Icône de la photographie depuis les années 70, Martin Parr surprend toujours son monde. Adepte de l’autoportrait partout où il passait, l’artiste britannique a su capturer l’ambiance de toutes nos époques. Martin Parr est allé partout, a photographié tous nos faits et gestes sans un certain humour… Témoin du tourisme britannique en Irlande, des grèves géantes de mineurs en Angleterre, des modes vestimentaires tout comme nos activités à la plage, Martin Parr scrute le monde qui l’entoure et l’honore avec son appareil photo.
Entretien lors de la Paris Photo 2024 sur le stand de la Galerie Clémentine de la Féronnière.
.
.
.
.
Vous avez commencé la photographie à l’âge de 13 ans. Avez-vous en fait décidé de rester espiègle ?
.
.
.
.
J’ai en effet commencé ma carrière très jeune. Mon grand-père était photographe, George Parr, il a été d’une grande influence pour moi. Mon sens de l’humour s’est peu à peu transposé dans mes photographies et j’ai continué à garder ce ton tout au long de ma vie. Le monde est un drôle d’endroit et je mets un point d’honneur à retranscrire cette étrangeté par l’humour et par mes photos.
.
.
.
.
.
.
.
.
Les années 80 ont été marquées par l’arrivée au pouvoir de Margaret Tchatcher au 10 Downing Street. Les classes populaires ont-elles été les plus grandes victimes ?
.
.
.
.
J’ai été témoin des grandes grèves de mineurs de 1984 et de 1985. Des dizaines de milliers de travailleurs se sont mobilisées contre la fermeture de leurs lieux de travail. Toute la population britannique était derrière eux. Des associations de gays et lesbiens ont également apporté leur soutien. En vain…
L’industrie du charbon a aujourd’hui disparu de Grande-Bretagne. Les conséquences ont été dramatiques pour la population ouvrière.
.
.
.
.
Avec notamment le livre « Martin Parr : From the Pope to a flat white – Ireland 1979-1989 », vous avez pris en photo l’Irlande. Avez-vous pu constater des différences au fil du temps ?
.
.
.
.
C’est un pays très différent de nos jours. L’Irlande a tellement changé depuis ces 40 dernières années. J’ai voulu montrer cette évolution avec mon appareil photo.
Les Irlandais ont eu jusqu’à récemment un Taoiseach (Premier ministre en gaélique) gay, Leo Varadkar. Des décennies plus tôt, cela aurait été inimaginable. L’avortement ainsi que le mariage gay sont aujourd’hui autorisés. Tout cela est arrivé grâce aux jeunes générations. L’Irlande a changé pour toujours.
Dublin est aussi de nos jours un important centre européen pour les grandes entreprises. Ces dernières se sont implantées en Irlande car les taxes sont extrêmement basses. Qui aurait imaginé cela ?
.
.
.
.
.
.
.
.
Vous avez photographié l’Ecosse (« Think of Scotland – Editions Damiani Books »). Est-ce un pays britannique à part selon vous ?
.
.
.
.
Lorsque vous êtes là-bas, vous avez clairement l’impression d’être dans un pays. Je ne dis pas cela seulement à cause de l’accent… (rires). Les Ecossais font des sports différents des Anglais, vivent et pensent d’une autre façon. Mon travail se concentre avant tout sur les différences.
.
.
.
.
.
.
.
.
Vous avez aménagé en 1987 à Bristol. Est-ce le meilleur endroit en Angleterre pour prendre des photos ?
.
.
.
.
Même si je garde un logement à Londres, je vis en effet principalement à Bristol. C’est une ville formidable. Nous avons de très bons restaurants, des cinémas, un théâtre et un très bon aéroport à proximité. Bristol m’apporte tout ce dont j’ai besoin. La campagne est même proche et je peux facilement me rendre au Pays de Galles.
De plus, Bristol n’est pas très éloigné de Londres. Avec les transports, on dit même que c’est une banlieue de la capitale.
.
.
.
.
Avez-vous combattu le côté mythologique de l’image afin de prouver que la réalité est bien meilleure ?
.
.
.
.
J’ai surtout montré cet aspect dans mes photos sur le tourisme. C’est la plus importante industrie dans le monde. Nous mettons une énergie folle à voyager et à explorer.
Nous associons la mythologie aux sites touristiques comme les pyramides d’Egypte ou encore la Tour de Pise. Quand nous arrivons enfin sur les lieux, nous trouvons finalement autre chose : la réalité. Les touristes font finalement tous la même chose : faire la queue, bronzer et dépenser de l’argent pour des souvenirs. Tout cela devient un enfer. C’est toute cette contradiction que je veux montrer dans mes photos.
.
.
.
.
.
.
.
.
Vous avez abandonné le noir & blanc pour des photos très colorées. Etait-ce une façon de mettre plus en lumière les différences ?
.
.
.
.
J’aime capturer les couleurs de la plage. J’ai pris beaucoup en photo le littoral britannique tout comme la mer partout dans le monde. La plage est un endroit incroyable car c’est le lieu des différences et des traditions. En Inde, les femmes se baignent toutes habillées tandis qu’au Brésil, on porte le bikini le plus petit possible. J’aime capturer toutes ces différences et les comparer. Voilà pourquoi je fais le choix des couleurs.
.
.
.
.
« The Martin Parr Colouring Book » (Editions Aperture) a été publié en 2017. Le lecteur peut s’amuser à colorier des dessins basés sur certaines de vos photos. Vous voyez-vous comme une marque ?
.
.
.
.
Oui. J’ai été photographe depuis si longtemps, j’ai publié tellement de livres, j’ai participé à tant d’expositions. Une fondation à mon nom a même été créée à Bristol. Vous pouvez consulter plus de 5 000 photographies prises au Royaume-Uni et en Irlande. Tout cela a amplifié le phénomène.
Eh bien oui j’accepte d’être devenu une référence voire une marque.
.
.
.
.
.
.
.
.
Les jeunes photographes vous impressionnent ?
.
.
.
.
Je suis devenu un vieux de la vieille. Je constate que les jeunes photographes font en effet du très bon travail. J’aime être mis au défi. Face à moi, il y a des artistes qui disposent d’une grande énergie.
.
.
.
.
Souhaitiez-vous faire plus de photos des Français ou vous aviez une préférence pour les Britanniques ?
.
.
.
.
Je suis plus à l’aise de prendre des photos en Grande-Bretagne. Avec les lois protectrices de l’image, il est devenu difficile de faire son travail dans les rues françaises. De plus, je connais bien plus mon pays tout comme ses règles.
Pourtant, j’aime beaucoup la France. Vous avez une culture photographique extraordinaire. L’événement Paris Photo est un bel exemple. Je crois même que les Français apprécient plus la photographie que les Britanniques.
.
.
.
.
« Fashion Faux Parr » (Editions Phaïdon) met en lumière vos photos de mode. Avez-vous aimé photographier les mannequins dans la rue plutôt qu’en studio ?
.
.
.
.
J’ai fait les deux. Les photos dans la rue sont en effet meilleures car les passants portent eux-mêmes les vêtements de mode. Il y a plus de spontanéité, plus de légèreté. La mode est toujours plus belle dehors qu’en studio.
.
.
.
.
.
.
.
.
Donald Trump et ses fans vous inspirent ?
.
.
.
.
Je me suis rendu à une convention républicaine en 2016 lors de sa première campagne électorale. J’ai pris des photos de ce public fanatique face à leur candidat chéri. Je me rends compte que rien n’a changé. Trump reste un fou furieux et c’est terrible de le voir à nouveau gagner les élections présidentielles. En même temps, c’est un formidable personnage pour les médias. Trump est si imprévisible et extravagant.
J’espère qu’avec ce second mandat il ne fera pas trop de dégâts sur la planète.
.
.
.
.
La guerre en Ukraine, Trump, Poutine… Comment peut-on rester sereins ?
.
.
.
.
Je dois admettre que tout cela est déprimant. Trump a dit qu’il résoudrait la guerre en Ukraine en une journée. J’attends de voir… Mais je n’y crois pas.
.
.
.
.
Noël approche. Attendez-vous ce moment de l’année avec impatience ?
.
.
.
.
Pas vraiment mais j’y ai pris beaucoup de photos notamment le fameux moment on l’on découpe la dinde. Ce sont de belles images.
.
.
.
.
Quels sont vos projets pour 2025 ?
.
.
.
.
J’écris actuellement mon autobiographie. C’est presque terminé. Le livre sortira l’année prochaine. D’autres ouvrages et projets sont également prévus. Je ne m’arrête jamais de travailler. J’adore cela.
.
.
.
.
.
.
.
.
Photo de couverture : Katz’s Delicatessen, New York, États-Unis, 2018. Commande de Vogue USA. Picture credit © Martin Parr Magnum Photos (pages 258-259)