Présenté lors du Festival du Film britannique et irlandais 2025, « Spilt Milk » a su combler le public français. Construit comme une enquête dans les quartiers sinistrés du Dublin des années 80, le film irlandais fascine par sa technicité, ses (jeunes) acteurs bouleversants et son histoire comédie dramatique.
« Spilt Milk » parle de toutes nos enfances, de nos espoirs et de nos tragédies. Grand réalisateur de publicités, Brian Durnin signe ici son premier long métrage. Il s’agit aussi d’une lettre d’amour à son passé dans les flats – les quartiers de Dublin rongés par la misère mais nourris par la solidarité des mères de famille.
Entretien avec Brian Durnin, réalisateur irlandais.
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Comment décririez-vous le cinéma irlandais ? A-t-il quelque chose de particulier ?
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Je crois que oui. Je pense que nous avons une solide tradition cinématographique. Elle reste toujours aussi forte de nos jours.

Nous avons récemment projeté « Spilt Milk » pour l’IFTA (Académie irlandaise du cinéma et de la télévision), et mon ami réalisateur Colm Bairéad a animé la séance de questions-réponses. Nous avons été à l’université en même temps et partagions déjà une passion pour le cinéma indépendant. Colm est un grand réalisateur, plein d’ambitions. De nos jours, je constate que de bons cinéastes émergent en Irlande et cela semble même avoir un impact à l’étranger.
Je viens de voir « Christy » (2025), réalisé par Brendan Canty, ici au festival [de Dinard]. C’est un film incroyable. Les acteurs irlandais sont également exceptionnels. Cela peut étonner au vu de la taille de notre pays.
Danielle Galligan, qui joue Maura dans « Spilt Milk », est l’une des actrices principales de la série Netflix « House of Guinness ». Elle est en train de devenir une star. Lewis Brophy, qui joue Oisín, est un excellent acteur- lui aussi en pleine ascension. Cillian et Naoise sont tous deux exceptionnels, tout comme Laurence. Est-ce bientôt l’âge d’or pour les acteurs irlandais ? Si l’on ajoute à cela le talent incroyable de toute notre équipe technique… Tout cela peut se voir à l’écran.
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Vous avez réalisé des films pour des marques comme Guinness, Bulmers et Barry’s Tea. Vous considérez-vous comme un artiste totalement irlandais ?
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Bien que j’aie des liens avec les États-Unis – ma mère est née à New York –, j’ai en effet toujours voulu raconter des histoires en lien avec l’Irlande. De nos jours, c’est encore plus fort. Je me sens effectivement comme un artiste irlandais. Aujourd’hui, tout ce que je souhaite c’est de continuer à forger cette identité.
J’ai aussi été indéniablement influencé par le cinéma américain. J’aime particulièrement les personnages des films d’Alexander Payne. Il y a une sorte de mélancolie dans son humour auquel je suis sensible. J’ai toujours adoré les films de Martin Scorsese, surtout quand j’étais plus jeune. « The Butcher Boy » (1997) de Neil Jordan est un excellent film car il mêle à la fois influences américaine et irlandaise.
Je me souviens avoir vu Colin Farrell à ses débuts. Il a fait une entrée fracassante à l’écran. Il a su naviguer entre le cinéma irlandais et américain, et il continue de le faire.
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« Spilt Milk » se déroule en 1984. Est-ce une année importante pour vous ? Les décors font écho au film français « Delicatessen » (1991). Souhaitiez-vous réaliser un beau film sur les quartiers de votre enfance ?
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« Delicatessen » est un film fondateur pour moi. Mon ami Ross McDonnell et moi-même étions fascinés par ce film pendant nos études de cinéma.
Avec « Spilt Milk », je voulais aborder un sujet grave, mais à travers le regard d’un enfant. Tout objet et toute passion liés à l’enfance étaient donc importants à mes yeux. La séquence d’ouverture (un clin d’œil évident à « Delicatessen ») est un condensé de tout cela. De plus, les décors ont été conçus autour d’une palette de couleurs restreintes (comme Jeunet et Caro l’ont fait dans « Delicatessen »).
L’une de mes scènes préférées de « Spilt Milk » est celle où Maura et John dansent dans le salon. J’aime particulièrement les détails : la moquette, le Jean de Maura, l’échange de cigarettes. Malgré les difficultés qu’ils rencontrent, c’est un moment de complicité. Cette scène est emblématique de ce que je voulais transmettre. Même dans les quartiers difficiles, l’amour régnait.
En 1984, l’Irlande ressemblait encore beaucoup à la vision que l’on imagine des années 70. Il y avait eu peu de changements et le pays avait connu une grave crise économique. L’atmosphère était sombre et tout le monde fumait. La palette de couleurs, du gris et du brun, que j’ai découverte lors de mes recherches correspondait à mes souvenirs d’enfance.
Les photographies de l’Irlande de cette époque pouvaient même faire penser à l’Union soviétique. Lugubres mais visuellement fascinantes.
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Il est assez tendance de faire des films sur les années 80. « Spilt Milk » est-il un équivalent irlandais à la série « Stranger Things » ?
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Je ne sais pas si mon film s’inscrit vraiment dans le panthéon des films faisant référence aux années 80. J’éprouve une certaine nostalgie mais nous sommes rarement tombés dans le pastiche pur et simple des années 80. Seules les coupes mulets me manquent (rires). Quand je pense aux années 80, je pense à ma jeunesse, et c’est ce qui m’a le plus inspiré. J’adorais les séries télévisées. Elles reflétaient nos espoirs.
J’ai été profondément touché par le courage des mères qui se sont battues contre les trafiquants de drogue. Les choix qu’elles ont dû faire étaient terribles et courageux. En tant que père, je ne peux même pas imaginer ce qu’elles ont pu vivre. « Spilt Milk » est un film très drôle, mais il y a aussi une certaine noirceur. Les parents ne savent rien des activités de leurs enfants. Nous voyons tout du point de vue du jeune Bobby.
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Pendant vingt ans, face à l’indifférence des autorités, les communautés ouvrières de Dublin ont lutté seules contre le traffic d’héroïne. « Pushers out » (Dehors les dealers) était le grand slogan. Est-ce le deuxième titre de votre film ?
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Oui. Le film traite clairement du mouvement citoyen contre les trafiquants de drogue. Pourtant, nous avons fait le choix de ne pas résumer notre film à cela. « Spilt Milk » raconte surtout l’histoire de Bobby. Le titre reflète même son évolution tout au long du film. C’est en quelque sorte un film d’apprentissage. Il y a une expression en anglais qui dit « le lait est renversé mais cela ne sert à rien de pleurer». Elle correspond à l’ambiance du film. Certains choses vous changent à jamais et c’est irréversible. Le changement est bien souvent nécessaire et « Spilt Milk » se conclut sur une note d’espoir.
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C’était un vrai bonheur de travailler avec des enfants ?
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C’était fantastique de travailler avec les jeunes Cillian O’Sullivan et Naoise Kelly. Ils ont pris leur rôle très au sérieux et leur alchimie fonctionnait. De nombreuses scènes étaient difficiles à tourner et exigeaient une grande finesse de jeu. Non seulement Cillian et Naoise comprenaient les personnages mais aussi l’essence même de l’histoire.
Nous avions des contraintes importantes liées aux horaires de tournage des enfants. En appliquant toutes ces restrictions, nous ne pouvions les voir sur le plateau que 4 heures par jour. Ces règles étant nécessaires à leur bien-être, nous les avons scrupuleusement respectées.
Pour des raisons budgétaires, le tournage a duré 4 semaines, ce qui a tout rendu intense. Malgré cela, l’ambiance était vraiment agréable sur le plateau.
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Que souhaitez-vous explorer à présent ?
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Je travaille toujours sur plusieurs projets, car il est difficile de prévoir lesquels seront financés en premier. Depuis quelque temps, je pense à adapter au cinéma un roman de l’Irlandais Donal Ryan, intitulé « All We Shall Know » (2016). J’espère même que nous pourrons bientôt nous occuper du casting.
Je travaille également sur une comédie se déroulant en Irlande pendant Halloween. J’aimerais également traiter de la question du deuil avec un autre film.
Mes projets sont donc très différents. J’aime l’idée de consacrer mon temps à des projets à la fois personnels, passionnants et indépendants. Il faut tout de même trouver un équilibre avec des aspects plus grand public.
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Photo de couverture : © cineuropa







