Trop souvent ignoré, le gaélique irlandais est pourtant une langue bien vivante en Irlande. Elle est parlée à l’école mais aussi dans les rues de Galway mais aussi de Dublin. Pourtant, le gaélique irlandais est quasiment absent au cinéma. « Aontas« , présenté au Festival du film britannique et irlandais de 2025, a été tourné exclusivement dans cette langue. 3 femmes d’allure innocente cambriolent le Credit Union d’une petite ville du comté de Dublin. Le film y montre les conséquences de ce hold-up mais aussi les origines.
« Aontas » est une course contre-la-montre mais aussi une véritable réflexion sur la vengeance et le deuil. Le gaélique irlandais y apporte son caractère et son authencité.
Entretien avec le réalisateur nord-irlandais Damian McCann, honoré de présenter son film à l’étranger.
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Pouvez-vous décrire le cinéma irlandais ?
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Le cinéma en langue gaélique irlandaise n’en est qu’à ses balbutiements. Nous cherchons encore notre voix et notre ton. Pourtant, l’Irlande possède une longue histoire et une grande littérature. Je suis ravi de pouvoir participer à un nouveau mouvement artistique. En Irlande du Nord, le cinéma a été revitalisé par l’influence d’un genre nouveau : celui de la série télévisée « Game of Thrones ». De nombreuses scènes ont été tournées là-bas et cela a clairement mis en lumière mon pays. Aujourd’hui, les équipes nord-irlandaises sont du même niveau que les équipes américaines. Nous sommes plus à même de réaliser de grands films. La ville de Belfast est même considérée comme un lieu de prédilection pour les cinéastes indépendants.
L’Irlande du Nord est également un lieu à part car nous mêlons humour et noirceur et cela marche. Je pense que le climat pluvieux et frais rend les choses plus sombres. Nous avons toujours aimé nous asseoir autour d’un feu pour raconter des histoires. Nous faisons à présent du cinéma avec cet héritage. Ces dernières années, de nouveaux grands cinéastes de films d’horreur ont émergé en Irlande du Nord. Tout cela est prometteur.
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Vous avez documentariste. Pourquoi avez-vous décidé de réaliser une fiction ? Avez-vous adopté une approche similaire ?
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J’ai toujours voulu réaliser un drame, mais je n’en ai jamais eu l’occasion. Je me suis donc tourné vers le documentaire. Cela m’a permis d’apprendre à gérer une équipe et mon temps. C’est aussi un excellent terrain d’entraînement pour construire une bonne structure narrative. Dans le genre non-fiction, on accumule beaucoup d’informations qu’il faut structurer afin de toucher au mieux le public. La plupart du temps, on le fait sans scénario. Alors, quand j’ai eu l’opportunité de réaliser un long métrage, j’ai apporté beaucoup de cette discipline. Je crois que cette importance de la structure a certainement influencé mon travail narratif.
« Aontas » est un film à petit budget. J’ai par conséquent décidé d’engager des acteurs ayant avant tout une expérience au théâtre plutôt qu’au cinéma. Ce sont des artistes qui ont un certain niveau de préparation, ce qui, en tant que réalisateur, permet d’avancer plus rapidement.
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« Aontas » est-il un hommage à la langue gaélique irlandaise ?
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Je pense à croire que je suis d’abord un défenseur du gaélique irlandais, et ensuite un cinéaste. C’est une langue magnifique, et nous devons la parler, la mettre en valeur. « Aontas » aurait été tellement différent s’il avait été tourné en anglais.
J’adore montrer mon film à un public international qui n’a jamais entendu parler du gaélique. Dans toute l’histoire du cinéma, seulement 15 à 20 films ont été tournés avec cette langue.
Presque aucun genre cinématographique n’a été abordé en langue irlandaise. Ce qui fait que chaque nouveau film est une première. Avec « Aontas », je voulais réaliser le premier long métrage de braquage en irlandais. J’espère que ce ne sera pas le dernier ! Les possibilités sont immenses.
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De quel personnage féminin d’« Aontas » vous sentez-vous la plus proche ?
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Je me sens plus proche de Mairéad, le personnage de Carrie Crowley, car je m’intéresse aux personnages rongés par la vengeance. Ils sont obsédés, ont un but donc fascinants. Je comprends Mairéad. C’est une personne honnête mais elle traverse une période très difficile. Sarah Gordon, ma femme et co-scénariste du film, et moi avons beaucoup discuté de la question des personnes meurtries qui, à leur tour, blessent d’autres. C’est la question de la notion du caractère cyclique de la vengeance.

En grandissant à Belfast, dans une période de conflits, j’entendais d’innombrables histoires de vengeance. Chaque jour, dans les journaux, on apprenait que des personnes commettaient des actes de violence contre d’autres qui avaient commis des actes de représailles. J’y pense encore beaucoup. Je me rappelle de ces personnes, souvent des voisins, et à ce cycle sans fin de violence. Peut-être parce que je suis à présent père de famille et je ne veux pas transmettre de tels sentiments à mes enfants.
À quel moment, et comment peut-on mettre fin à ce cycle ?
« Aontas » est aussi un film sur la mémoire et la douleur. Chez moi, un dicton dit que « nous partageons une histoire, mais pas de mémoire. » Selon moi, la vengeance et la mémoire peuvent tout à fait être traitées au cinéma.
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Le dénouement du film a-t-il été complexe à réaliser ?
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C’est une fin ouverte mais pour être franc, j’ai ma propre version sur ce qui se passe. Je laisse pourtant le public se forger sa propre interprétation. La vengeance est une notion complexe – nos souvenirs sont complexes, et « Aontas » se doit de refléter cela – ce film doit rester une énigme.
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Si vous pouviez revenir en arrière, referiez-vous le même film ?
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Je ne pense pas que j’aurais la patience de l’écrire à nouveau (rires). C’était tellement complexe, mais je suis très fier du film.
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Photo de couverture : © Nathan Magee