Dans « Les Crayons« , Frédéric Bihel se met en scène. Il se rend dans le Limousin pour retrouver les lieux de son enfance. Sa mère l’accompagne. Au fil du livre, le dessinateur retrouve la cour de son école, qu’il fréquentait en 1971. Il avait six ans. Les souvenirs affluent. Véritable carnet de dessin, « Les Crayons » nous transmet des pistes afin de retrouver une petite fille.
Avec la légèreté de son crayon, Bihel évoque son passé et par conséquent ses propres interrogations.
Entretien.
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Après des dizaines d’années en tant que dessinateur, vous abordez avec « Les Crayons » votre enfance. Quel fut le déclic ?
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Je souhaitais raconter cette histoire depuis très longtemps. A partir du moment où j’ai compris que je risquais d’oublier une partie de mon enfance, j’ai tenu à réaliser enfin ce livre. De plus, il y a quelques années, ma compagne m’a posé quelques questions que je ne m’étais pas posées. Le fait de raconter mon enfance à quelqu’un d’autre m’a permis de donner une forme au récit. Ma mère m’a également soutenu dans ma démarche d’écrire.
J’ai commencé à travailler début 2020. Dès la première version, il y avait déjà les scènes du grenier. Cela avait intrigué ma compagne donc je me suis concentré sur ce lieu mystérieux. N’ayant plus de trop de souvenirs, j’ai commencé à imaginer ce que j’y faisais enfant. D’une certaine manière, cette partie fictionnelle m’a permis de lancer le récit autobiographique.
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Vous illustrez beaucoup les paysages. Est-ce une lettre d’amour à la campagne ?
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Non. Je n’ai aucune nostalgie de mon enfance. En revanche, lors de mon retour à la campagne à la fin de l’année 2022, j’ai voulu confronter mes souvenirs de 1971 à ce que je voyais. J’ai voulu réaliser des dessins précis afin de mieux ancrer mon récit et ainsi mieux aborder ce passé oublié.
J’ai conscience également d’avoir connu une campagne très vivante avec une faune et une flore plus variée que de nos jours. Il fallait qu’avec mon dessin je retranscrive cet aspect.
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Pour quelles raisons avez-vous dessiné la ville de Limoges de façon cartographique ?
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Ce lieu est surtout raconté par les mots. Je ne dessine que des morceaux de rue, des façades de maison ou des plans. Je voulais échapper au côté historique.
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Pourquoi la plage est en couleurs ?
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Il s’agit d’un souvenir particulier lié à des photographies. Je voulais créer un choc pour le lecteur. La plage des « Crayons » est présentée comme un lieu à part.
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Des souvenirs sont-ils revenus après la sortie des « Crayons » ?
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Non. Cependant, alors que je réalisais le livre, des choses sont revenues comme les dessins que faisait mon père dans un carnet.
Le fait d’illustrer le grenier m’a fait beaucoup de bien car j’avais l’impression de redonner vie à ma sœur disparue.
A la sortie des « Crayons », j’ai surtout ressenti du soulagement. Mes souvenirs étaient partagés. Lorsque certains lecteurs ont commencé à échanger avec moi sur le livre, l’histoire semblait aussi leur appartenir. Je me suis senti délivré d’un grand poids.
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Tout au long de l’album, vous revenez à vos propres dessins et à vos propres lectures (Mickey, l’Odyssée, Pif). Est-ce que ce fut un certain plaisir à illustrer ?
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Comme pour un livre qui aborde l’Histoire, je me suis documenté. J’ai même étudié les fourgons Peugeot qui transportaient les enfants dans les campagnes. J’ai revu la série TV « L’Odyssée ». J’ai pu ainsi confronter mes souvenirs à la réalité. Le dessin a véritablement redonné vie à mon enfance.
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Dessiner votre sœur a-t-il été délicat ?
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Oui. J’ai dessiné mes parents de façon allusive voire fantomatique. Tout comme pour moi enfant, je n’ai pas essayé de représenter ma sœur de façon trop réaliste. Mon dessin devait à la fois lui ressembler et en même temps elle devait être présentée comme toujours vivante. Ma compagne, qui avait un regard extérieur, m’a beaucoup aidé pour trouver le bon ton et la bonne distance.
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« Les Crayons » se termine avec un album photo. Est-ce une façon de mieux intégrer le lecteur ?
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Une photo est un format semblable à un dessin. C’est finalement une interprétation de la réalité. Au décès de ma sœur, mes parents ont pris la décision de se débarrasser de tous les objets qui rappelaient son souvenir. Je n’ai plus que des photos d’elle.
« Les Crayons » n’est pas seulement une bande dessinée. A l’instar du livret de famille de ma sœur, avec les cases et les légendes écrites à la main, l’album photos complète le livre.
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Voyez-vous vos crayons de couleurs différemment ?
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C’est pendant l’écriture du scénario que ma mère m’a raconté cet aspect de l’histoire. Je n’avais aucun souvenir des crayons. La boîte de couleurs est devenue partie prenante du récit.
J’ai pris conscience que le dessin était mon langage et les crayons mes outils.