Maintes et maintes fois adapté au cinéma, au théâtre, en littérature et en illustration, « Dracula » (1897) ne perd rien de sa substance.

Chef d’œuvre de la littérature anglo-saxonne, le roman de Bram Stocker reste en effet la grande référence du genre fantastique. La figure du vampire fascine.

L’artiste québécois Christian Quesnel illustre une nouvelle réédition de « Dracula » (Editions Callidor). Le format est large et les images apportent un regard neuf au roman. Le gothique est ici flamboyant et les jets de pinceaux ajoutent un aspect des plus inquiétants.

Entretien avec Christian Quesnel sur son approche du roman de Bram Stocker.

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« Le Crépuscule des Bois brûlés », « Le Grand feu », « La Quête des oubliés »… Vos premières œuvres se concentrent sur l’histoire locale du Québec. Est-ce qu’au départ vous aviez le souhait de raconter votre environnement ?

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J’ai toujours eu un intérêt pour l’Histoire et pas seulement celle du Québec ou du Canada. Lorsque j’ai décidé de changer ma maison, je suis rentré dans une très vieille demeure. Les meubles étaient également anciens. Tout me plaisait car il y avait une identité et quasiment un voyage dans le temps. J’ai fini par l’appeler « Ma vieille dame » car avec les années, elle avait besoin de beaucoup d’entretien, beaucoup d’amour.

Au début de ma carrière de dessinateur, j’étais très académique. Mes histoires et mon dessin devaient être le plus proche possible de l’Histoire. Aujourd’hui, je joue avec mes connaissances pour mélanger passé et présent et je donne plus de place à mon imaginaire. J’ai réalisé un album sur Beethoven, « Ludwig » (2013). Même si l’intrigue se déroule en 1812, j’ai intégré des éléments des mouvements punk et heavy metal. C’est une façon pour les lecteurs de mieux comprendre la personnalité de Beethoven en utilisant des codes contemporains pour décrire un sujet ancien. Pour l’époque, c’était un compositeur si étrange et si provocateur. Il avait un côté punk. 

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Vous dites être dirigé par le changement. Est-ce une façon de se renouveler en tant que dessinateur ?

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Je ne parle presque jamais de mes albums antérieurs à 2011. C’est l’année où j’ai réalisé mon album fondateur, « Cœurs d’Argile ». Le scénario se mariait parfaitement avec le dessin et j’ai ainsi atteint un certain équilibre texte/image au niveau de la narration. Pendant 6 mois, j’étais en résidence artistique à Londres. J’en ai profité pour dessiner une grande partie de « Cœurs d’Argile ».

En 2016, j’ai réalisé un nouvel album sur Beethoven, « Ludwig Van Beethoven », à la demande d’un éditeur, BD Music. Mon premier livre sur le compositeur avait même bien tourné aux Etats-Unis et en France. BD Music a souhaité que je réalise un album biographique avec des CD de Beethoven inclus. « Ludwig », le premier album, reste cependant plus personnel car je devais m’adapter à la musique. Je voulais intégrer le rythme avec le dessin. La musique y était accessible grâce à un code QR inséré au début de l’album.

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« Dracula » est votre premier travail d’illustration autour d’un classique européen. Le roman de Bram Stoker a été adapté, dessiné de nombreuses fois. Est-ce une difficulté de proposer une autre relecture ?

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La question ne s’est pas posée car je n’avais pas encore lu le roman « Dracula ». J’avais juste vu le film de Francis Ford Coppola.

Thierry Fraysse, Directeur des éditions Callidor, voulait que l’on travaille ensemble et m’a proposé d’illustrer un roman classique. J’ai alors pensé aux nouvelles fantastiques de Guy de Maupassant, de « La Métamorphose » de Kafka et, j’ai également proposé « Dracula ». Thierry a accepté la dernière proposition. Etant Président d’honneur du Festival fantastique de Béziers de 2024, je voulais que l’édition collector de « Dracula » puisse sortir à ce moment-là et c’est ce que l’éditeur a fait.

Pour adapter le livre de Bram Stoker, je n’ai pas voulu étudier le sujet. Je me suis simplement documenté sur la fin du XIXème siècle, une période que j’affectionne particulièrement. J’ai également puisé dans mes connaissances de l’univers de Sherlock Holmes et de Jack l’éventreur. Je voulais installer une ambiance lugubre esthétiquement.

Mon éditeur, Thierry Fraysse, souhaitait que je réalise de grandes illustrations sur des double pages ce que je me suis efforcé de faire dans un souci d’évoquer davantage les choses que de les montrer au premier degré. Je laisse ainsi beaucoup de place à l’imagination du lecteur.
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Le rouge a-t-il parfois été trop envahissant (vous alternez avec le bleu) ?

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Certains artistes réussissent à bien jouer avec la répétition. Ça m’est plus difficile. Quant à moi, je préfère le changement permanent. Je me mets à la place du lecteur qui souhaite être surpris au détour d’une page. Tous les éléments esthétiques (la mise en page, la double page et la couleur) sont des indicateurs narratifs. Pour « Dracula », je voulais installer une véritable atmosphère qui engloberait l’ensemble du récit et le lecteur du même coup. Au début du roman, l’intrigue se déroule en Transylvanie, le repaire de Dracula. Par conséquent, c’est un environnement où trône le sang d’où l’utilisation appuyée du rouge. L’histoire se poursuit ensuite à Londres. Je me devais donc de transformer l’ambiance. Le rouge est toujours là mais moins omniprésent. 

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Vous avez séjourné à Londres. Est-ce une ville fascinante en particulier pour un artiste de l’Amérique du Nord ?

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Londres est ma ville européenne préférée. Il y a une ambiance ancienne si unique. Londres est toujours pleine de surprises architecturales. L’omniprésence de l’architecture victorienne me rappelle les villes de Québec et de Sherbrooke mais aussi Montréal. Culturellement, autant le Québec est un pont de l’Europe vers l’Amérique que Londres est un pont de l’Amérique vers l’Europe. Le meilleur exemple est le domaine de la bande dessinée : le Québec a longtemps eu de la difficulté à se tailler une place sur les tablettes des libraires et dans les médias québécois car la bande dessinée franco-belge a longtemps occupé un large espace. C’est moins le cas aujourd’hui. Pour les Britanniques, la bande dessinée américains occupe un espace avec lequel ils ont de la difficulté à rivaliser.
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La préface de Stephen King renforce-t-elle l’aspect Nouveau monde de cette interprétation du vampire ?

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Je pense que la force du livre « Dracula » est qu’il fait partie d’un imaginaire universel. Dans ma jeunesse, je me souviens des dessins animés japonais qui adaptaient « Les Trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas. C’était un bel exemple démontrant que les croisements culturels et les adaptations pouvaient fonctionner. Cela participait à l’enrichissement mutuel des cultures ce qui est plus difficile de faire parfois de nos jours avec des concepts un peu fumeux comme l’«appropriation culturelle».

Je me suis surtout intéressé à l’environnement qui entourait le personnage de vampire dans le roman. J’ai d’ailleurs pris la décision de ne pas vraiment dessiner le comte Dracula. Des milliers d’artistes l’ont déjà fait avant moi et les lecteurs ont déjà une idée mentale du personnage.

L’année dernière, j’ai réalisé la bande dessinée « Dédé » au sujet de la vie du chanteur André Fortin, très célèbre au Québec dans les années 90. Il portait sans cesse des lunettes d’aviateur et une marinière. Pour la couverture, j’ai juste représenté ces deux attributs iconiques sans dessiner le visage du personnage principal. Le public a tout de suite compris qu’il s’agissait d’un livre sur André Fortin. Le lecteur est le moteur du récit. Il génère lui-même ses propres images. C’est pour cette raison que le travail d’évocation peut être plus puissant que de montrer crument les choses au premier degré.

Dans chaque illustration de « Dracula », je voulais que le lecteur comprenne tout de suite qu’il était plongé dans un univers vampirique. Pas besoin de dessiner le comte car la terreur imaginée par le lecteur est assez puissante. Je préfère l’érotisme à la pornographie (rires).

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Chevaux, loups, chauve-souris, rats,… Doit-on devenir illustrateur-naturaliste ?

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J’ai toujours aimé dessiner les animaux. Ils sont une source intarissable de métaphores et de symboles dans laquelle je pige abondamment. On dit de moi que je suis un chevreuil dans un corps d’ours ce qui est une belle façon de me décrire. Je vis dans un village de 3 500 habitants et j’ai un accès facile (en deux minutes) à la nature et aux animaux. Il y a aussi beaucoup d’éleveurs de chevaux dans mon coin de pays.
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Avez-vous dessiné les femmes comme des victimes (de leur peur et de leur désirs) ?

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J’y ai ajouté un côté personnel puisque j’ai représenté Lucy avec les traits de ma blonde. J’ai grandi entouré de femmes : mes sœurs, ma mère, ma grand-mère et deux fillettes que ma mère a gardé pendant dix ans. Dans les rencontres familiales, je suis souvent dans les conversations de mes sœurs et de ma mère. J’aime la compagnie des femmes. Pour moi, les femmes sont loin d’être des victimes. Au contraire, dans « Dracula », ce sont même elles qui tourmentent le vampire.

Quand il a fallu illustrer Mina malade, je l’ai représentée avec une posture forte et droite. C’est un personnage que j’aime beaucoup et qui, selon moi, est plus intéressante que son époux Jonathan Harker. 

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Le château du Comte est-il lui aussi un personnage ?
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Puisque j’ai publié il y a deux ans un album, « La Cité oblique » inspiré de textes de Lovecraft sur Québec, je me suis inspiré de l’imaginaire de cet auteur pour créer l’environnement du vampire. Les vieux édifices font écho à un passé particulier et portent en eux une certaine personnalité (un peu comme ma maison). C’est ce que j’ai tenté de faire dans « Dracula ».

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Après Dracula, qu’aimeriez-vous illustrer ?

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Avez-vous des suggestions (rires) ? J’ai plusieurs projets de bande dessinée en cours sur la table à dessin mais je suis en train de voir avec les éditions Callidor ce qui pourrait être possible pour un futur projet. Rien n’est arrêté pour l’instant mais la seconde moitié du XIXe siècle est toujours dans ma zone d’intérêt. Me considérant avant tout comme un auteur de bande dessinée, j’aime travailler seul mais de temps en temps, j’ai un scénariste à mes côtés. Je travaille actuellement avec le scénariste français Rodolphe sur une histoire d’un vaisseau fantôme voguant dans l’Océan atlantique. Ça sortira aux éditions Delcourt l’année prochaine.

J’aime bien interpréter les classiques et comme je le mentionnais précédemment, l’univers de Lovecraft me plaît beaucoup. Je pourrais revenir vers lui éventuellement car j’ai l’impression de ne pas avoir tout exploré dans son œuvre, loin de là.
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