Tintin, reporter à la mèche bien relevée est indiscutablement un personnage phare de la bande dessinée pour les 7 à 77 ans (voir plus vue l’amélioration de l’espérance de vie…). Cœur de l’intrigue, le récit court après lui. Afin de mieux comprendre l’esprit d’Hergé, nous avons rencontré Philippe Marion, narratologue et professeur à l’Université catholique de Louvain, alors qu’il s’apprêtait à prendre son train à la Gare du Nord pour la Belgique.
Pour quelles raisons, le récit des aventures de Tintin est-il si unique ?
Grâce à la médiagénie. Hergé a fondu une énergie spécifique dans la bande dessinée. Son récit interagit complètement avec le dessin. Hergé a en fait découvert le concept de la ligne claire c’est-à-dire la réalisation d’un système graphique et narratif. Il a su idéaliser la ligne de contour.
Le visage de Tintin est très simple avec une tête ronde, une mèche et des points en guise d’yeux. Le graphique est à la fois sain et idéal pour être compris de tous. L’énergie est par exemple caractérisée par une course où les pieds ne touchent pas le sol.
Dans tout scénario, un récit c’est semer des graines et être témoin de l’évolution. Il faut anticiper selon les voies possibles qui commencent à naître. Raconter une histoire c’est choisir. Tout récit peut être réduit en 2 choix (la réussite ou la dégradation) avec 3 régimes (rituel, processus, clôture).
En quoi le travail d’Hergé a-t-il pu influencer le cinéma ?
Il y a toujours eu une tentation du cinéma de saisir le succès de Tintin. Le problème est de traduire fidèlement la médiagénie ce qui est un vrai exploit. Lors de la réalisation des premiers dessins animés de Tintin, les enfants lecteurs de bande dessinée se montraient déçus du résultat. Les personnages étaient jugés trop immobiles et les voix n’étaient pas jugées comme bonnes.
En fait, à la lecture, les mouvements sont imaginés différemment par chacun d’entre nous tout comme les voix. Donner une autre version peut alors être perçue comme une trahison de sa propre imagination.
Comme disait Hergé, ses histoires sont générées par les « accidents » de son crayon.
Même si Steven Spielberg avec « Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne » a réussi à capter une part du style Tintin avec la motion capture, il reste des lacunes. Comme dans la bande dessinée, les visages des personnages sont exagérés et sont souvent des caricatures mais par contre les décors, les automobiles sont très réalistes. Le film est à la fois idéaliste et réaliste.
Que révèle le personnage de Tintin en termes de héros ?
Il s’agit du miroir du lecteur. Son visage simple est libre et par conséquent tout le monde peut s’identifier à ce jeune reporter. C’est un peu l’aventurier qui court vers l’intrigue.
Lorsqu’Hergé recevait des candidatures pour le rôle du personnage principal du film « Tintin et la toison d’or », des enfants noirs envoyaient des courriers affirmant qu’ils étaient les vrais Tintin. Tout le monde se voyait en lui. Il a une dimension de pourfendeur des mauvais et étranger à toute perversion.
Les albums Tintin ont très souvent une certaine référence aux aventures antérieures grâce aux légendes inscrites en bas de page et au retour d’antagonistes et de protagonistes. Le récit poursuit-il une certaine logique ?
Le récit n’est jamais logique à proprement parler. Il a sa propre logique narrative ce qui est un concept différent. Dans un récit classique, il y a des coïncidences (rencontres, péripéties) mais au final pour le lecteur,
il y a une certaine logique. Tintin vit complètement dans ce système. Malgré les mésaventures, il en sortira indemne car il est le héros. Tout comme James Bond, c’est un être immortel.
Que représente le capitaine Haddock ? On peut s’interroger sur la surdité comique alors qu’il est en même temps un génie. Les personnages sont-ils la représentation d’une humeur bien distincte ?
Tintin est tellement monolithique qu’il fallait qu’il soit entouré de personnages forts. Au départ, Milou était le râleur, opposé au calme de son maître. Puis le capitaine Haddock l’a remplacé dans ce rôle à tel point que le caractère du chien s’est peu à peu effacé. Haddock est le personnage très humain : colérique, faible et alcoolique. Le professeur Tournesol est quant à lui burlesque avec ses paradoxes.
Ce sont des caractères sur pattes avec une idéalisation de la ligne claire. Ils représentent tous une famille idéale qui fonctionne en système et non individuellement.
Tintin est-il encore aujourd’hui un récit-feuilleton comme il l’était paraissant dans les journaux?
Il a perdu son côté feuilletonesque au fil des années et des albums. Hergé s’est entouré de collaborateurs qui réfléchissaient l’intrigue de manière globale. Les albums « Vol 714 pour Sydney » ou « Tintin et les picaros » en sont de bons exemples.
Peut-on comprendre quel était l’ensemble du récit de l’album inachevé d’Hergé « Tintin et l’alph-art » (l’auteur est décédé pendant l’écriture) ?
Il s’agit avant tout d’une esquisse. On parle de tableau volé, peut être même de plagiat. Hergé était un grand collectionneur d’art abstrait et était en phase exploratoire. Il y a quelques annotations qui ont été retrouvées mais il s’agit d’un stade pré-scénario graphique. Un autre auteur pourrait le faire évoluer mais il faudra l’accord des héritiers d’Hergé…