La création semble infinie tant les mêmes thèmes reviennent sans cesse – et pourtant il y a toujours de l’originalité. Les ogres, créatures d’apparences humaines et pourtant monstrueuses, traversent par les contes les siècles. Mangeurs d’enfants, ils sont pourtant adorés par ces derniers. Quelle ironie (gourmande)!
Auteur et illustrateur pour la littérature jeunesse, Benoît Debecker s’amuse avec les contradictions. Ils dessinent avec une certaine malice et avec la complicité de ses lecteurs.
Les illustrations à l’encre de chine et l’aquarelle du « Grand livre des ogres » (Editions Saltimbanque) donnent vie à ces gloutons géants et les mettent en scène avec humour et pédagogie.
Entretien avec Benoît Debecker.
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Le dessin jeunesse a-t-il été une évidence dès le début ?
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Très admiratif de Tardi, notamment par « Ici Même » et « Polonius », je pense un temps réaliser des bandes dessinées pour finalement m’orienter vers l’album pour enfants dont le rythme de narration texte/images me convient mieux. Pour assurer mon quotidien, je serai un temps fonctionnaire avant de pouvoir démissionner quelques années plus tard, une fois mes revenus dans le dessin suffisants…bon an, mal an.
J’ai été en lien avec des maisons d’éditions et j’ai commencé à publier des livres jeunesse tels que « Gros et Maigres du pays foldingue » (éditions Magnard). Au fil du temps, j’ai également fait beaucoup de dessin de presse. Après quelques années d’errance, j’ai repris ma carrière aux éditions Seuil.
La narration jeunesse fait partie de mon identité graphique donc je continue. En tant que lecteur, j’adore la ligne claire. Il s‘agit d’une écriture exigeante qui me donne envie de soigner mon propre dessin.
Dessiner est curieusement assez physique et qui nécessite beaucoup de concentration. Quand je travaille à la plume, j’ai parfois l’impression d’être en apnée. L’écriture est pour moi moins difficile.
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Tomi Ungerer a-t-il été aussi une grande influence ?
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Curieusement, je ne l’ai découvert qu’à l’âge de 25 ans. Je fais partie d’une génération qui avait peu de lien avec la littérature pour enfants. Hergé et Emile-Joseph-Porphyre Pinchon, le dessinateur de Bécassine, ont cependant été d’une grande influence. J’ai aussi beaucoup appris en passant des heures et des heures sur chaque page des albums de Blueberry.
J’ai été invité aux 85 ans d’Ungerer et je m’amuse à faire des échos avec mon dessin. Si vous êtes attentif, vous pourrez apercevoir dans « Le Grand livre des Ogres » le géant de Zeralda. C’est un clin d’œil à Ungerer.
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Avec le musicien Thomas Fersen, vous avez formé un duo. Qui a adopté l’autre ?
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Enfant, je lui lisais mes livres. Nous n’avons que 5 ans d’écart mais lorsque vous êtes jeunes c’est une grande différence. Nous nous sommes perdus au fil du temps. Dans une interview dans la presse, Thomas évoquait l’importance pour lui de mes lectures d’alors qui l’auraient marquées dans son futur d’auteur-compositeur. Il aime particulièrement ma narration. Les éditions Margot nous ont proposé de réaliser un album ensemble, le livre-CD, « Saute-la-Puce » (2021). Ce fut un très beau projet. A tel point qu’avec Thomas, nous aimerions réaliser un nouvel ouvrage. A voir !
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Quelle fut l’idée première du « Grand Livre des Ogres » ?
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« Le Grand Livre des Ogres » est né d’une idée d’un projet. Il ne s’agit que du premier ouvrage d’une trilogie. Le premier, « Le Grand livre des Ogres » est sorti cet automne et sera suivi l’année prochaine des Sorcières (déjà réalisé). La trilogie se terminera en 2026 avec les vampires.
Le défi avec cette série, qui s’apparente de loin à une encyclopédie, est d’imaginer une narration. En tant qu’auteur, j’aime raconter des histoires. Les livres doivent avoir un rythme et le dessin et le texte intimement liés.
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Vous aviez déjà abordé le sujet avec « Agnès l’ogresse ». L’ogre est une figure monstrueuse particulière car trop masculine, trop gourmande, trop grande, trop laide. Il dévore les enfants. Pourquoi les plus jeunes aiment-t-ils l’ogre ?
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Enfant, j’avais lu « Tintin et le Crabe aux pinces d’or » (1941). La scène où le capitaine Haddock, victime de visions, tente de déboucher la tête de Tintin d’une bouteille, m’effrayait et m’attirait tout à la fois.
Les enfants aiment se faire peur avec les thèmes classiques. J’adorerais illustrer les Fables de La Fontaine car on peut toujours apporter une certaine originalité. Il est toujours intéressant d’apporter sa patte sur des textes mille fois illustrés.
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Le rire vous motive ?
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Oui. Je ne me prends jamais au sérieux quand je raconte des histoires. Mais quand je revois les films de Laurel & Hardy, je remarque qu’il y a aussi un côté tragique. La fantaisie peut masquer une part de tristesse.
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Comment avez-vous réussi à terminer « Le Grand Livre des Ogres » ?
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Seule la dernière page a un aspect de mise en garde. Le texte demande aux enfants de faire attention aux inconnus adultes. Je voulais donner une bonne chute comme si c’était une pièce de théâtre.
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Les ogres vous suivront-ils dans vos prochains projets ?
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Non. Ils sont à présent derrière moi. J’aime sans cesse me renouveler. Quelque soit le narratif adopté, une chute de fin est importante pour clore la lecture.
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