A l’approche de la fête des vendanges de Montmartre qui aura lieu du 6 au 9 octobre 2016, nous avons décidé de rencontrer la Commanderie du Clos Montmartre (CCM), représentation officielle des vignes du 18ème arrondissement. Gilles Guillet, Grand Maître, et Alain Valentin, Grand Troubadour, nous éclairent sur cette culture montmartroise.
- Quelles sont les missions de la commanderie du Clos Montmartre ?
G. GUILLET: Notre objectif est triple : Représenter, défendre la tradition vinicole de Montmartre et enfin promouvoir un vin « culturel ». Les vignes ont été plantées en 1933 et nous sommes les garants de cette préservation.
Le raisin est récolté à la main en une matinée par les jardiniers des parcs et jardins de la Ville de Paris vers la fin du mois de septembre. Il est ensuite vinifié dans les caves de la mairie du 18ème arrondissement.
Un an après, les bouteilles sont vendues au profit des œuvres sociales de l’arrondissement, notamment à l’occasion de la traditionnelle Fête des Vendanges de Montmartre. La CCM est la seule Confrérie vineuse de Paris rattachée à un vignoble parisien.
A. VALENTIN: La commanderie du Clos Montmartre a été fondée en 1983 par Maurice HIS, Président de la République de Montmartre et une dizaine de compagnons.
Jusqu’au 18ème siècle, le vignoble d’Ile-de-France était un des plus vastes d’Europe, et le plus grand du Royaume de France. À Paris, la récolte du vignoble se partageait entre les abbayes de St Denys et celle de St Germain des Prés. A Montmartre, ce sont les Dames Abbesses de Montmartre qui possédaient un pressoir sur leur vaste territoire et qui obligeaient les vignerons à y venir presser leur raisin au profit de l’Abbaye.
- Quelle est la fonction du Grand Maître ? Du Grand Troubadour ?
G. GUILLET : Le rôle de Grand Maître est d’animer et de faire vivre l’activité de la Confrérie, aidé en cela par les membres du Bureau et du Conseil d’administration. À ce titre, je procède à des intronisations de nouveaux membres, femmes et hommes, désireux de participer aux activités de notre Commanderie. Ma tenue en est le symbole : rouge et bleue (aux couleurs de la ville de Paris), de la médaille de Grand Maître, le tout de galons d’or… J’exerce cette responsabilité depuis 2003.
A. VALENTIN : La mission du Grand Troubadour consiste essentiellement à proclamer les hauts faits des impétrants au moment de leur intronisation à la CCM (à partir de leur CV, de préférence anecdotique). L’ancien Grand-Troubadour le faisait en vers ! Moi, je me contente de le rédiger de façon anecdotique et humoristique… Plus globalement, en ma double qualité de Secrétaire et de Grand Troubadour de la CCM, je suis la « plume » du Grand Maître, pour ses discours, ses courriers…
- Le symbole est très présent au sein du Clos Montmartre. Y’a-t-il une volonté de préserver un patrimoine, un passé ?
G. GUILLET : Des gens se sont battus pour préserver ce petit carré de terre (1 750 m²). Au début des années 30, opposée à la construction de HBM (Habitations à bon marché, qui ont précédé les HLM), la commune libre de Montmartre a planté sur ce qui était devenu entretemps « le square de la liberté », durant une nuit de la vigne sur ce terrain de remblais, exposé en plein nord, en souvenir des vignobles qui se trouvaient autrefois sur la partie sud de la Butte ! C’est en 1934 que fut célébrée la première fête des vendanges en présence du Président de la République, Albert Lebrun, de Fernandel et de Mistinguett (qui dansait alors au Moulin Rouge) qui en furent le parrain et la marraine.
- Pouvez-vous nous parler du siège du Clos Montmartre, le château d’eau sis 9bis rue de Norvins ?
A.VALENTIN : Le château d’eau fut construit en 1835 pour donner de l’eau aux ménagères de la Butte, suite à la disparition des sources, taries par les travaux d’excavation des carrières de Montmartre.
G. GUILLET: Le réservoir fait de zinc et de briques a disparu mais le local a été préservé. Nous y tenons nos réunions mensuelles, nos conseils d’administration. Nous y faisons aussi de nombreuses dégustations de vin, ainsi que diverses manifestations dont des expositions. Ce château d’eau reste ainsi un vrai lieu de vie dans ce quartier très animé proche de la place du Tertre.
- Quelles sont les particularités du village Montmartre ? Est-ce au final Paris ?
G. GUILLET : Cela n’a jamais été Paris. C’est un grainde beauté sur la joue de Paris ! Il y a en fait plus de Montmartre à Paris que de Paris à Montmartre (à cause des carrières qui ont permis de construire le Paris d’Haussmann). D’ailleurs, vous entendrez certains Montmartrois dire : « On descend à Paris » ! Historiquement, il s’agit d’un quartier populaire qui a entre autres accueilli de nombreux Bretons. Tout cela aujourd’hui a beaucoup changé. Les logements sont devenus hors de prix, les petits commerces sont remplacés par des magasins de mode et de souvenirs. Tout cela a fait partir les ouvriers et les petits salariés.
- Comment peut-on être candidat à la commanderie du Clos Montmartre ?
G. GUILLET : Il suffit de déposer un dossier de candidature, d’avoir deux membres de la Confrérie qui parrainent et se portent garants des qualités et vertus du candidat, de payer son adhésion, bien sûr, et de véritablement vouloir participer à la vie de la Commanderie…
On ne peut que regretter le manque de jeunes. La nouvelle génération du quartier s’intéresse peu à ce genre d’association et n’accepte pas ce qu’ils considèrent à tort comme des contraintes. Nous avons plus de 600 membres répartis dans le monde entier. J’ai planté des vignes à Montréal, et nous sommes jumelés avec le Musée du vin d’Osaka ; nous avons aussi une chorale qui se produit régulièrement.
- Que répondre à ce dicton populaire « C’est le vin de Montmartre. Qui en boit pinte en pisse quarte » ?
G. GUILLET : Au 17ème siècle, le vin de Montmartre est un petit vin réservé à la consommation locale. Un dicton populaire de l’époque se moque de la qualité de ce vin qui semble avant tout diurétique : « C’est du vin de Montmartre. Qui en boit pinte en pisse quarte. » Il faut savoir qu’une pinte équivaut à 93 centilitres et une quarte à 67 litres…
Depuis 1995, le vin est vinifié dans les caves de la Mairie du 18ème selon les vraies règles de l’art. À la demande de l’ancien maire Daniel Vaillant et de M. Alain Valentin, qui était alors directeur général des services, j’ai été nommé Président du Comité des Fêtes et d’action sociale du 18ème dont une des principales missions est d’organiser la fête des vendanges de Montmartre, au profit des œuvres sociales de l’arrondissement. C’est notamment grâce aux bénéfices générés par la fête que l’œnologue et toute l’équipe de jardiniers ont pu enfin travailler de façon tout-à-fait professionnelle.
Avant, il est vrai que le vin pressé n’était pas vraiment consommable. Il était considéré comme une « curiosité » ! La Mairie de Paris a engagé récemment une œnologue qui a prit l’initiative de produire du vin rosé pétillant, plutôt que du rouge. C’est un choix qui verra sa pérennité à l’épreuve du temps. La Fête des Vendanges accueille en général au moins 800 000 personnes en deux jours, ce qui en fait le 3ème grand rendez-vous permanent le plus important de Paris.
A. VALENTIN : La nouvelle œnologue justifie la décision de produire un vin rosé pétillant d’après le manque de tanin des raisins. Mais la cuvée qui sera présentée à la Fête des Vendanges 2016 (Cuvée de la Liberté) sera en rosé et en rouge.
- Pourquoi fête-on aussi la coquille Saint Jacques ?
G. GUILLET : la Commanderie du Clos Montmartre a rétabli à la Fête de la St Vincent, patron des vignerons. Elle se déroule le 4ème week-end de Janvier dans le quartier des Abbesses. La tradition et le folklore sont respectés, avec une procession des Confréries venues de toute la France, et d’une messe solennelle en l’honneur de notre saint patron. L’occasion s’est présentée d’associer à cette fête nos amis de la baie de St Brieuc, et notamment ceux d’Erquy, en installant place des Abbesses une criée des produits de la mer, dont la fameuse coquille St Jacques d’Erquy, avec aussi des produits régionaux bretons, des galettes et des crêpes. En raison des attentats de janvier 2015, la fête a dû être annulée. Souhaitons que cela se passe bien en 2017.
Parmi les autres manifestations auxquelles la Commanderie participe activement, il y a aussi le 18 septembre prochain la célèbre et antique « Course au ralenti » qui réunit de vieilles voitures qui doivent réaliser la prouesse de rouler le plus lentement possible sans caler sur les routes montantes de Montmartre…
Que peut-on attendre de la fête des vendanges 2016 et le vin sera-t-il un bon millésime ?
G. GUILLET : Avec le bel été que nous avons eu, je pense que ce sera un bon millésime, mais la quantité de raisins ne devrait pas être importante. Cela dépend également des conditions météorologiques au moment de la coupe du raisin (il faut beaucoup de soleil, un peu d’eau et pas de grêle).
La mairie du 18ème décidera avec la préfecture si l’événement peut se dérouler dans les conditions habituelles. Mais tout sera mis en œuvre pour que la Fête soit belle !
Merci à Ginette Rousselin pour la visite du Clos Montmartre
Site de la Commanderie du Clos Montmartre: http://www.clos-montmartre.com/