Avec une pleine lune annoncée la veille d’Halloween, nous nous sommes penchés sur le cas du lycanthrope plus communément appelé loup-garou. Présent partout dans les mythes, les légendes, la littérature, le grand écran et même aujourd’hui dans les jeux de société.
Claude Lecouteux, Professeur des universités (émérite) et spécialisé dans les études médiévales allemandes, répond à nos questions.
– Quelle est la particularité de la lycanthropie dans les religions païennes?
La lycanthropie n’a pas vraiment de rapports avec la religion ; les témoignages de l’Antiquité classique parlent d’hommes se changeant en loups, Les Neures selon Hérodote, et parlent de l’histoire de Lycaon que Zeus aurait été métamorphosé pour avoir mangé de la chair humaine.
– La forte pilosité, que l’on peut retrouver dans la maladie de l’hypertrichose, était-elle condamnée au Moyen Age ?
Indirectement : elle renvoie aux croyances touchant à l’homme sauvage, antithèse de l’humain, ou à une ascendance diabolique : selon certaines traditions, l’enchanteur Merlin était couvert de poils à sa naissance.
– Gaston Phébus, comte de Foix et grand chasseur du XIVème siècle, indique qu’il est quasiment quotidien de rencontrer un loup. Le combat contre le loup garou est-il la peur de ce mélange entre le sauvage et l’homme?
C’est l’omniprésence du loup au Moyen Âge et ses méfaits qui ont forgé l’image mythique de cet animal, et c’est aussi pourquoi la forme de loup a supplanté toutes les autres formes animales dues au varouisme. Au Moyen Âge, il existe des ours-garous, des taureaux-garous, etc. Burchard (965-1025), évêque de Worms, écrit ceci :
« Tu as cru ce que certains ont coutume de croire, à savoir que les femmes que le vulgaire appelle Parques existent ou possèdent les pouvoirs qu’on leur attribue, soit: à la naissance d’un homme, elles font de lui ce qu’elles veulent, si bien que cet homme peut, à son gré, se transformer en loup — ce que la sottise populaire appelle werwolf — ou revêtir toute autre forme » (Decretum XIX,5,151)
L’important ici est la précision de la dernière phrase : « ou revêtir toute autre forme », car elle prouve que le loup n’est qu’une de ces formes. Un témoignage recueilli par Charles Joisten en France dans les années cinquante atteste la survivance de cette croyance :
« Le loup-garou (ec lop garong) était un homme qui se transformait en différentes bêtes ou objets, principalement en fagot de fougères »
Je rappelle qu’en Afrique, on croit aux hommes-chacals, hyènes, léopards, chez les Inuits à l’homme-caribou, en Extrême-Orient aux hommes-tigres… Chaque pays, chaque civilisation a pensé le varouisme à sa façon. Burchard de Worms avance une autre explication, celle d’un don, ou d’une malédiction, à la naissance.
– Dans les légendes européennes, le loup garou est lié aux cannibales, aux revenants et aux vampires. Était-il toutefois perçu négativement par les populations civiles?
Étant un prédateur redouté, sensé s’attaquer aux femmes et aux enfants en priorité, son image est négative, et l’iconographie ancienne en a fait un véritable monstre, comme la bête du Gévaudan.
– Diderot définit dans son Encyclopédie la croyance du loup garou comme « un bouleversement du cerveau ». Faut-il attendre le XVIIIème siècle pour douter d’une telle métamorphose?
Non. Au moins dès le XIII siècle, des médecins ont avancé l’hypothèse d’une maladie. Gervais de Tilbury rapporte l’histoire du chevalier Raimbaud de Pouget qui, dépouillé de son héritage, devint un vagabond, et il ajoute : « une nuit, sous le coup d’une terreur excessive qui provoqua une aliénation de son esprit, il se mua en loup. Il fut un tel fléau pour la contrée qu’il rendit désertes nombre de demeures paysannes : les petits enfants, il les dévorait sous sa forme de loup; les adultes, il les déchirait de morsures sauvages » (Otia imperialia III, 120).
Dans le même chapitre, il évoque l’influence de la lune : « Je sais qu’une chose arrive journellement dans nos régions, car ainsi va la destinée humaine : certains hommes se changent en loups selon les lunaisons. » Au XIXe siècle, on disait encore que les fils de prêtre devaient se muer en loup à chaque pleine lune…
Pour en savoir plus :
Claude Lecouteux, Fées, sorcières et loups-garous : histoire du double au Moyen Âge, préface de Régis Boyer, Paris, Imago, 5e éd. mise à jour, 2012.
Elle courait le garou, une anthologie, Paris, J. Corti, 2008 (collection Merveilleux, 36) ; avec 102 textes et documents sur le loup-garou.