Perçu comme un pur Américain par certains Français, considéré comme « le plus français des dessinateurs américains » par la presse européenne, Miles Hyman navigue surtout entre les deux cultures. Formé l’Université de Wesleyan avant de s’inscrire à l’École des Beaux-Arts de Paris, l’artiste a enrichi son trait au fil des ans. « ABC » (1993), « Le Dahlia noir » (2013), « La Loterie » (2016), affiche de la 34ème édition d’Etonnants voyageurs cette année… Miles Hyman impose son style avec des couleurs vibrantes.
Avec « La Vie secrète des Ecrivains » (2023 – Editions Calmann Lévy), il adapte en bande dessinée le roman de Guillaume Musso et joue avec nos références littéraires.
Entretien avec Miles Hyman, impressionniste de la bande dessinée.
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Votre style graphique fait écho au polar et au mystère. Avez-vous amené un aspect américain en France ?
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Je dirais plutôt que c’est arrivant en France que j’ai découvert les grands maîtres du film noir tels que Jim Thompson. Les Français ont une qualité de réflexion et un regard particulier sur le genre et c’est fascinant. A distance, j’ai pu ainsi apprécier la culture américaine. Je remercie donc la France de m’avoir fait découvrir le polar (rires).
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Qu’est-ce que les Américains pensent de votre travail ?
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Etant un expatrié, les Français pensent que j’ai un style très américain et aux Etats-Unis on pense qu’il est assez French. J’aime en fait naviguer entre les deux cultures. D’un point de vue créatif, c’est un avantage. L’exotisme de l’un fascine l’autre.
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En quoi « ABC » a-t-il été un livre important ?
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C’est une œuvre qui me tient à cœur. Les éditions Futuropolis m’ont donné carte blanche sur le projet. J’avais des images en tête mais je ne trouvais pas le fil conducteur. Le thème est devenu la disparition car je souhaitais dessiner un moment où quelque chose s’est passé ou va se passer. Le sujet choisi, je me suis mis alors à dessiner des portraits obscurs. Les personnages ont des regards qui se perdent.
J’ai voulu montrer une mise en scène qui fait écho cinéma. En France, j’ai passé de longues journées à la Cinémathèque. Je me suis nourri des films que je voyais. « ABC » regorge de clins d’œil à des films tels que « Nosferatu, Fantôme de la nuit » (1922) ou « Gatsby le Magnifique » (1974). Il y a également des références aux toiles d’Edward Hopper. « ABC » mélange mes passions.
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Philippe Djian, James Elroy, Guillaume Musso,… Est-ce un plaisir d’adapter et de travailler avec des écrivains ?
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En lisant leurs livres, il y a des moments qui me touchent et que je vois visuellement. J’adapte mais il y a toujours une place pour l’interprétation. Tout n’est pas figé. J’aime capturer une atmosphère, m’inspirer tout en apportant ma propre vision et me glisser dans la peau de l’auteur afin de raconter son histoire.
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Est-ce que ce fut un exercice d’adapter la nouvelle populaire aux Etats-Unis « La Loterie » (2016) puisque l’auteure était votre grand-mère, Shirley Jackson, disparue en 1965 ?
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C’est un travail qui avait plusieurs défis. Même si ma famille m’a laissé carte blanche dans ce travail, j’ai ressenti une certaine pression. En adaptant « La Loterie », j’ai voulu rendre hommage à ma grand-mère. La nouvelle ne fait que 11 pages mais j’ai réalisé 140 planches de dessins. Il a fallu rythmer le récit d’une façon pour que le secret soit gardé jusqu’à la fin. De par son langage opaque, Shirley Jackson réussit à guider le lecteur sans trop dévoiler son intrigue.
Avec le dessin, vous voyez tout donc j’ai dû ruser. Le regard même des personnages devait être difficile à comprendre. Il a fallu également retranscrire l’ambiance austère et puritaine typique de la Nouvelle Angleterre. J’aime les projets difficiles par conséquent l’adaptation de « La Loterie » m’a plu…
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« Le Dahlia noir » illustré est-il un hommage à la ville de Los Angeles ?
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Soit vous aimez soit vous détestez Los Angeles. C’est une ville qui ne laisse personne insensible. Je l’adore. Alors que New York tient son identité grâce à ses gratte ciels, ses rues et ses immeubles, j’ai compris que l’âme de Los Angeles se nourrit de ce qu’il n’y a pas – en d’autres termes le vide (rires). Pour « Le Dahlia noir », j’ai voulu dessiner cet aspect étrange. Je me suis amusé à capturer la lumière et l’esprit de la ville.
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Pour cette adaptation, il y avait vous, le dessinateur, mais aussi David Fincher et Matz, les scénaristes, et James Elroy, l’auteur d’origine. Est-ce que ce fut difficile de rester fidèle aux réflexions et idées de tous ?
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Dès le départ, James Elroy souhaitait un « droit de vie et de mort » tout le long du projet. Ce n’était pas simple car ce n’était pas un passionné de bandes dessinées (rires). David Fincher et Matz avaient déjà travaillé sur l’adaptation avant que j’intervienne. J’ai beaucoup aimé ce travail de scénarisation du « Dahlia noir ». C’était une prouesse de résumer un roman aussi dense. Elroy a finalement été bienveillant. J’ai donc pu travailler à ma façon et apporter ma propre vision.
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Quel est le rôle des femmes dans votre œuvre ?
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Mon épouse, Carole, est la plupart du temps mon modèle. Le personnage féminin dans mes livres est comme un accès à un univers. Les femmes cultivent sans cesse mon imaginaire. C’est une présence et en même temps une absence. Je dessine des femmes qui regardent souvent ailleurs.
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Vous avez dessiné et adapté le livre de Guillaume Musso « La Vie secrète des Ecrivains ». Est-ce bien parfois d’être seul ?
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Musso a eu l’initiative d’avoir une adaptation graphique de son roman et pour cela, il m’a contacté et m’a donné une totale liberté. Guillaume a aimé la plupart de mes propositions scénaristiques et mes esquisses. J’ai été autonome, seul mais pas solitaire, tout le long du processus.
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Le fait que votre grand-mère, Shirley Jackson, et que votre grand-père, Edgar Hyman, étaient écrivains vous a inspiré ce côté part d’ombre que l’on retrouve dans « La Vie secrète des Ecrivains » ?
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Le rythme de l’écrivain, enfermé pour écrire, est très proche de celui du dessinateur. En général, nous nous comprenons mutuellement.
« La Vie secrète des Ecrivains » montrent deux facettes : l’auteur lassé par l’écriture et le jeune qui rêve d’en faire son métier.
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Vous illustrez également dans « La Vie secrète des Ecrivains » de grands maîtres de la littérature comme William Shakespeare ou Umberto Eco. Est-ce un hommage ?
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C’est une prolongation de mon travail de dessinateur de presse. De plus, Guillaume Musso a la tradition de débuter chacun de ses chapitres par des citations. Je les ai donc illustrées. Les écrivains s’adressent ainsi au lecteur. Ils donnent des indications à propos de l’intrigue. Mes dessins devaient suivre le même processus. Ils ne sont pas juste décoratifs.
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De par son ambiance, ses paysages tortueux, ses références au diable, est-ce aussi un livre fantastique ?
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Guillaume Musso a imaginé cette île avec des références de Porquerolles, d’Hydra, de Martha’s Vineyard (en Nouvelle Angleterre). J’ai donc pu réinviter à ma façon le lieu. L’aspect fantastique est en effet présent. Comment peut-on expliquer qu’un appareil photo ait pu voyager autant ? Musso maîtrise ce style littéraire énigmatique.
J’ai également souhaité qu’à la fin du livre, Guillaume puisse écrire l’épilogue. Cela donne une version parallèle à l’histoire.
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