Prélude tragique du second conflit mondial, la guerre d’Espagne (1936-1939) a meurtri les mémoires ibériques. Presque 90 ans après les faits, elle reste même sujet de nombreux débats.

Le dessinateur Pau a bien connu son grand-père, soldat républicain. Le vieux Vicente racontait à sa famille sa guerre contre le Franquisme et ses terribles conditions de vie dans les camps français après la guerre. »Liberté, Egalité, Fraternité » (Editions Paquet) est le premier tome de la saga « Les 5 Drapeaux ». Récit animalier, Vicente est un chien à bord d’un char républicain, la bande dessinée est une véritable réussite à la fois historique et littéraire. La guerre d’Espagne est traitée mais également la Retirada, sombre exil des réfugiés sur les plages du Sud-ouest de la France.

Pau est un artiste passionné. A sa venue un jour au festival de la bande dessinée d’Angoulême, il jure de devenir dessinateur et d’apprendre le français. Pari réussi.

Entretien avec Pau, conteur et transmetteur de mémoires.

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Presque 90 ans après les faits, est-ce toujours difficile de traiter la guerre d’Espagne ?

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Dans une guerre, tout le monde souffre. Celle de l’Espagne est un cas particulier puisque c’est Franco, général vainqueur, qui a raconté l’histoire officielle. Pendant des dizaines d’années, les bourreaux et les profiteurs se sont donné le beau rôle tout en maudissant les Républicains. « Les 5 Drapeaux » raconte autre chose. Cependant, je ne veux en aucun cas rouvrir les plaies – elles ne seront jamais guéries. Il faut juste guérir de notre passé. Suite à la dictature de Franco, l’Espagne n’a jamais fait justice. On nous a tout simplement ordonné d’oublier les crimes.

Aujourd’hui, les bourreaux sont morts et la seule justice que nous pouvons avoir est celle de raconter les faits tels qu’ils se sont passés pendant la guerre.

Pour moi, il est important de raconter l’Histoire aux plus jeunes générations. La guerre d’Espagne fait partie de notre identité.  « Les 5 Drapeaux » est un récit raconté par mon grand-père. Pendant tout le projet, j’ai tenu à garder cet aspect. C’est mon grand-père qui s’exprime – pas moi.

Enfant, je me suis passionné pour ses histoires. J’espère qu’avec « Les 5 Drapeaux », récit animalier, les jeunes d’aujourd’hui puissent s’informer davantage sur le passé de leur pays. Je veux me connecter autant avec les enfants espagnols, français et allemands.

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« Les 5 Drapeaux » est-il un projet de longue date ?

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Mon grand-père avait laissé beaucoup d’écrits sur son périple dans toute la France mais je n’avais pas du tout l’objectif de réaliser une bande dessinée sur le sujet. Je trouve tout cela trop complexe. Je n’étais qu’un dessinateur. Il fallait beaucoup se documenter sur l’époque, les mentalités et les faits historiques. Comme beaucoup de mes compatriotes, je connaissais peu de choses sur la guerre d’Espagne.

De plus, lorsque vous réalisez une bande dessinée, tout détail était important. Les écrits de mon grand-père parlaient notamment de « traverser la frontière » mais laquelle ? Quelle ville ? Il indiquait juste que lors de la Retirada sa compagnie avait atteint la France le dernier jour. La frontière était ensuite fermée. J’ai alors trouvé le lieu et la date exacts : le 9 février 1939 à Portbou-Cerbère.

J’ai mis 7 ans à enquêter et à trouver les financements.

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Avec la guerre chez les animaux, on pense aux dessins de Calvo. Le sous-titre « Liberté, égalité, fraternité » fait référence à la république française. Vicente est interné sur les plages du Sud-Ouest. « Les 5 drapeaux » a donc une forte identité française ?

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Oui. « La Bête est morte » de Calvo, au même titre que les dessins Disney, a eu une grande influence graphique pour moi. Le sous-titre « Liberté, égalité, fraternité » fait bien entendu référence à la devise de la république française. Défaits par les soldats de Franco, Vicente et les autres soldats ont franchi la frontière afin de se réfugier. Ils s’attendaient à retrouver les valeurs républicaines en France. Ce ne fut pas le cas. Mon grand-père Vicente et les autres ont été internés sur la plage dans de terribles conditions et malmenés par les soldats français. Ils ont été traités comme des chiens. C’est une des raisons pour laquelle j’ai dessiné un récit animalier.

Malgré le côté mignon des animaux, « Les 5 Drapeaux » est un récit triste et violent.

J’ai remarqué que nous sommes plus émus lorsque les malheurs frappent des animaux mignons. J’ai voulu que « Les 5 Drapeaux » puisse émouvoir le lecteur. Cependant, le côté dessin permet également de traiter des scènes qui seraient trop dures si elles étaient montrées avec des humains comme personnages. Mon grand-père, jeune garçon, a vécu la guerre comme une aventure et non comme une tragédie. Je ne voulais pas d’un récit sanglant.
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Vicente a un certain côté fantaisiste. Avez-vous intégré des détails de votre enfance dans « Les 5 Drapeaux » ?
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Oui car mon grand-père a écrit ses mémoires mais il a également raconté à sa famille d’autres histoires. Je voulais intégrer ses dernières dans l’album.

Après la guerre et son internement, mon grand-père a été intégré dans l’armée de Franco en tant que rédacteur de compagnie. Par conséquent, il devait faire attention à ce qu’il écrivait. Mon grand-père ne mentionne jamais les noms de ses camarades des brigades internationales.

J’ai aimé dessiner les anecdotes. Mon grand-père, en tant que chef de char, m’avait raconté avec ses gestes comment manœuvrer un blindé. J’ai dessiné mon personnage de la même façon

J’ai bien connu mon grand-père. Il avait une mentalité plus moderne que mes parents.

J’ai de plus intégré une part de ma personnalité dans Vicente.  

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Que représente le personnage de la mort ?

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Elle est omniprésente. Mon grand-père a côtoyé la mort pendant les 3 ans de combats, lors de son internement sur la plage du Barcarès. Pour la suite des « 5 Drapeaux », une figure allégorique va s’intégrer : la chance. Mon grand-père a survécu à des situations extraordinaires. Il a été si courageux que la chance l’a accompagné et le sauve sans cesse de la mort. Vicente a notamment été blessé à la tête. Enfant, je pouvais voir une grande bosse violette due à l’explosion d’une grenade au gaz moutarde. Inconscient sur le sol, il a été le seul à ne pas inhaler le poison.

Alors qu’il était interné sur les plages françaises, mon grand-père a eu le temps d’apprendre à nager. Cela lui permettra de s’en sortir plus tard lors du siège de Dunkerque en 1940. La chance l’a encore sauvé.
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Que représente cette photo de groupe au camp du Barcarès ?
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J’ai un jour été en contact par mail avec une femme qui était la fille d’un des compagnons de mon grand-père (celui qui noue sa chemise). J’ai reçu les photos qu’elle avait en possession par la Poste. Celle de groupe a été réalisée car les détenus du camp n’avaient pas assez d’argent pour une photographie individuelle.

Certains sourient malgré les conditions épouvantables du camp car la photo doit être envoyée à leurs familles en Espagne. Ils veulent faire bonne figure. 

La femme m’a montré des photos de son grand-père au camp du Barcarès. J’ai pu reconnaître mon grand-père sur certaines. Ils faisaient partie d’une bande de 4 amis qui partageaient tout dans le camp. L’argent, le beurre, le pain,… tout était collectif.
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Le choix des couleurs a-t-il été difficile ?

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Je voulais raconter cette histoire sous le format bande dessinée. Par conséquent, j’ai utilisé tous les codes possibles. « Les 5 drapeaux » n’est pas un roman, ni un film – c’est une bande dessinée. Les couleurs représentent les états d’esprit des personnages.

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Quelle sera la suite ?

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Ce sera très excitant de continuer à dessiner l’aventure de mon grand-père. Il a participé à la bataille de Dunkerque en 1940. Je suis justement invité à un festival de bande dessinée de la ville. J’aurai beaucoup de plaisir à visiter le musée et dessiner les paysages. Je veux être le plus précis possible.

Je suis en contact avec des spécialistes de tanks, du chemin de fer, d’armes… Ils sont très heureux de m’aider et je leur en suis très reconnaissant.

J’espère finir le tome 2 en février 2025. Ce fut un défi car il y a moins d’actions que dans le premier livre. Vicente va connaître l’aventure dans une carrière souterraine.

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