Maître incontesté dans l’art, Henri Rivière (1864-1951) continue encore de nos jours à surprendre et à émouvoir. Peintre, sculpteur, illustrateur ou encore directeur artistique du théâtre d’ombres au cabaret parisien Le Chat noir, l’artiste ne semble par connaître de limites dans sa créativité. Au début des années 1880, Henri Rivière commence à réaliser des séries d’estampes. D’inspiration japonisante, ces dernières offrent une nouvelle vision des paysages et des visages. La Bretagne mais aussi Paris avec la « jeune » Tour Eiffel sont admirablement retranscrits. Bien qu’admiré à l’étranger, Henri Rivière est aujourd’hui un artiste peu célébré en France. « Le catalogue raisonné » publié par les éditions Locus Solus rassemble toutes les œuvres lithographiées donc, qui comptent aussi affiches, panneaux de spectacle, etc., fidèlement reproduites, indexées, accompagnées de commentaires de spécialistes référents.
Quatre personnalités ont participé à ce livre : le collectionneur Yann Le Bohec, l’historien Olivier Levasseur, l’écrivain Erik Orsenna et le dessinateur André Juillard.
Chacun témoigne de leur admiration pour le travail d’Henri Rivière et nous fait découvrir des œuvres majeures de notre temps.
Entretien avec André Juillard et Olivier Levasseur.
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En quoi plus de 70 ans après sa mort, Henri Rivière reste un artiste aussi captivant et mystérieux à la fois ?
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Olivier Levasseur : Les œuvres de Rivière sont extraordinaires de précision et de qualité. Son parcours est atypique : il ne suit quasiment aucune étude artistique et fait preuve d’une très grande ingéniosité, notamment dans ses travaux pour le théâtre d’ombre du Chat Noir avant de se consacrer presque exclusivement au travail de l’estampe. Mystérieux car l’homme, dont le travail artistique est immense, est d’une grande discrétion. Ses mémoires, dictées à la fin de sa vie, ne lèvent que très partiellement le voile sur son parcours et ce travail reste à faire…
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Pour quelles raisons un catalogue sur l’œuvre d’Henri Rivière n’avait pas été réalisé depuis 1907 ?
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Olivier Levasseur : A partir des années 1980, il y a eu un mouvement de reconnaissance de l’oeuvre de Rivière, notamment depuis les Etats-Unis avec le travail d’Armond Fields (1983) qui fit un premier catalogue raisonné, bien que parfois incomplet. Il n’y avait rien eu depuis 1907 car le travail lithographique de Rivière cesse vers 1916 et que, progressivement, Rivière s’efface du milieu de l’art. C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de proposer un catalogue raisonné, aussi complet que possible de son travail lithographique. Nous travaillons actuellement au second volume, qui sera consacré aux bois gravés et qui devrait paraître à la fin de cette année 2023.
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En quoi Les liens entre Henri Rivière et la Bretagne sont forts. Vous, les 4 participants du catalogue raisonné des lithographies, êtes liés plus ou moins avec la région. Doit-on avoir un rapport avec la Bretagne pour parler de l’art d’Henri Rivière ?
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Olivier Levasseur : je ne crois pas qu’il le faille. L’art de Rivière est universel.
André Juillard : Je ne le crois pas. Un des premiers ouvrages à propos d’Henri Rivière que j’ai pu étudier a été édité par des Américains (dont Armon Fields). Une grande exposition a d’ailleurs été organisée à Los Angeles. L’événement a pu permettre la réédition des « 36 vues de la Tour Eiffel ». Par conséquent, même si Henri Rivière a sillonné et dessiné pendant longtemps la région, l’étude de son art n’est pas l’apanage des Bretons.
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« Depuis que j’ai vu les pins du beau pays de Bretagne figurés dans nombre de lithographies de Rivière, je n’ai cessé de dessiner moi-même ». Quand Henri Rivière est-il apparu dans votre vie ?
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André Juillard : J’ai découvert ses œuvres dans une biographie qui était en solde. C’était il y a plus de 30 ans. J’ai été happé par la couverture. J’ai également été à une exposition organisée au Musée d’Orsay. J’ai étudié avec grand intérêt le catalogue. Des images que Rivière avait prises révélait également son talent pour la photographie. Ses photos l’ont d’ailleurs aidé à réaliser les « 36 vues de la Tour Eiffel ».
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Que représente la Bretagne illustrée par Henri Rivière ?
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Olivier Levasseur : Si l’on s’en tient aux estampes (bois gravés, lithographies et eaux-forte), la Bretagne en représente sans doute plus des 3/4 ! La Bretagne est la source majeure d’inspiration de Rivière. Pour être plus précis, la Bretagne de Rivière est extrêmement localisée autour de quelques pôles situés sur le littoral : la côte d’Emeraude et la côte de granit rose pour les bois gravés, l’estuaire du Trieux, Camaret/ Crozon et Dournanenez/Tréboul pour les lithographies et les eaux-fortes. Il délaisse les sites les plus connus comme Pont-Aven ou Belle-Ile- qu’il n’aborde qu’exceptionnellement…
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André Juillard – Que représente votre préface illustrée ?
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André Juillard : Ce paysage est le fruit de mon imagination. J’ai une grande fascination pour la mer et j’aime beaucoup les pins. C’est un paysage qui pourrait se trouver dans les montagnes, en Bretagne ou encore au Japon.
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Aimez-vous le peintre japonais Hokusai grâce à Henri Rivière ?
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André Juillard : J’avais découvert l’art d’Hokusai avant que je connaisse celui de Rivière. J’ai pu découvrir un grand nombre d’estampes originales exposées au Centre culturel suisse de Paris. Les « 36 vues du Mont Fuji » sont un travail de série remarquable. Avec Rivière, j’ai vu, sous une autre perspective, le travail d’Hokusai.
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Henri Rivière est-il reconnu au Japon ?
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Olivier Levasseur : Oui tout d’abord de son vivant par l’intermédiaire d’Hayashi, marchand et collectionneur qui fut son ami et pour lequel réalisa des vastes panneaux décoratifs. Puis une grande exposition itinérante est organisée à partir des œuvres de la dation Noufflard à la BNF dans plusieurs villes du Japon en 2009.
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André Juillard – En 2022, vous avez exposé à la Galerie Collin à Paris des dessins croisés avec Henri Rivière et vous avez revisité ses « 36 vues de la Tour Eiffel ». Comme vous, Rivière était originaire de Paris. Ces dessins croisés sont-ils un hommage à Paris ?
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André Juillard : Oui. Paris est d’ailleurs présent dans un grand nombre de mes bandes dessinées. J’ai dessiné Paris au XVIIème siècle mais également celui qui est contemporain. La tour Eiffel est un monument si emblématique et si unique que j’ai eu le plaisir de le dessiner.
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Dans un de vos dessins, vous intégrez le requin mécanique de « Tintin et le Trésor de Rackham le Rouge » (1945). Est-ce aussi une façon de marquer votre originalité face à Henri Rivière ou un simple rappel de votre activité de dessinateur de bande dessinée ?
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André Juillard : Oui. Il s’agit d’une façon d’introduire la bande dessinée dans l’univers d’Henri Rivière. Peut-être qu’un jour nous pourrons voir une partie de la tour Eiffel engloutie par la Seine. Il y a des millions d’années, Paris était sous les eaux.
En étudiant les « 36 vues de la Tour Eiffel », j’avais pu remarquer que Rivière s’était servi de prétexte pour illustrer le monument afin d’évoquer le Paris de la vie quotidienne. On peut y voir en effet des ouvriers et des ouvrières au travail ou encore les bateaux qui crachent de la fumée. Hokusai avait d’ailleurs illustré le Mont Fuji pour également parler de la vie japonaise. Pour chacun des deux artistes, l’humain fait partie du paysage.
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Y’a-t-il un changement de style à la fin de la vie d’Henri Rivière ?
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Olivier Levasseur : Le changement est avant tout dû à son abandon définitif des techniques de l’estampe après la première guerre mondiale, qui coïncide avec son départ de Bretagne. Dès lors Rivière ne se consacrera plus qu’exclusivement à l’aquarelle dans plusieurs régions de France.
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Le travail d’Henri Rivière continue-t-il de vous surprendre ?
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Olivier Levasseur : Oui c’est un travail fascinant. Autodidacte, Rivière est un grand technicien de l’estampe et les quelques témoignages que l’on connaît mettent en avant son implication dans les aspects techniques lors de son travail de conception et d’impression de ses œuvres. La grande modernité de son travail, qui a plus d’un siècle aujourd’hui ne cesse d’étonner.
André Juillard : Je reste surtout surpris par son parcours. Rivière a brusquement arrêté de réaliser des lithographies et des gravures pour faire uniquement des aquarelles. Son travail n’a alors plus eu la même puissance selon moi. Les aquarelles sont plus convenues alors que les gravures japonisantes révèlent un travail remarquable.
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