Avec le style ligne claire et des thématiques originaux, Aurélien Maury a installé un univers BD bien à lui. « Le Dernier cosmonaute », « Egg », « Oh, Lenny » sont des œuvres remarquables tant sur le point esthétique que sur l’ambiance ambiguë qui s’installe. Il y a comme du Hergé plongé dans un songe incontrôlable.

« Oh, Lenny« , dernière bande dessinée, narre le destin de June, jeune américaine, bouleversé par la rencontre d’une créature inconnue. De par ses fonctions de réalisateur, Aurélien Maury plonge le lecteur dans une ambiance unique et captivante.

Entretien.
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Etudiant en cinéma, vous optez finalement pour la carrière de dessinateur. La mise en scène reste-t-elle au cœur de vos travaux ?

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Alors je ne dirai pas que j’ai opté pour une carrière de dessinateur, je me vois plus comme un metteur en scène avant tout, même si en bande dessinée ça se confond finalement. Je m’efforce de mettre mon dessin au service de mes histoires même si j’attache beaucoup d’importance au style et à la tenue de mon dessin et que j’ai beaucoup de plaisir à dessiner, mais c’est secondaire.

Du reste, j’aime bien envisager mes histoires en bandes dessinées comme des films. Il y a une part de jeu à faire son « cinéma de papier » dans son coin, mais aussi parce qu’il y a un voisinage évident entre la bd et le cinéma notamment sur la question de la mise en scène : les angles de vues, les cadrages, les « mouvements de caméra » et le montage.

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Vous concevez d’une façon très différente vos films d’animation ?

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Oui car il y a peu à voir entre ce que je fais en animation de façon strictement alimentaire et ma carrière d’auteur de bande dessinée, qui est d’avantage mon domaine d’expression. Les deux sont complètement dissociés. Il faut dire que les films d’animations que je réalise sont à visée pédagogique, la mise en scène se veut avant tout didactique plus qu’au service d’une véritable dramaturgie. Comme beaucoup d’auteurs de bande dessinée, je ne vis pas de la vente de mes albums et j’ai cette double casquette. Le métier de réalisateur est très plaisant mais prenant, pas toujours facile à concilier avec la création pour la bande dessinée qui elle aussi est chronophage, d’où la lenteur de ma production d’albums.

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Dessin qui rappelle la ligne claire mais avec une vraie originalité du trait. Quel est votre style graphique ?

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On me range souvent dans la catégorie « ligne claire » et ça me convient tout à fait. Le style d’Hergé m’a vraiment marqué au fer à l’enfance et depuis tout ce qui ressemble à de la ligne claire m’attire irrésistiblement sans que je ne sache trop pourquoi à vrai dire. Mes influences vont d’Hergé, à Chaland en passant par Tillieux, Peyo, Adrian Tomine, Jaime Hernandez… côté bande dessinée. Les estampes japonaises, celles de Hasui Kawase par exemple, ou encore les illustrations de Bilibine ou de Boutet de Montvel me parlent tout autant…
La recherche d’une ligne qui soit la plus claire possible, juste, efficace… quelque part c’est une quête de perfection qui me plaît bien dans le travail de dessinateur, car c’est terriblement exigent. Mais surtout ça se prête bien à mes envies de mise en scène. La « ligne claire » désigne aussi la limpidité de la narration et pas que le style graphique. J’aime bien jouer du contraste entre une narration très claire, un style de dessin très lisible, d’apparence très simple et « propre sur soi » et un propos plus « tordu » voire sibyllin.

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Pour quelles raisons avez-vous créer les éditions Tanibis ? Pourquoi ce lien avec l’Egypte ancienne ?

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Les éditions Tanibis ont été fondées par trois étudiants férus de bande dessinées désireux de se faire publier (Samuel Petit, Claude Amauger et moi). Nous nous sommes rencontrés à un cours du soir de bande dessinée à Lyon, animé par Ambre. Assez naturellement, nous avons eu envie de faire notre propre fanzine, « Rhinocéros contre Eléphant », pour y publier nos premières histoires. Ça nous a permis d’apprendre empiriquement ce qu’est l’édition, en nous professionnalisant petit à petit. Ça a pris finalement plusieurs années avant que notre collectif se mue en vraie maison d’édition et publie ses premiers albums. Je dois dire que bien présent depuis les tous débuts, mon rôle a toujours été de second plan tout de même.  Quand à la fascination pour l’Egypte ancienne, je ne sais plus. Sans doute nos lubies du moment, il y a maintenant 25 ans de cela.
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« Achevé d’imprimer » est-il une œuvre semi-autobiographique ?

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Tout est vrai !
L’album est un super épisode de la série « Tanibis Channel » que nous publions exclusivement sur le site des éditions Tanibis. Nous nous sommes amusés à produire une sorte de « mocumentaire » sur les coulisses de notre maison d’édition. Dans « achevé d’imprimer » nous revenons sur la gestation tumultueuse des éditions Tanibis et nous mêlons joyeusement le vrai et la légende disons.

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« Le Dernier cosmonaute », « Egg », « Oh, Lenny », est-ce que ce sont les histoires de personnes qui finalement n’arrivent pas à être compris par leur entourage ?

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Je dirais que les personnages de mes livres sont souvent très seuls, même parmi les autres : Larry dans le dernier cosmonaute est dans sa bulle et a du mal à mener une relation, Zak dans Egg  est mis au ban par une société qu’il ne comprend plus, il erre dans l’espace en solitaire rongé par la haine et June dans Oh Lenny prend la tangente vis à vis de son mari, de la société pour s’épanouir… Ces histoires évoquent leurs difficultés à rester connectés aux autres à mesure qu’ils se recroquevillent dans leurs mondes intérieurs.

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La (difficile) vie de couple est-elle un sujet qui revient souvent dans vos œuvres ?

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J’ai fait peu de livres. Le thème de la vie de couple ou de la difficulté à être en couple en tout cas, revient en effet dans deux d’entre eux mais je ne sais pas si c’est encore assez pour voir se dégager une vraie récurrence. Je ne crois pas que ce soit un thème qui m’intéresse consciemment, en tout cas au départ de l’élaboration d’une histoire. Cela doit être plus accidentel, c’est à dire que mes histoires étant assez resserrées sur peu de personnages, pour des raisons pratiques car il est plus simple de « gérer » deux, trois personnages à la fois, assez facilement elles traitent de personnages en couple et donc de leur problématiques et leur intimité.
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« Oh, Lenny » est comme une quête initiatique voire un songe. Comment avez-vous eu l’idée du personnage de June ? Pourquoi à nouveau les Etats-Unis ?

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Le personnage de June ne s’est pas imposé d’emblée. J’avais une envie d’histoire fantastique et pas mal d’ingrédients pour un récit qui lorgnait au départ plus vers la série B. Ça tournait un peu à vide et ça manquait d’enjeu et d’âme… il a fallu se poser pas mal de questions sur ce qu’était en train de vivre ce personnage en prise avec une créature aussi étrange que Lenny, qui lui était là depuis le départ à peu près tel quel, pour vraiment la cerner. Cela a pris pas mal de temps et mon éditeur m’a beaucoup accompagné dans cette étape. Le rapport du personnage aux animaux a été la clef, de là, elle a pris peu à peu vie.

Au sujet du cadre, j’ai choisi de camper l’histoire dans des Etats-Unis imaginaires. C’est l’Amérique qu’on perçoit à l’arrière-plan de séries B, de films indépendants, de séries télés, dans la pop-culture mais pas les « vrais Etats-Unis » que je connais moins. Ça me permet de convoquer tout un arsenal de codes et de clichés avec lesquels jouer pour faciliter la mise en place de mon histoire : le lotissement pavillonnaire, le motel, l’autoroute… Comme je l’avais fait pour « Le Dernier cosmonaute » avec le dinner, le drive-in, les maisons ou la ville. Pour les deux albums, je n’avais pas envie d’aborder l’histoire de façon réaliste, plutôt de me projeter dans un décors imaginaire qui sied bien aux deux histoires je trouve et qui laisse pas mal de place à l’imaginaire justement, à l’onirisme, à la fuite des réalités. J’aurais pu ancrer Oh Lenny en France je suppose, mais je ne sais pas, j’aurais peut-être eu plus de mal à jouer avec les codes du cinéma fantastique américain qui m’a influencé. ça n’aurait forcément pas dit la même chose à l’arrivée, ça n’aurait pas été les mêmes ambiances.

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Que représente Lenny, cet animal sans identité ?

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Chacun doit se faire son idée, je pense. Le récit fonctionne en grande partie sur le fait qu’on ne sache  pas très bien ce qu’il est. Ni quelles seraient ses « motivations ». Il est insondable d’autant que son espèce et son origine sont inconnus. On est témoin des effets ambivalents qu’il produit chez June en tout cas. A l’écriture j’ai pu penser à la figure du vampire et j’aimais bien qu’il puisse évoquer différentes choses à mesure qu’il évolue et que sa relation avec June se développe (l’amant violent, l’addiction, la dépression, l’épanouissement…) sans se borner à une seule signification pour autant. Un peu comme la créature de « Possession « de Zulawski.
Ce que je voulais surtout c’est qu’on puisse avoir un minimum d’empathie pour lui, en tant qu’être vivant.
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La sexualité est-elle une libération ou une emprise dans « Oh, Lenny » ?

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Sur le plan de la sexualité, June est relativement frustrée avec son mari. La passion s’est tarie depuis sans doute longtemps, il n’y a plus vraiment de symbiose. Lenny débarque et sa vie devient plus intense, elle n’a probablement jamais connu ces sommets avant… Cette extase lui procure bien du plaisir mais lui fait franchir un point de non-retour. Je trouve difficile de trancher entre libération ou emprise, je laisse au lecteur la possibilité d’en décider. J’aime mieux que ce ne soit ni noir ni blanc.
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Doit-on s’inquiéter pour June ?

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On s’inquiète pour elle assez vite je pense, peut-être dès l’instant où elle recueille cette créature. Je me suis efforcé de l’accompagner sans la juger tout au long de l’histoire. La fin est ouverte… Elle peut sembler assez désespérée ou laisser entrevoir un peu de lumière, c’est selon. June n’est plus la même qu’au début et elle ne reviendra pas en arrière en tout cas.

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Quels sont vos projets ?

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Dès que possible, je m’attaquerai à l’écriture d’un prochain album.

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