Par ses dessins de nature idyllique, de femmes sublimes, d’indigènes resplendissants et d’extraterrestres majestueux, Sergio Macedo a façonné un monde bien à lui. Brésilien, l’artiste semble être avant tout un citoyen-artiste du monde.

Arrivé en 1974, Macedo a pu s’intégrer dans des équipes comme Fiction, Rock & Roll et Métal Hurlant. « Fume c’est du Macedo » (1975), « Caraïbe » (1982) ou encore la série « Une aventure de Vic Voyage » sont des odes à une certaine féerie. Mais qu’on se le dise, les histoires tout comme les dessins de Sergio Macedo traitent avant tout d’humanité.

Entretien avec un artiste parti s’installer en France mais aux antipodes – sur l’île magnifique de Mooréa.

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Dès vos premières années d’artiste au Brésil, aviez-vous déjà la fascination pour les extraterrestres ?

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Le Brésil a toujours été un pays très visité par les OVNIs. Beaucoup de Brésiliens (j’en fais partie) ont déjà vu des vaisseaux spatiaux. Nous avons plein de choses intéressantes à raconter. J’ai toujours pensé que notre univers infini est sans cesse en train d’évoluer avec ses trillions et trillions de galaxies et ses innombrables planètes. Il y a un nombre extraordinaire de mondes habités. La Terre, avec ses pauvres 4 milliards et demi d’années, est encore un monde primitif et immature.

Cependant, je ne suis pas du tout fasciné par les extraterrestres. Comme nous et tant d’autres créatures, ils font partie de la « faune » universelle. Certains mondes sont extraordinairement plus évolués que le nôtre à tous les niveaux.

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Même en tant qu’illustrateur de presse, vous étiez passionné par ce que vous faisiez ?

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Âgé de 2 ans et demi, je dessinais déjà sur le sable et sur la terre avec des petites branches. La bande dessinée me fascinait et, à 4 ans et demi, j’ai dessiné une page entière du classique « Le Dernier des Mohicans » en copiant les cases avec bulles et textes. Je ne savais pas encore lire. La bande dessinée m’a même facilité l’apprentissage de la lecture. A l’école, je dessinais des histoires drôles, je réalisai des caricatures des professeurs et de mes camarades de classe.

Dans les années 60, je faisais un petit journal polycopié. J’ai toujours aimé la communication graphique et, au début des années 70, je me suis lancé avec un groupe d’amis dans la presse underground. Nous étions des fous en train de jouer avec le danger. Depuis 1964, le plus grand terroriste capitaliste neo-libéral dans le monde, le gouvernement nord-américain, avait acheté les politiciens brésiliens afin de virer notre président socialiste. Une dictature militaire d’extrême droite a été installée au Brésil et une longue période sinistre a alors secoué le pays entre 1964 et 1985. Le pays a connu un grand nombre de crimes, de tortures, des exécutions sommaires. Certains de mes meilleurs amis en ont été les victimes.

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Pour quelles raisons vous partez vivre en France en 1974 ?

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L’atmosphère de la dictature militaire était terrible. En 1970-71, un aventurier français qui passait au Brésil m’a filé des bandes dessinées de Philippe Druillet, de Jean Giraud et d’autres maîtres graphiques. Auparavant, j’étais branché plutôt sur le monde BD nord-américain, mais le côté avant-gardiste du monde visuel français m’a tout de suite séduit.

J’ai commencé alors à réfléchir. Je voulais quitter le Brésil et partir tenter ma chance en Europe.

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Vous étiez dans quel état d’esprit à l’époque ?

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Je vivais alors dans une petite communauté à la campagne, à 170 km de São Paulo. Nous fumions du cannabis, on sniffait de la cocaïne qu’un copain allait chercher en Bolivie directement chez le producteur. Nous prenions également du LSD et d’autres hallucinogènes que des copains européens nous amenaient de Hollande et de Norvège. La vie style Woodstock en somme. On montait notre journal de façon rudimentaire (il n’y avait pas encore d’ordinateurs sur le marché). Nous l’imprimions dans une ancienne imprimerie rurale puis on vendait les quelques milliers d’exemplaires à Rio, São Paulo et d’autres villes du Brésil. La diffusion était surtout dans les universités, les biennales, les théâtres – même dans la rue… Nous étions jeunes et on croyait que nous étions des révolutionnaires. Nous voulions changer la mentalité de cette humanité coincée pour un tout autre monde meilleur.

En 1975, j’ai arrêté la drogue. Je l’ai remplacée par le sport. Je le pratique encore tous les jours et je suis très en forme. Vive la santé!

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Vous avez dessiné pour des revues comme J’ai Lu, Galaxie ou Fiction. Dès le début, être artiste en France vous a plu ?
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Vivre et travailler dans un pays inconnu me stimulait. Cependant, je ne parlais pas le français – la communication verbale était donc difficile. A cette époque-là, le Parisien était très renfemé sur lui-même et peu enclin au dialogue – surtout si un inconnu lui posait des questions en anglais.

 Généralement, le peuple brésilien est très ouvert, communicatif, et aime partager. Heureusement, le copain Alain Voss, dessinateur génial, avait grandi au Brésil et m’a présenté à Jean-Pierre Dionnet, Mandryka, Druillet et à toute l’équipe qui était sur le point de créer Métal Hurlant.

Dans les années 70, il y avait beaucoup d’idéalistes et d’opportunités. Mon style graphique était un peu fou mais il fut bien accepté.
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Que retenez-vous de vos années au sein de la rédaction de Métal Hurlant ?

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J’avais déjà publié des bandes dessinées dans Actuel, Circus, Rock and Folk… Métal Hurlant m’a inculqué davantage l’esprit BD. Alain Voss, Jean Gir (Moebius), Frank Margerin, Serge Clerc, Enki BilaL, Lob et tant d’autres dessinateurs m’ont laissé de bons souvenirs. Ah! Dionnet était toujours très vivant, plein d’idées, plein d’intelligence aussi. J’avais connu Philippe Manœuvre chez Rock & Folk. C’était un passionné du vrai Rock. Philippe connait tout encore de nos jours « à fond la caisse ».

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Tout au long de vos albums, vous magnifiez la nature d’Amazonie ainsi que les peuples autochtones. Etait-ce des lettres d’amour ou la description d’un monde idéal ?

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L’Amazonie sauvage est une région incroyable qui, malheureusement, est en train de disparaître à cause de la folie des hommes. Celle que j’ai connue dans ma jeunesse était différent. Des centaines de toucans volaient au-dessus des arbres. En pirogue, les indiens et les riverains des fleuves pêchaient au harpon des poissons gigantesques tels que les pirarucs. De magnifiques aras rouges [perroquets] volaient au-dessus du fleuve. Il ne reste presque plus rien de tout cela aujourd’hui. L’Amazonie n’est un monde idéal que pour les peuples qui y ont habité depuis leur naissance. J’aime les peuples autochtones. J’ai beaucoup appris en vivant avec eux – chez les Kayapo Metyktire, le peuple du chef RopNi, connu internationalement comme Raoni. Ah, le seul endroit où j’ai connu la vraie democratie a été chez les peuples indigènes. En plus, leurs vrais chefs (pas ceux formatés par de politiciens corrompus) sont, avant tout, des exemples de vertu, de courage, de sagesse, de générosité, d’intelligence. Certains chefs ont aussi des dons transcendents. RopNi en est un.

Même si la vie là-bas n’est plus du tout facile, j’aime l’Amazonie. Il y a une vraie beauté, une certaine magie. La faune a même une importance planétaire.

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Quelle est la place des femmes dans votre œuvre ?

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Very simple. La place de la polarité complémentaire dans la vie.

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Avez-vous représenté les extraterrestres comme de nouvelles icônes ? Le mysticisme vous a toujours inspiré ?

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Hey, Joe!  Réveille-toi : je ne suis pas du tout mystique ou religieux, C’est juste bon pour le bétail. Durant l’enfance, j’étais déjà visionnaire. Je voyais des dimensions vibratoires que la majorité des humains néglige. On a tous 100% de facultés cérébrales, mais finalement peu font d’effort pour éveiller tout cela. La majorité adopte alors le formatage : boulot, bouffe, plaisir, sexe et dodo.

Tous les personnages spirituels, inter-dimensionnels tout comme les extraterrestres que je dessine, je peux les voir clairement. Par exemple, ceux que j’ai dessinés dans l’album « Caraïbe » (1981) sont les fruits de plusieurs connexions télépathiques avec leur plan vibratoire.

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Vous montrez également la violence (envers les femmes, la nature,…). Certaines scènes étaient- elles parfois difficiles à dessiner ?

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Dessiner des atrocités et la laideur c’est facile. J’ai illustré des horreurs dans le passé, mais dessiner la beauté, la bonté, le bien-être, le plaisir et la joie de vivre sont bien plus satisfaisants, n’est-ce pas ? Parfois on est obligés, dans certaines circonstances de dessiner ce qui est hard, mais je suis toujours pour la positivité et le bonheur.

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Comme vos personnages pour « Pacifique Sud », vous avez rêvé de vivre dans cette partie du monde (la Polynésie française) ?

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Dans les années 60, j’ai vu le film « Les Révoltés du Bounty » (1962) avec Marlon Brando. Il avait été tourné en Polynésie. La beauté des îles m’a séduit. Je suis arrivé en Polynésie en 1982 et, malgré des changements pas toujours positifs, c’est encore un havre de paix. Tout est encore plus beau et plus agréable par rapport au reste du monde.

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Vous avez dessiné les baleines (comme dans « La Légende de Tuivao ») ou Mata Tohora. L’univers marin est-il une Atlantide qu’il faut à tout prix sauvegarder ?

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Ah, j’aime la mer, j’aime les baleines (c’est d’ailleurs le début de leur saison annuelle en Polynésie), les dauphins, les requins, les tortues, les pieuvres, les poissons, toute la vie maritime, aussi comme la vie terrestre. Maintes fois, pendant qu’on surfe, dans les passes (ouverture dans les barrières de récifs qui entourent les îles reliant le lagon à l’océan), les baleines s’amusent en sautant hors de l’eau – pas très loin de nous. La sauvegarde de la mer, ce monde magnifique, est essentielle pour toute la planète et toute l’humanité.

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Que souhaitez-vous dessiner à présent ?

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Je ne suis pas loin de terminer le premier volume de l’histoire de la Polynésie, dont j’ai commencé les recherches en 1983. J’ai déjà réalisé les crobards d’une bande dessinée pleine d’action (style Rockblitz, dessinée pour Métal Hurlant dans les années 70).
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Horue 1790

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Image de couverture : Tahiti 1870

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