Depuis quelque temps, une nouvelle artiste a squatté les murs des rues de Paris. Avec le trait soigné, Oja met en valeur des femmes sous la forme d’ex-voto. Avec une inspiration certaine de l’art portugais azulejos, Catherine Deneuve, Mylène Farmer, Madonna ou encore Ellen Ripley sont installées dans l’espace public. Le cadre, le regard, « l’épigraff »,… tout est remarquable. Oja n’est pourtant qu’à ses premières œuvres. Impatients de connaître la suite de cette aventure street art, nous nous sommes rendus dans l’atelier d’Oja. Les livres, les cartes postales, les photos soigneusement rangés parlent tous de son univers et de ses inspirations.

Plongée dans un bel univers graphique.

 

 

Graphiste, vous avez souhaité développer un projet plus libre mais pourquoi avoir choisi le street art ?

 

 

Ayant déjà exploré de nombreux aspects des arts graphiques en 15 ans, coller dans la rue m’a permis de montrer mon travail au plus grand nombre qui peut d’interagir librement avec. J’aime également le fait de m’approprier l’espace public, tout en respectant certainesCD 4 règles. Coller ma première création à la Butte aux Cailles a été difficile, à cause de l’appréhension, mais le street art est rapidement devenu une addiction.

J’ai commencé à coller pendant le confinement. J’ai rencontré d’autres personnes qui ont démarré au même moment. Parfois, nous collons en groupe ou je colle seule. Paris vide était un espace incroyablement libre. Aujourd’hui, c’est devenu un peu plus compliqué de coller car il y a à nouveau des parisiens et des touristes partout dans la ville et à toutes heures.

C’est un vrai plaisir de repasser dans la rue, quelques jours après, et de voir si mes collages sont déchirés, perdurent ou si des personnes ont interagi avec en écrivant dessus ou en collant d’autres choses à côté.

 

 

Où commence le travail de graphiste ?  Où commence le travail de collage ?

 

 

Avant la création, je fais beaucoup de recherches sur mon sujet. Lorsque je réalise un ex-voto, j’essaye d’y mettre un condensé d’éléments et de codes que je traduis ou dissimule graphiquement en les dessinant. Après lorsque mes affiches sont imprimées, c’est le fait de les coller dans la rue, et donc de passer à l’acte, qui en font du street art.

 

 

Les azulejos, art ancestral et typique du Portugal, sont-ils un véritable jeu pour une artiste ou fallait-il tout de même trouver sa propre signature ?

 

 

Mon nom d’artiste, Oja, vient justement de quelques lettres extraites du mot azulejos.
Depuis quelques années, je voulais faire du street art mais je cherchais comment représenter cette envie et quelle forme lui donner. Je suis passionnée par beaucoup de choses donc je voulais rassembler tout dans un seul projet artistique.

En allant à Lisbonne, j’ai eu un énorme coup de cœur visuel pour l’art des azulejos. La représentation d’un sujet cadré par une ornementation foisonnante ou juste graphique et la simplicité de la chromie impactante sont devenus une évidence. En rentrant à Paris, tout c’est débloqué. J’avais enfin trouvé la manière de traduire graphiquement tout ce que je voulais dire et montrer.

Le sujet m’a passionné et je viens même de terminer la lecture d’une thèse sur l’histoire des azulejos. J’aime les origines et l’influence mondiales de ces céramiques. C’est la porcelaine chinoise qui a influencé les Hollandais avec Delft et puis l’inspiration a été italienne et l’art s’est exporté en Espagne. Des ateliers sont nés au Portugal et la tradition est restée dans ce pays. On retrouve également des azulejos au Brésil importés par les migrants portugais.

Mais si je reprends les couleurs bleu-jaune et l’effet carrelage des azulejos, mes ex-voto s’inspirent surtout de l’ornementation funéraire et de l’univers du personnage que je représente.

 

02-SFONTANEL A1

 

Vous parlez d’ex-voto. Vos créations sont avant tout des hommages/des remerciements ?

 

 

Mes portraits sont représentés en médaillon sous la forme d’ex-voto. Ils reflètent les contradictions de notre société surmédiatisée et « surréseausociabilisée », en mettant une personne sur un piédestal un jour et en la clouant au pilori le lendemain, sans chercher parfois à comprendre le pourquoi du comment. Le concept est de noter des faits sans les juger. Je mets également un point d’honneur à représenter des personnalités à l’âge qu’elles ont aujourd’hui. L’âgisme est un combat qui me touche autant que le féminisme. Cela me gêne lorsque je lis un article sur une personne encore vivante et qu’uniquement des photos d’elle jeune illustrent l’article.

Pour chaque personnalité, j’incorpore des détails précis en lien avec son histoire. Je me documente beaucoup et rien n’est laissé au hasard. Tout ce travail artistique me prend un temps fou. Cela pourrait paraître futile mais je suis récompensée par le retour des gens qui perçoivent et ressentent ce que j’ai voulu montrer.

 

 

Catherine Deneuve est-elle devenue un étendard ?

 

 

Un étendard personnel alors. Il s’agit de ma première œuvre, donc ce portrait est devenu cher à mon cœur d’au tant que cela fait plus d’un an que je le colle dans les rues de Paris. C’est « Ma Catherine », mais surtout ma représentation de l’iconique Catherine Deneuve. C’est vrai que c’est un peu devenu ma signature. C’est une création unique et comme pour l’ornementation, je me mets dans le portrait toutes les attitudes qui résument la personne. Je me sens plus comme un dj-remixeur-sampleur d’images.

 

 

01-CDENEUVE A1 2019

 

 

L’œuvre s’est-elle détachée de la star ?

 

 

En 2018, Catherine Deneuve a signé la tribune « Le Monde » qui défendait « une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » en plein mouvement #metoo et #balancetonporc. Cela a été son choix. L’épigraff que j’ai choisi pour Catherine Deneuve résume bien l’histoire. « Je ne suis pas un monument » est là pour vous dire : « Vous m’avez sacralisé en me donnant un statut de star mais je suis aussi un être humain. Je ne suis pas infaillible et je suis libre de mes actes de mes pensées ». Je préfère représenter la femme derrière l’image médiatique. En aucun cas, je ne souhaite juger les personnes que je représente. La société s’en charge pour moi. Je note juste et montre la réaction de la société avec ironie.

 

 

Certaines figures se démarquent par « l’épigraff » mais aussi par une couleur. Fixent-elles le passant pour mieux s’exprimer ?

 

 

Ma dernière création, Médusa, est en effet basée sur l’échange de regard qu’elle peut avoir avec les passants en les interpellant. Je pense que cela a marché puisque certaines gorgones ont eu les yeux arrachés. Cela m’amuse beaucoup et j’adore ce genre d’interaction avec mes collages. C’est signe qu’on a été remarqué et qu’on a suscité une réaction ou une émotion chez l’autre.

 

 

Violet, vert, multicolore….. Est-ce un art infini ?

 

 

Tout art est en constante évolution, comme mes passions et mes envies. Par conséquent, il n’y a en effet aucune limite.

 

 

Vous avez choisi d’exposer Ripley plutôt que Sigourney Weaver. C’est une combattante mais aussi une figure sensuelle. Est-ce la femme victorieuse ?

 

 

On peut voir cela en effet. Ripley est clairement une femme forte qui s’est endurcie suite aux contraintes de la dangerosité de son environnement. Même si je reprends une citation02-SFONTANEL A1 du film « Aliens » (1986) de James Cameron « Get away from her you bitch », l’inspiration du visuel vient d’«Alien la Résurrection » (1997) de Jean-Pierre Jeunet. Il s’agit de mon épisode préféré. Sigourney Weaver, que j’admire énormément, est à son apogée d’actrice dans cet épisode. Cette attitude mi-sensuelle mi-animale proche des xénomorphes, est incroyable pour un rôle de femme.

Avec cet ex-voto, j’ai aussi voulu rendre hommage à l’artiste suisse Hans Ruedi Giger, créateur d’alien. Je suis terriblement fan de son univers cauchemardesque et organique et j’avais des posters de ses œuvres au mur de ma chambre d’étudiante. Il avait d’ailleurs créé les décors de la tournée Mylenium Tour pour Mylène Farmer, dont j’ai réalisé l’ex-voto. Je rêve de retourner au Giger’s bar à Gruyère en Suisse. Nous pourrions y inviter Sigourney Weaver, Mylène Farmer et Catherine Deneuve d’ailleurs ?!

 

 

« Métropolis » (1927) est un film qui montre une société de moins en moins humaine. Vous faîtes apparaître pourtant une Maria qui maîtrise son environnement. Est-ce également aussi une conclusion, une victoire sur la machine ?

 

 

L’épigraff reprend là aussi une citation célèbre du film : « Mittler zwischen Hirn und Händen muß das Herz sein » « Le médiateur entre le cerveau et la main doit être le cœur ».

Ayant prévu un voyage à Berlin pour une session de collage street art, réalisé l’ex-voto de Maria de « Metropolis » s’est imposé. Ce personnage tour à tour femme et robot, représente tous les archétypes et stéréotypes de la femme. La vierge, l’enfant, la mère, la vampe, la manipulatrice, l’objet… elles y sont toutes ! Fritz Lang a réalisé le film, mais c’est intéressant de savoir que c’est la femme du réalisateur, Théa Von Harbou, qui a écrit le scénario et qui quelques temps après a adhéré au parti nazi. Passionnée par l’Art Déco, l’Art gothique et le rétro-futurisme, ce fut un vrai plaisir de créer l’ornementation de Métropolis qui reprend tous ces codes et cette symbolique.

 

 

02-SFONTANEL A1

 

 

Quels sont vos projets ?

 

 

Je vais réaliser d’autres ex-voto bien entendu. Et en parallèle, je travaille actuellement sur la création de pochoirs. Je vais prochainement réaliser mes ex-voto en peinture à la bombe – une autre technique du street art, qui sera complémentaire à celle du collage.

 

 

OJA 2

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