Crimée?

 

Cette région aurait pu devenir russe sous une forme légale. Par exemple, en Catalogne, il y a déjà eu deux référendums, mais le processus d’indépendance n’a toujours pas abouti. Il faudra des années de négociations et l’organisation d’un référendum national pour que cette séparation soit entérinée. Cela aurait dû être pareil en Crimée: d’abord, un long débat local et national, ensuite une négociation avec les autorités ukrainiennes, et une obtention de l’indépendance. Une fois l’indépendance acquise, la Crimée aurait pu négocier son rattachement à la Russie.

Or, ce qui s’est produit n’a rien de démocratique: ce fut l’annexion d’un territoire déjà occupé militairement, avec un référendum sous des baillonnettes russes.

 

– Que peut-on penser de la situation de la femme en Russie?

 

Dès l’instauration du régime soviétique, une vraie égalité entre les f1393493_10151973941665708_102335540_nemmes et les hommes fut décrétée, ce qui était très progressiste pour l’époque. Mais psychologiquement, la Russie
est restée une société très machiste où la plupartdes femmes cherchent la stabilité et par conséquent un mari.

On garde majoritairement un regard plus traditionnel sur le rôle de la femme, du mariage et de la procréation.

– Qu’est-ce qu’il y a de positif dans la Russie d’aujourd’hui?

 

Les Russes sont un peuple cultivé qui possède une littérature intéressante et un théâtre magnifique. C’est une vieille nation qui survivra à Poutine.

Certes, avec le contrôle des médias et de l’espace public, il y a eu un recul culturel et critique de la population. Beaucoup sont trompés par la propagande qui a perverti la jeunesse de Russie. Mais tout espoir n’est pas perdu. En témoigne l’esprit de résistance qui s’est manifesté en 2011-2012.

 

– Peut-on dire que Donald Trump était le candidat de la Russie et que peut-on prédire des futures relations américano-russes?

 

Oui, on peut le dire, car l’administration américaine a rendu publiques des preuves de l’ingérence informatique russe dans le processus électoral. A la Douma russe, on a sablé le champagne à l’annonce de la victoire de Trump!

Trump est sûrement soucieux d’avoir d’excellentes relations d’affaires avec Poutine. Mais étant donné qu’il est le principal bénéficiaire du piratage informatique russe, il sera dans une situation gênante. Cette affaire est prise au sérieux non seulement par l’administration sortante, mais aussi par le Congrès et le Sénat. Les Etats-Unis ne sont pas une autocratie, et même un président aussi fantasque que Trump n’aura pas la latitude de faire ce qu’il veut. Wait and see, comme disent les Américains.

999771_10151840236110708_590243723_nCompte Twitter de Galia Ackerman: https://twitter.com/GaliaAckerman

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