Le 30 septembre 2024, à la Cité internationale de la Tapisserie à Aubusson (Creuse), une aventure longue de 12 ans s’est achevée avec l’exposition « Aubusson tisse Tolkien – l’aventure tissée. En lien direct avec la famille de J.R.R. Tolkien, ce sont près de 160m2 de tissage qui ont vu le jour à travers 14 tapisseries et 2 tapis interprétant en textile les illustrations originales de l’auteur de la saga mythique « Le Seigneur des anneaux ».
Une quarantaine de personnes et pas moins de sept ateliers de tissage ont ainsi contribué à mettre en laine les illustrations de J.R.R. Tolkien faisant de cette tenture une aventure éminemment collective. Le catalogue de l’exposition retrace toutes les étapes du projet.
Entretien avec Alice Bernadac, Conservatrice du Musée de la Cité internationale de la tapisserie, afin de retracer cette interprésentation tissée de l’univers de Tolkien.
.
.
.
.
12 ans ont été nécessaires pour la réalisation d’« Aubusson tisse Tolkien ». Comment un tel projet a-t-il perduré ?
.
.
.
.
Ce projet s’est en effet inscrit sur le temps long. L’idée même était de renouveler la tradition de création de grandes tentures en tissant des scènes et des thèmes connus du grand public, permettant ainsi de suivre, année après année, la réalisation de chaque pièce composant la série.
La réalisation d’une tapisserie est aussi un travail collectif de longue haleine car il y a un temps important de préparation. Le comité de tissage de la Cité internationale de la tapisserie a pu bénéficier de l’aide de René Duché, lissier Meilleur Ouvrier de France, référent technique à la retraite, et de Delphine Mangeret, dessinatrice-cartonnière de la tenture. Nous avons ainsi élaboré les gammes de couleurs en amont, les matériaux et les échantillons de référence pour chaque tapisserie.
Il a également fallu gérer l’aspect administratif. Les œuvres de J.R.R. Tolkien étant sous droits d’auteur, nous avons contacté le Tolkien Estate, qui a informé Christopher Tolkien, le fils cadet de l’auteur du “Seigneur des Anneaux”, de notre projet.
L’équipe était consciente que tout cela allait être long. Les collectivités territoriales membres du Syndicat Mixte de la Cité, le FEDER, la fondation d’entreprise AG2R La Mondiale pour la Vitalité Artistique, le Crédit agricole Centre-France et le Tolkien Trust ont accepté de financer le projet. Malgré la pandémie de 2020, jamais le projet n’a été abandonné. Les équipes ont repris le tissage dès lors que nous avons obtenu les autorisations de revenir sur les lieux de travail. Le projet a juste connu 4 mois de retard.
.
.
.
.
.
.
.
.
28 illustrations de J.R.R. Tolkien ont été sélectionnées pour être transposées en tapisserie. Sont-elles avant tout esthétiques ou sont-elles des parts majeures des récits de la Terre du milieu ?
.
.
.
.
Les illustrations ont été sélectionnées pour leur pertinence et leur adaptabilité aux techniques de tissage, en collaboration avec Christopher et Baillie Tolkien. L’équipe de la Cité a voulu explorer un éventail large des œuvres de Tolkien, comme par exemple des Lettres du Père Noël (1920-1940), que J.R.R. réalisait pour ses enfants. Initialement, seules 14 scènes étaient prévues, mais en 2020, le Tolkien Trust a offert à la Cité 2 tissages supplémentaires.
.
.
.
.
En quoi la carte de la Terre du Milieu est une œuvre majeure du projet ?
.
.
.
.
Initialement, cette carte ne devait pas faire partie du projet. Mais lors d’une passation de commandement à la Courtine , un jeune officier cartographe à fait part à Emmanuel Gérard, Directeur de la Cité internationale de la tapisserie, de la beauté des cartes de Tolkien. L’idée de représenter la vue d’ensemble de la Terre du Milieu s’est alors imposée. Cette carte, qui apparaît dès la première édition du “Seigneur des Anneaux” en 1954, a été dessinée par Christopher Tolkien en collaboration étroite avec son père. Nous avons eu l’honneur de travailler avec Christopher Tolkien en début de projet, à la suite de son décès en 2020, il est devenu évident de lui rendre hommage en réalisant cette carte. En accord avec Baillie Tolkien, l’image a été recentrée tout en conservant son échelle d’origine.
.
.
.
.
.
.
.
.
L’univers de Tolkien fait écho à l’imaginaire médiéval. Les tapisseries devaient-elles prendre cette voie ou ont-elles une identité plus moderne ?
.
.
.
.
La tapisserie d’Aubusson a pour vocation d’interpréter et non de reproduire à l’identique. L’enjeu n’est pas de reconstituer fil à fil l’œuvre de départ. Les tapisseries ne sont pas des copies, mais des œuvres textiles, qui font l’objet de choix d’interprétation.Pour la tenture “Aubusson tisse Tolkien”, les couleurs ont par exemple été intensifiées avec l’accord de Christopher et Baillie Tolkien, les aquarelles originales étant trop mates pour des tapisseries.
Les œuvres de la tenture ne font pas directement écho à l’époque médiévale. Les choix d’interprétation sont avant tout un hommage aux années 1920-1930, période durant laquelle Tolkien a réalisé la majorité de ses dessins, et fait échos au mouvement de « Rénovation » de la tapisserie, qui privilégie les contrastes et les illusions optiques avec un nombre de couleurs réduits. Des artistes comme Jean Lurçat ou Jean Picart Le Doux ont participé à ce mouvement.
.
.
.
.
.
.
.
.
Y-a-t-il une part de fantaisie voire de magie de reconstituer l’univers de Tolkien en tapisserie puisque le savoir-faire aurait été maîtrisé par les Valar puis transmis aux Elfes et aux Hommes ?
.
.
.
.
Les artistes ont toujours eu la volonté de se plonger dans l’univers de Tolkien, certains relisant les histoires pour s’en imprégner. Ceux qui ont travaillé sur les tapisseries des « Lettres du Père Noël » ont été particulièrement touchés par la fantaisie et l’intelligence des récits, qui témoignent du rapport sérieux de Tolkien à l’imagination.
.
.
.
.
Y-a-t-il une œuvre en particulier qui révèle encore plus l’imaginaire de Tolkien ?
.
.
.
.
L’été dernier, le public a pu admirer l’ensemble des tapisseries réunies pour la première fois. Trois œuvres ont particulièrement marqué les visiteurs : Bilbo comes to the Huts of the Raft-elves, préférée de la famille Tolkien ; The Trolls, impressionnante par ses dimensions et son jeu de contrastes en noir et blanc ; et la tapisserie Halls of Manwë – Taniquetil, avec un panorama monumental où l’aspect minuscule du bateau elfique amplifie l’immensité du mon Taniquetil, la plus haute montagne de la Terre du Milieu. C’est d’ailleurs cette œuvre qui figure sur l’affiche de l’exposition.
.
.
.
.
Vous avez rejoint le projet plus tard. Qu’est-ce qui vous a le plus touché ?
.
.
.
.
J’ai intégré la Cité internationale en octobre 2020, alors que le projet était bien avancé. J’ai découvert le projet de tenture “Aubusson tisse Tolkien” à ce moment-là. Ma première tombée de métier fut celle de la lettre du Père Noël de l’année 1933. Le tissage a été mené par une jeune équipe, dans un bel esprit de transmission.
.
.
.
.
Après Tolkien, il y aura les expositions Hayao Miyazaki et George Sand (2026). Est-ce le début de défis internationaux pour Aubusson ?
.
.
.
.
Ces projets représentent assurément des défis qui ont permis à la Cité d’affirmer sa capacité à valoriser de grands imaginaires contemporains à travers un savoir-faire pluriséculaire. Nous avons eu la chance a chaque fois d’avoir des partenaires curieux et enthousiastes qui nous ont accordé leur confiance. La tenture “Aubusson tisse Tolkien” doit ainsi beaucoup au soutien apporté par la famille de l’auteur et le Tolkien Estate tout au long du projet.
Dans le cas de la tenture “L’imaginaire de Hayao Miyazaki en tapisserie d’Aubusson”, nous avons eu la chance de pouvoir compter sur une lissière japonaise vivant à Aubusson qui nous a aidé à entrer en contact avec le studio Ghibli.
.
.
.
.
.
.
.
.
Photo de couverture : Map of Middle earth, d’après l’œuvre originale de Christopher Tolkien © The Tolkien Estate Limited 1954, tapis, tissage Atelier Tapisserie Guillot Aubusson, 2023, Collection Cité internationale de la tapisserie – Studio Nicolas Roger