Gastronomie et mode se font parfois écho. Les deux réclament une certaine élégance voire une élégance certaine. La France a d’ailleurs choisi d’avoir une cuisine unique et célébrée et une mode plébiscitée et admirée. Tout est finalement histoire de passion.

Nathalie George donne autant d’importance à la cuisine qu’à la mode. Passée chez les maisons Dior et Christofle et malgré les interminables heures de travail, elle n’a jamais songé à négliger l’art de la table.

Dans toutes les situations et tout au long de sa carrière, Mademoiselle Nathalie est une combattante. Pendant près de 20 ans, elle a vécu dans une chambre de bonne de 6,50 m², coincée sous les toits d’un vieil immeuble du 16ème arrondissement de Paris. Nathalie George a su vivre en harmonie avec son environnement et ses voisins – jeunes étudiants bien souvent peu enclins à se faire à manger. Suite à cette expérience, un livre a été publié : La Cuisine du 6ème étage.

La vie est pleine de surprises – il faut savoir les accueillir.

Entretien-portrait avec Nathalie George.

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L’Italie a-t-elle été pour vous un foyer d’accueil et aussi pour la gastronomie et la mode ?

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Même si je suis une vraie française, il est vrai que lorsque ma mère, que j’appelle Françoise, m’a emmenée à Portofino en Italie alors que j’étais enfant, je me suis sentie en osmose avec le lieu et les personnes qui ont été très affectueuses. De 7 à 17 ans, j’y passai une grande partie de mes vacances d’été. Portofino était plus joli à mon sens que Saint-Tropez. L’Italie est mon pays de cœur. La simplicité et l’accessibilité de la gastronomie italienne ont fait son succès. Le risotto, la mozzarella et les pâtes sont formidables, la réalisation est somme toute assez simple. La cuisine française, quant à elle, est plus élaborée. Cependant, la préparation de l’omelette peut s’apparenter au risotto. Ce que l’on retrouve dans ces deux plats c’est de vous pouvoir y mettre ce qui vous reste dans votre réfrigérateur : les herbes même un peu fanées, les champignons, le fromage…

Concernant la mode, je souhaite apporter un bémol. Jusque dans les années 90, Paris regorgeait encore de couturiers. Les Italiens étaient beaucoup plus talentueux dans le sportwear. Gucci ou Prada faisait de la maroquinerie. Au fil du temps, il y a eu un glissement. Les Français ont délaissé la couture et les Italiens ont pris le relais. Par la création de vêtements plus simples à porter au quotidien. Le chic est à présent en Italie.

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Gilberte dite Gigi, était votre grand-mère adorée. Originaire du Nord de la France, veuve de guerre, autoritaire, elle a su vous « former le palais ». Gigi était-elle une femme typique de son temps ou était-elle d’une grande originalité ?

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Elle était une grande emmerdeuse par conséquent elle avait des choses à dire et à transmettre. Sans discussion aucune, vous deviez finir votre plat. Il ne pouvait y avoir de gaspillage. Issue d’une bourgeoisie aisée de la Picardie, Gilberte a été mariée à l’âge de 15 ans et est devenue veuve durant la Première Guerre mondiale. Elle a alors décidé d’aller vivre à Paris seule avec son fils. Son second mariage, avec mon grand-père, Jean-Émile, ancien combattant dans l’armée de l’air, a été un mariage d’amour. C’est Gilberte qui l’a demandé en mariage. Il s’agissait d’un couple, certes d’un milieu favorisé mais c’était impensable de jeter la nourriture. Mes grands-parents étaient d’une grande rigueur et s’occupaient des autres. Gilberte était radical-socialiste et respectait son personnel de maison. Elle tenait également à aider les plus défavorisés ce qui ne l’empêchait pas d’être très élégante.

Ma mère, Françoise, était d’un style différent. Elle avait du chic et du chien. Ma mère fut celle qui a fondé le premier prêt à porter de luxe (Marie-Martine) au milieu des années 50. Du côté maternel, ma famille était artiste. Ma grand-mère était la petite-fille du sculpteur Alexandre Charpentier et modiste. Par conséquent, l’une faisait les chapeaux et l’autre, Gilberte, les achetait.

Quant à mon père, architecte et peintre, il aimait avoir des tenues originales pour l’époque – avec des chemises violettes.

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Qu’avez-vous appris de votre expérience chez Dior ?

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Ce fut important. J’ai été ramasse-miettes pendant dix ans. Il n’y a aucun sot métier. Chez Dior, Avenue Montaigne à Paris, j’ai pu vendre à tous les rayons. J’ai été également caissière, emballeuse et stockiste. Passionnée de mode, j’ai aimé vendre les sacs à mains, les gants, les chapeaux bref tous les colifichets. J’ai appris à connaître le comportement des femmes. J’ai appris à faire les paquets ce qui m’a été fort utile lors de mon époque chez Christofle. Nous devions porter un uniforme. Je garde un grand souvenir de la maison Christian Dior.

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Vous devenez ensuite styliste chez Christofle. Ayant exercé des responsabilités, avez-vous pensé à votre grand-mère Gilberte ?

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J’ai commencé à travailler chez Christofle en 1980. Gilberte est décédée deux ans plus tard. Pendant ces deux ans, je rentrais déjeuner chez elle tous les jours.

Christofle a été la chance de ma vie. Au départ, j’étais responsable des sélections de produits. En novembre 1982, par chance, on m’a demandé de sortir une collection d’objets cadeaux pour avril de l’année suivante. Je n’ai eu rien à perdre et je me suis jetée corps et âme dans ma nouvelle fonction. Je ne savais pas plus que cela du monde de la fabrication. Mais ayant à l’emballage chez Dior, j’ai retrouvé les lieux de fabrication des objets (les plateaux, les cadres, les cache-pots) que j’avais emballés, en retrouvant les factures des objets. Sans le savoir, j’avais acquis chez Dior une culture et une connaissance des produits. Le service en porcelaine que j’ai réalisé a été vendu chez Christofle pendant plus de dix ans. Au milieu des années 80, j’ai continué en tant qu’indépendante.

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Vous avez également été créatrice du matériel de restauration à bord d’Air France et pour les chemins de fer japonais.

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J’ai été contactée par Air France en tant que spécialiste des arts de la table et j’ai gagné le concours pour la création du matériel de restauration à bord pour les trois classes. Le processus étant long et avec le changement de présidence d’Air France, le service n’a finalement pas été intégré à la Première. J’ai créé pour Air France pendant toutes les années 90.

J’ai commencé à travailler au Japon grâce à la réunion des musées nationaux en réalisant l’identité visuelle d’un musée à Karuizawa. J’ai ensuite travaillé pour les chemins de fer japonais. J’ai notamment conçu l’identité visuelle du train Tokyo-Hokkaido.

J’ai un grand amour pour le Japon, pour la rigueur et le côté professionnel. Le patron des chemins de fer japonais, étant francophone et francophile, était d’une grande culture. 

Mon expérience chez Dior m’a été à nouveau bénéfique car j’avais eu une collègue japonaise qui m’avait initiée aux codes de son pays natal. Elle a d’ailleurs été ma première interprète pour mon premier projet. J’ai toujours beaucoup aimé regarder le monde autour de moi.

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Malgré vos différentes fonctions, y’avait-il tout de même le souci de bien manger et de ne pas sauter les repas ?
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Renoncer à un repas est une grave erreur professionnelle. Je suis même convaincue que les déjeuners et dîners sont indispensables pour le bon déroulement d’un travail. La table est un moment de partage et de retrouvailles. Contrairement à la vie connectée d’aujourd’hui, vous prenez le temps d’échanger oralement et de regarder les yeux de votre interlocuteur.

La France a cette tradition de régler des affaires autour d’une table. On s’engueule, on déclare son amour – c’est le temps de la cérémonie, des retrouvailles… De nos jours, la pratique tend à disparaître progressivement.

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La cuisine française a-t-elle commis l’erreur de ne pas avoir su proposer un plat rapide à manger ?

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Cela existe mais nous n’avons pas réussi à le mettre en valeur. Le croquemonsieur est pourtant un plat délicieux. C’est même meilleur qu’un panini. Les femmes de nos jours ont tort de préférer déguster une salade toute faite pleine de sucre ajouté au lieu d’un sandwich aux rillettes. La Française de l’après-guerre n’a jamais été grosse et pourtant elle cuisinait et mangeait de tout. Il y a du bon gras. La France n’a pas su mettre en valeur ses forces gastronomiques.

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Cuisiner est également un plaisir ?

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C’est comme l’amour. La préparation est tout aussi agréable que l’acte de manger. Devant les étalages des boucheries, je rêve autant que devant les boutiques de Chanel. D’une grande imagination, j’invente de nouvelles recettes selon ce que je trouve. J’achète toujours plus de nourriture que j’en ai besoin. C’est aussi un héritage de ma grand-mère Gilberte. Il y avait toujours des vivres pour autrui. J’ai déménagé il y a peu de mon minuscule studio du 16ème arrondissement de Paris. Mes voisins me manquent.

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© Benoît LINDER

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Vous avez en effet vécu dans un 6,50m² pendant 18 ans. Malgré tout, vous n’avez jamais délaissé ni la mode ni la cuisine. Vous vous êtes juste allégée. Peut-on faire mieux avec moins ?

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Nous pouvons même faire beaucoup mieux. J’aurais même loupé quelque chose si je n’avais pas connu une telle expérience. Ce n’était certes pas facile tous les jours mais je me suis adaptée. Les souvenirs de ma grand-mère Gilberte m’ont beaucoup aidée. Je me suis occupée de mes voisins de palier. Je les voyais monter les escaliers avec des sachets de salade. Je leur disais qu’ils pouvaient faire de grandes économies en allant au marché du coin. De plus, la qualité était bien meilleure. Il m’est souvent arrivé d’accompagner mes jeunes voisins fauchés au marché. Je voulais leur présenter au bon chaland. Ils changeaient alors leurs habitudes.

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Quel est le meilleur plat pour l’hiver ?

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La flamiche picarde est délicieuse et peu grasse tout comme les endives au jambon. Pour les non-végétariens, je recommande les salades de pomme de terre avec une sauce échalote et du poisson fumé. Cela peut tout à fait être formidable. 

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Les desserts sont-ils les joyaux de la cuisine française ?

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C’est vrai. La pâtisserie italienne est bien trop sucrée. Le mont-blanc, le baba ou les mille-feuilles reviennent au goût du jour. Tant mieux.

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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC

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