Dessinateur incontournable des années 60-70, Gilbert Shelton, fier Texan, a marqué de son empreinte le monde du comic book undergroud. Wonder Wart-Hog, les Freak Brothers, Fat Freddy’s Cat,… Des personnages aussi attachants que surprenants. Les Freak Brothers ont même droit à leur adaptation en dessin animé avec les voix de John Goodman, Pete Davidson et Woody Harrelson.

Comme son fidèle ami et collègue, Robert Crumb, Gilbert Shelton s’est finalement installé en France.

Entretien avec un artiste de l’Underground.

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Vous avez commencé au sein du Texas Ranger magazine. Que retenez-vous de cette période ?

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Nous allons justement republier les meilleurs dessins de cette période dans mon autobiographie, « The Gilbert Shelton Scrapbook ».

Au Texas Ranger magazine, il y avait des artistes si talentueux tels que Bill Helmer. J’ai certes fait des études de sciences et d’histoire mais ma vraie éducation je l’ai eu avec les magazines humoristiques. Nous avions nos bureaux dans les locaux du département de journalisme. Je me souviens que nous avions l’habitude de manger ensemble des hamburgers au prix de 35 cents.

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Pensez-vous que votre personnage Wonder Wart-Hog, super-héros violent, était à l’image des Etats-Unis de l’époque ?

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C’est avant tout une parodie de Batman et de Superman. Quand j’étais très jeune, je lisais des histoires de super-héros mais je n’étais pas un grand fan du genre. Pour même être honnête, je n’ai jamais vraiment lu de Marvel. Ce n’est pas quelque chose qui me plaît.

Je vivais à l’époque à New York et j’ai parlé de mon idée de cochon super-héros à Bill Killeen. Il était bien meilleur que moi-même. Bill m’a conseillé de ne pas commencer l’intrigue par les débuts de Wonder Wart-Hog. Cela devait venir avec des flash-backs. Bill est parti du Massachussetts pour Austin mais il a continué d’écrire des histoires de Wart-Hog. Il faisait qu’il était étudiant mais travaillait pour moi et le Texas Ranger magazine.

Wonder Wart-Hog n’est pas un personnage vraiment cohérent. En tant qu’homme de gauche, je l’utilisais pour dénoncer le conservatisme de l’époque. L’atmosphère de l’Université du Texas était différente du reste de l’Etat texan. C’est cela qui m’a inspiré.

J’aime Wonder Wart-Hog car il a le don de tout faire. Grâce à lui, j’ai imaginé des histoires de dingue.

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Vous avez passé du temps à San Francisco où vous avez pu revoir la chanteuse Janis Joplin. L’ambiance était elle aussi unique puisque vous dites que là-bas même les policiers prenaient de la drogue. Tout cela et cette incroyable créativité qui régnait vous inspirait ?

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Janis Joplin et moi avions fait nos études ensemble à l’Université du Texas. L’art dramatique pour elle et moi les arts plastiques. Nous nous sommes en effet revus à San Francisco. Il y avait beaucoup de Texans. Cela nous galvanisait. En 15 ans de vie à San Francisco, j’ai surtout fréquenté des Texans. Nous avions les meilleurs musiciens du pays et nous faisions sans cesse la fête.

J’ai rencontré des types comme Fred Todd, Dave Moriaty et Jack Jackson. Avec eux, je dessinais des affiches de rock mais l’impression était de mauvaise qualité. Nous avons alors décidé de nous consacrer à la bande dessinée. C’est ainsi que j’ai créé les Freak Brothers. Cela a tout de suite bien marché. Nous avons publié 10 cartoons underground avec notamment des histoires de Robert Crumb.

De nos jours, San Francisco est bien différent.

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Les histoires de Freds N Heads s’apparent-elles à un journal psychédélique ?

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Oui. Je faisais des dessins pour des journaux. Je n’ai jamais eu à l’esprit d’en faire des bandes dessinées jusqu’à ce que je rencontre Robert Crumb. J’ai compris que le format livre était une opportunité pour s’amuser, pour s’améliorer graphiquement et pour gagner plus d’argent. Cependant, je n’ai jamais cherché à monter un grand business ou devenir un bourgeois.

Les bandes dessinées pour adultes sont devenues à la mode et n’étaient limitées à rien. Le magazine Mad a publié des BD de science-fiction et d’underground géniales.

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La bande dessinée est toujours muette. Y’a-t-il de la musique que vos lecteurs pourraient écouter tout en lisant vos BD ?

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Pas vraiment. Je suis un grand fan de jazz et de Rythm & Blues. Horace Silver est un artiste que j’adore. Cependant, lorsque je dessine, je n’écoute que la radio. D’ailleurs, même si Robert Crumb est un grand musicologue et un bon musicien, il travaille lui aussi sans musique.

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Les Fabulous Furry Freak Brothers sont-ils un mélange de votre personnalité ?

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Oui. J’écris naturellement des histoires et des dialogues. Même si on me donne parfois des idées d’intrigue, cela veut sûrement dire que mes personnages sont une partie de moi. Parfois, ils me surprennent. J’aime tout particulièrement Fat Freddy’s Cat.

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Est-il d’ailleurs la voix de la raison ?

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Il est plus intelligent que les Freak Brothers. Dans les années 60, j’avais compris que tout ce qui parlait de chats allait devenir un best-seller. Fat Freddy’s Cat apparaissait de temps en temps. On pouvait l’apercevoir se baladant en bas des pages des Freak Brothers. Je dessinais ce chat tout à fait naturellement. Je me suis même mis à lire des bouquins sur les petits félins.

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En tant que responsable syndicaliste du Rip Off Press, avez-vous eu parfois des difficultés à manager des artistes de la contre-culture ?

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J’étais rédacteur et de temps en temps oui je le reconnais ce n’était pas simple. Je me souviens que Ted Richards faisait partie des fortes têtes. Un jour, je lui avais dit qu’il avait mal orthographié un mot. Ted a alors rétorqué : « Non ce n’est pas vrai » (rires).

Ted était un bon ami donc cela allait. Il était juste difficile au travail. J’ai tout fait pour aider les artistes à développer leurs propres idées.

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Quelle est la part des femmes dans votre travail ?

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Contrairement à Dave Sheridan, je n’ai jamais réussi à dessiner de belles femmes. Il y a finalement peu de présences féminines dans mes histoires. Les relations hommes-femmes ne sont finalement pas très drôles.

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« Not quite dead » est-il votre travail le plus français ?

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Pic, l’artiste français, a été une grande aide. Avec lui, nous avons imaginé des histoires qui pouvaient être vendues partout. Cela fait longtemps que j’ai compris qu’il ne fallait pas faire de blagues avec des jeux de mots car elles sont difficilement traduisibles ailleurs.

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Que pensez-vous des actuels comic books underground ?

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Je dois avouer que je suis à présent assez déconnecté. Je suis certain qu’il y a de grands artistes. J’aime le travail de la Canadienne Julie Doucet.

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Quels sont vos projets ?

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Je dessine toujours des histoires de Freak Brothers. Je m’amuse beaucoup avec eux surtout quand je les fais quitter San Francisco. Les Freak Brothers ont sillonné le monde. Ils ont été en France, en Espagne, en Allemagne, en Ecosse et même en Russie.

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