La figure impressionne, subjugue voire fascine : une créature à plumes occupe les murs de nos villes. Paris, Lisieux, Angers, Los Angeles, Bordeaux, Marseille, Mexico,… Quetzalcóatl, figure sud-américaine, mi-serpent, mi-oiseau, fixe dans la rue nos faits et gestes. Les couleurs varient mais à chaque fois les crocs sont de sortie. Ce dieu créateur de l’univers et de l’humanité méritait sa place dans le street art. Depuis presque 20 ans, Oré, après une longue période graffiti, peint son œuvre partout dans le monde.

Entretien avec un street artist de l’échelle. 

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Vous avez débuté le graffiti en 1989. A quoi ressemblaient vos œuvres de cette époque ?

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C’était avant tout du lettrage – inspiré par le graffiti. J’avais 14 ans. J’étais influencé par la culture hip-hop. C’était pour moi un mouvement alternatif où les adultes étaient exclus. Les graffitis arrivaient pour la première fois à cette période en province. Vivant à Evreux, je me rendais régulièrement à Paris pour taguer les murs de la ville.

A présent, le milieu s’est agrandi. On parle à présent de street art. De nouvelles disciplines se sont intégrées comme le collage. Le pochoir existait auparavant mais il est revenu sur le devant de la scène dès les années 2005. Nous sommes passés du statut d’ados vandales à artistes branchés. 

Je connais certaines personnes de ma génération que j’avais connues en Normandie et qui restent liées de près ou de loin au graffiti. Ce sont des passionnés.
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Votre signature typographique a-t-elle évoluée ?

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De 1990 à 2010, ce fut une constante évolution avec l’influence de mes rencontres et de mes environnements successifs. Depuis ces dernières années, la signature reste plus ou moins la même.

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A la fin des années 90, vous vous rendez au Mexique. Vous adoptez comme inspiration graphique Quetzalcóatl, la divinité serpent à plumes précolombienne. Est-ce que c’est l’aspect visuel ou le mythe qui vous a intéressé ?

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J’ai toujours aimé les mythes. Quetzalcóatl reste une figure majeure de la culture populaire du Mexique. J’avais aussi un fort intérêt pour la mythologie précolombienne. Le mythe est un des plus riches puisqu’il a été transmis de civilisation en civilisation. Même s’il a d’autres formes selon les régions, Quetzalcóatl a perduré. Je représente la figure maya.

L’art urbain se développant beaucoup plus à la fin des années 90-début 2000, je craignais d’être noyé dans la masse. J’ai pris la décision de passer du lettrage à l’emblème. Avec le recul, j’ai finalement suivi un mouvement cohérent. Invader a été le précurseur.

J’ai commencé à installer les plaques de Quetzalcóatl dans les rues de Marseille en 2006.

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De par ses crocs et ses griffes, votre Quetzalcóatl fait écho au lettrage.

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Il est vrai que j’ai transposé la figure mythique en une forme plus art urbain. Mon serpent paraît agressif. Il sort les crocs pour avoir sa place dans la rue.

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En bois, en peinture, en pochoir, présent dans le monde entier, est-ce une œuvre à multiples facettes ?

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Quetzalcóatl a évolué. J’aime le représenter sous des échelles différentes. En grande fresque, Quetzalcóatl a un lien avec les passants des grandes villes. En 2022, j’ai réalisé une œuvre de 800 m² au sol des thermes prestigieuses de Bagnoles-de-l’Orne dans le Sud de la Normandie. Ce fut une expérience humaine formidable. Je pouvais littéralement marcher sur mon œuvre.

Sous un petit format verni, c’est plus anonyme certes mais aussi plus intime. J’ai adoré réaliser une série spécifique pour les rues d’Athènes. J’étais l’un des premiers à coller de l’art. L’histoire de ma famille étant liée à la Grèce, j’ai pu voir l’évolution du pays et l’installation progressive de l’art urbain.

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Les couleurs ont-elles une signification ?

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Avec l’influence graffiti, je privilégie les couleurs tranchées et complémentaires. Ainsi, un serpent avec une tête rouge aura souvent un fond vert.

Je réalise également des séries spécifiques. Lorsque je me suis rendu à Avignon, j’ai privilégié des couleurs ocres et beiges afin de m’adapter aux teintes de la ville.

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Vos œuvres sont-elles perçues différemment en Amérique ?

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Je me rends beaucoup en Arizona où il y a une forte présence de communautés hispaniques. Le serpent à plumes a une place importante dans leurs cultures. Ce fut un vrai plaisir de peindre au Mexique et au Nicaragua. Le mythe de Quetzalcóatl s’est diffusé dans toute l’Amérique latine.

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Instagram est-il un support formidable pour avoir des nouvelles de ses œuvres présentes dans le monde entier ?

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Absolument. Je reçois chaque semaine des photos de Quetzalcóatl. C’est une vraie surprise de découvrir que des œuvres perdurent malgré les années.

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Vous réalisez d’autres fresques. Vous avez un goût pour la grandeur des œuvres ?

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J’en réalise avant tout en Normandie. Dans l’art urbain, the size does matter. Avec des perches et une nacelle, c’est un plaisir d’avoir également plus de visibilité. J’aime autant l’exercice de dessiner dans le format le plus petit possible comme le plus grand.   

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Le squelette est-il aussi une référence à la culture mexicaine ?

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Bien entendu. La fête des morts est un rendez-vous incontournable au Mexique. A la fin du XIXème siècle, le graveur José Guadalupe Posada a popularisé la figure du mort. Il a représenté la société mexicaine sous la forme de squelettes. J’aime reprendre les dessins de Posada. Il y a un aspect de défi face à la mort.

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Quels sont vos projets ?

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Je participe notamment en septembre à une exposition collective dans la crypte de l’église de la Madeleine à Paris. C’est à l’initiative du street artiste Codex Urbanus. 

Je vais continuer également à développer mon art en Arizona (je vis entre là-bas et la Normandie). L’environnement étant immense, le mode de déplacement privilégié reste la voiture. J’opte donc pour les fresques plutôt que les collages. Phoenix est une ville avec beaucoup de murals. Je veux m’y intégrer.

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