« Mon golem tes yeux ont vu » (Psaumes 139:16). Dès les textes sacrés, le terme de Golem apparaît.

Issu de l’hébreu signifiant « masse informe » ou « embryon », le mot désigne dans le folklore juif d’Europe centrale un être artificiel à forme humaine. Née de la terre glaise, la créature est un serviteur miraculeux. Dans le temps, le Golem devient tout de même encombrant car il accomplit trop mécaniquement les ordres de ses maîtres – avec tous les risques que cela comporte. Pire, ce géant d’argile pourrait devenir indépendant.

Encore de nos jours, la figure du Golem continue de vivre dans notre imagination. Au cinéma, dans l’art mais aussi dans les jeux vidéo avec le Pokémon Grolem. Mais qui est ce monstre à la fois proche et éloigné des humains ?

Entretien avec Ada Ackerman, historienne de l’art, chargée de recherches au CNRS, unité mixte de recherche Thalim, et directrice de l’ouvrage « Golem | Musée d’art et d’histoire du Judaïsme« .

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Adam, premier homme, est-il également le premier golem ?

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Au même titre que le Golem, Adam a été modelé en argile. Par ailleurs, dans l’Ancien testament on relève un psaume adressé à Dieu. Il semble que ce soit Adam qui s’y exprime. Il se rappelle le moment où il n’était pas encore conscient ; où il n’était qu’une créature informe. Le terme utilisé est golem. Lexicalement, le premier de cette espèce serait par conséquent Adam. C’est également la seule fois où le terme golem apparaît dans la Bible.

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Le Golem, créature conçue par les hommes eux-mêmes créations de Dieu, s’apparente-t-il pourtant plus à un animal qu’un humain ?
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Il est à l’image de l’homme au même titre que ce dernier est à l’image de Dieu. Cependant, le Golem est dénué de parole et ne peut se reproduire. Les premiers textes ne lui donnent même pas de genre – ni féminin ni masculin. Le Golem serait donc neutre.

Que ce soit dans le cercle restreint des kabbalistes juifs et dans les légendes au fil des siècles, il s’agit d’une créature qui ne dispose pas de libre-arbitre. Initialement, le golem sanctifie uniquement une proximité avec Dieu. Tout fidèle juif, respectueux des commandements et observant des rituels bien spécifiques, peut espérer en créer un.

Dans la légende la plus connue, qui apparaît au XIXe siècle, le Golem est conçu par le célèbre Maharal de Prague, Rabbi Loew, afin de protéger les Juifs du ghetto accusés à tort de meurtres rituels. Suivant des instructions reçues en rêve, le sage confectionne un géant d’argile, qui mène à bien sa mission. Cependant, un jour, le rabbin oublie de désactiver sa créature au moment du Shabbat, qui signifie pour les Juifs un temps de repos. Le Golem continue de travailler ; et parce qu’il enfreint la loi, il se dérègle et sème le désordre partout où il passe. Le Rabbin doit alors le détruire immédiatement.

Dans une autre légende, l’épouse du Rabbin décide d’employer le Golem à des tâches ménagères pour se soulager et l’envoie chercher de l’eau au puits. N’étant plus au service d’une communauté comme initialement prévu, mais d’un seul individu, le golem se détraque :il ramène sans cesse des seaux d’eau sans plus pouvoir s’arrêter, inondant tout. Une telle scène a pu inspirer Walt Disney pour le film « Fantasia » (1940) et bien avant cela pour L’Apprenti sorcier de Goethe. Le golem doit de toute urgence être démantelé.

Son rôle est ainsi supposé se limiter à celui d’un exécutant. Il est intéressant de noter que dans les légendes, on souhaite mettre le golem hors service précisément au moment où il commence à agir de son propre chef, à nourrir des sentiments humains : solitude, amour, colère… , à susciter du désir. Paradoxalement, il bascule ainsi dans le monstrueux lorsqu’il se rapproche de l’humain.  Ce qui offre, soit dit en passant, un potentiel dramaturgique et dramatique bien plus intéressant !
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Le Golem est un colosse mais qui peut être détruit lorsque le mot EMET sur son front est effacé. Est-ce finalement un géant aux pieds d’argile et par conséquent une victime ?
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Les cercles kabbalistiques s’interrogent très tôt sur la signification et la portée à accorder au meurtre éventuel d’un golem — tout comme d’ailleurs sur la capacité d’un golem à participer à des rituels religieux ! Dans la mesure où on lui refuse une conscience, un statut humain, on le traite donc comme un objet, dont la disparition n’a pas de valeur morale ou éthique. Le considérer comme une victime reviendrait à le percevoir comme un être vivant doté d’une conscience de soi. Toutefois, dès lors que le Golem devient, notamment à partir du XIXe siècle, une créature qui migre du domaine kabbalistique vers celui des légendes et des récits, ses interprétations symboliques se démultiplient et s’enrichissent. On lui prête volontiers le visage d’un esclave se révoltant contre sa condition et luttant pour conquérir sa liberté, ce qui a pu conduire différents groupes opprimés à s’identifier à lui et l’adopter comme symbole ; certaines féministes comme Rachel Adler ont pu ainsi considérer que le Golem représentait la condition de la femme juive traditionnelle, soumise à son mari et dépourvue de voix propre.
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Est-il une façon de prévenir un éventuel danger envers les ennemis des Juifs ?

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Les premières légendes liées au Golem le présentent comme un protecteur d’une communauté juive menacée de persécutions dans le contexte d’une Europe orientale et centrale traditionnellement antisémite, où les pogroms étaient récurrents. C’est cette dimension que retiennent de nombreux artistes juifs ayant émigré aux Etats-Unis pour fuir le nazisme lorsqu’ils imaginent des super-héros aux forces surhumaines ; le Golem, dont ils connaissaient bien les légendes, leur en fournit le prototype, de Superman à Hulk, en passant par la Chose (des 4 Fantastiques). Notons que dans la plupart des cas, ces super-héros sont condamnés, comme le Golem, à ne pouvoir vivre parmi les humains, en raison de leurs pouvoirs extraordinaires mais aussi d’une composante souvent monstrueuse. 

Dans les multiples interprétations qui ont pu en être faites, cette dimension protectrice a pu revêtir une dimension universelle, ne se limitant plus à la seule communauté juive : Amos Gitai propose ainsi, par exemple, dans Golem l’esprit de l’exil, que la créature protège l’ensemble des déracinés, des personnes condamnées à l’exil, à la migration, un propos éminemment actuel s’il en est.

De façon plus générale, on peut remarquer que la figure du Golem s’impose à des moments de bascule pour l’humanité : ce n’est pas un hasard si la trilogie cinématographique consacrée au Golem par Paul Wegener, qui popularise cette figure jusqu’aux Etats-Unis, est contemporaine de la première guerre mondiale, soit d’un conflit durant lequel la mort s’est industrialisée, via les évolutions de l’artillerie et le recours aux tanks : le Golem est comme un super-soldat fait d’argile, comme émanant des tranchées. qui sème la mort et la violence au moment où il se détraque. Durant la guerre froide, le golem incarne désormais dans de nombreuses fictions littéraires et cinématographiques la menace nucléaire, pouvant détruire l’humanité toute entière.

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Le Golem est-il une inspiration pour la créature de Frankenstein et de Superman, personnage imaginé par les artistes juifs Jerry Siegel et Joe Shuster ?

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Mary Shelley, romancière de « Frankenstein ou le Prométhée moderne » (1818), aurait en effet pu avoir écho des légendes juives mettant en scène le Golem. La créature de Frankenstein et le géant d’argile partagent un certain nombre de points communs : vie artificielle, révolte contre leur créateur, force surhumaine… Peut-être plus qu’un rapport d’influence directe ou de filiation, il faut voir dans ces proximités la traduction d’une inquiétude universelle partagée quant aux objets créés par l’homme dont il n’a pas complètement le contrôle, et par une soif de savoir et de pouvoir qui se transforme en hubris, en arrogance vis-à-vis d’un certain équilibre du vivant.

En ce qui concerne Superman, le Golem a en effet été une inspiration comme je le suggérais précédemment. Le roman « Les Extraordinaires Aventures de Kavalier et Clay » (2000) de Michael Chabon met bien en scène la façon dont les légendes du Golem ont nourri l’imaginaire des créateurs de comics américains. Mais aujourd’hui, bien des publics friands de super-héros à la Marvel ignorent que ces derniers ont des ancêtres issus du folklore juif ! Ce qui témoigne de la façon dont la figure du Golem s’est popularisée, internationalisée, globalisée, au point de faire partie d’un bestiaire fantastique mondial, où le golem jouxte le vampire ou le zombie. C’est très clair dans l’industrie du jeu vidéo, où l’on trouve de nombreux Golems bien lointains de leur contexte juif d’origine. Cette fécondité de la figure du golem, que de nombreuses cultures ont adoptée, est clairement l’une de ses forces.

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La figure du Golem peut-elle être anti-juive ?

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La figure du Golem a pu en effet être mobilisée dans des discours antisémites pour stigmatiser une monstruosité juive présumée — une rhétorique nauséabonde qu’on a pu beaucoup retrouver sur Internet. Cet emploi montre bien comment, à l’instar de ce qui se passe dans les légendes, le Golem peut se retourner symboliquement contre son créateur.

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Le Golem existe-t-il toujours parmi nous ? le robot en est-il l’héritier ?

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L’humain a toujours été obsédé de créer un double de lui-même afin d’être assisté dans ses tâches et finalement de se prendre lui-même pour Dieu. De nombreux mythes du monde entier mettent en scène ce désir de vie artificielle, du géant Talos, qu’aurait forgé Héphaïstos en passant par les outils animés légendaires du charpentier Lu Ban évoqués par Mozi.

Le robot poursuit ce rêve d’un double de l’humain. Son lien avec le Golem en passe par la langue puisque le terme robot vient du tchèque Robota qui veut dire « Le labeur ». Les frères artistes Josef et Karel Čapek l’ont inventé pour la fameuse pièce de théâtre, « R.U.R. » (1920), qui mettent en scène des robots se révoltant et anéantissant l’humanité. Originaires de Prague, les Čapek connaissaient très bien les légendes du Golem. Ils ont d’ailleurs écrit un opus, L’Homme artificiel, où ils dressent une généalogie qui va du golem au robot, en passant par les soldats blessés de la Première Guerre mondiale et munis de prothèse.

Le Golem est aussi l’ancêtre, en quelque sorte, de l’ordinateur.

Gershom Scholem, grand spécialiste de la kabbale, avait proposé de nommer le premier ordinateur israélien en service Golem Aleph (1). Il voyait en effet un lien entre l’informatique et le golem car chacun fonctionne à partir d’une combinaison de lettres et de codes — rappelons que dans la culture juive, l’on stipule que Dieu aurait créé le monde à partir de lettres, en les combinant.
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Qu’est-ce qui vous surprend le plus avec le Golem ?

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Il s’agit d’un sujet infini, dont les interprétations s’enrichissent en permanence. Sans cesse, c’est une créature qui revient, dotées de nouvelles significations, de nouvelles résonances et qui présente une capacité extrême à se faire l’écho de son temps. Loin de se cantonner à la sphère juive dont il est issu, le Golem a acquis un potentiel d’universalité qui m’intéresse au plus haut point : monstrueux mais aussi proche de l’humain. ll incarne ce que nous ne voulons pas ou ce que nous craignons, ce qui met en crise nos catégories, nos limites, nos conceptions. C’est une figure du passage, de la circulation, de la négociation entre des domaines qui devraient s’exclure. La mutabilité du Golem, sa subversivité, ai-je donc envie de dire, a encore beaucoup à nous apprendre.

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