Imposteuse, folle, « putain ribaude », « cocarde » voire sorcière. Ses ennemis ne se sont jamais lassés d’insulter la Pucelle. Jeanne d’Arc – Plus de 5 siècles après sa mort, elle continue d’être une figure de premier plan de l’histoire de France. Même outre-manche, Jeanne d’Arc reste une figure de fascination (au même titre que Napoléon Bonaparte) pour ses ennemis d’autrefois. Maudite pendant des siècles, elle est même devenue une sainte pour l’Eglise.

Comme beaucoup de personnages historiques, il y a des parts d’ombres. Malgré les sources, il sera toujours difficile de cerner le profil de cette jeune fille de Lorraine devenue guerrière.

Enseignante-chercheuse et Professeure émérite, Claude Gauvard a su proposer une version originale des faits historiques avec « Jeanne d’Arc – héroïne diffamée et martyre » (Premier ouvrage d’une série sur « Les femmes qui ont fait la France »).

Dès son époque, la Pucelle a fait parler d’elle. Jeanne d’Arc était certes admirée mais également vilipendée.

Entretien.

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« Putain ribaude » écrit en 1461, soit 30 ans après la mort de Jeanne d’Arc, le noble nivernais Jean II des Ulmes. Comment une insulte aussi grave au XVème siècle vous a décidé d’étudier de plus près la Pucelle ?

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Ayant beaucoup travaillé sur l’histoire de la criminalité, je me suis accoutumée aux insultes du Moyen-Age.  « Putain ribaude » est une insulte qui est à la fois importante en charge mais aussi en qualité que l’on peut adresser à une femme. Si dans la société ordinaire, un tel affront n’est pas vengé, celle qui est insultée peut devenir aux yeux des autres une véritable putain ribaude. Cette insulte a été prise à la légère par de nombreux historiens alors qu’elle me semble très importante dans une société où l’honneur est une composante fondamentale.

J’ai retrouvé cette insulte dans une archive du Parlement datant de 1461. Cette insulte cumulative (putain étant la même chose que ribaude) m’a donné envie d’écrire sur Jeanne d’Arc. Pourquoi a-t-elle pu susciter tant de haine y compris 30 ans après sa mort ?

Le beau-père de Jean II des Ulmes, Perrinet Gressart était Bourguignon et pro-anglais au cours de la Guerre de Cent ans. Par conséquent, le beau-fils n’avait pas dû entendre parler de Jeanne d’Arc en bons termes. Même si Perrinet Gressart a finalement défait la Pucelle sur ses terres de La Charité-sur-Loire en fin de l’année 1429, elle lui a tout de même tenu tête pendant plus d’un mois. Une résistance face à un tel homme de guerre était exceptionnelle. De plus, Jeanne d’Arc avait « capturé » Orléans – ville stratégique pour envahir ensuite le Berry – région que Perrinet Gressart souhaitait conquérir. Le maître de La Charité-sur-Loire va même refuser les conditions de la Paix d’Arras (trêve entre les Armagnacs et les Bourguignons). Par conséquent, une bonne partie des biens de Perrinet Gressart ont été récupérés par le roi de France Charles VII. L’héritage de Jean II des Ulmes a par conséquent été bien entamé. Malgré cette frustration financière, le noble nivernais doit rester dans l’obédience de Charles VII. Dans le texte que j’ai étudié, Jean II des Ulmes n’insulte pas directement le roi. Il dit simplement que des souverains n’ont pas été justes et par conséquent « les poux les ont mangés ». Ce dicton est probablement une allusion aux textes anciens. Par contre, Jean II des Ulmes n’hésite pas à traiter feu Jeanne d’Arc de « Putain ribaude ». C’est une femme qui a faussé les rêves de pouvoir des Bourguignons dans le Berry.

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Native de Lorraine, Jeanne vivait-t-elle dans un univers favorable à la monarchie française ?

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La Lorraine est un pays de frontières. Elle est par conséquent particulièrement sensible à la vie politique. Jeanne d’Arc est clairement dans le camp de Charles VII car son environnement est favorable à la cour de France. Le duc de Lorraine, quant à lui, proche du camp anglo-bourguignon, a lancé plusieurs opérations de pillages dès le début du XVème siècle. Jeanne est originaire de Domrémy, village qui est à proximité de Neufchâteau. Les fleurs de lys sont sur les murs de la ville. De plus, le roi Charles VI a donné Neufchâteau en apanage à son fils, Charles d’Orléans. D’une certaine manière, le Dauphin est déjà sur place. Jeanne d’Arc est très rapidement consciente des enjeux politiques et militaires. Elle est de plus la fille d’un homme qui est clairement une autorité au sein de Domrémy. C’est un « coq de village » si l’on reprend les propos de l’historien Marc Bloch. Le père de Jeanne est en effet un intermédiaire lors des discussions sur les taxations. Jeanne a grandi dans ce milieu.

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Très vite, Jeanne d’Arc va revendiquer le nom de Pucelle et devient « Homme de guerre ». Qu’est-ce qui la rendait si exceptionnelle pour son époque ?

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Je pense qu’elle prend la coupe de cheveux d’un homme pour des raisons sanitaires. Une longue chevelure sous un heaume est très inconfortable avec les poux. La coupe de cheveux est devenue ensuite symbolique.

Jeanne d’Arc monte également à cheval très vite alors qu’elle n’est que fille de laboureur. Lors de son voyage vers Chinon, elle est accompagnée par une petite d’escorte d’hommes.

Le parcours de la Pucelle est certes extraordinaire car elle choisit les armes. Cependant, elle se revendique prophétesse – ce qui est loin d’être un cas exceptionnel à cette époque.

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Entendre des voix était-il peu commun au XVème siècle ?

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Il existe des dizaines de prophétesses en France à l’époque de Jeanne d’Arc. Les rois ont bien souvent été entourés de devins. Il y a d’ailleurs plus de prophétesses que de prophètes. Ces femmes viennent très souvent des frontières. Les prophétesses sont soit très jeunes donc vierges soit âgées telles de matrones : Elles ne sont par conséquent pas des tentations sexuelles.

Les prophétesses ne sont pas jugées sur les actes mais sur la parole. Dans le livre « Jeanne d’Arc », je me suis interrogée sur leur durée de vie en tant que prophétesses. Jeanne d’Arc a été interrogée par des théologiens afin de vérifier que les voix qu’elle entend ne sont pas celles du diable. Dès la fin du XIVème siècle, il y a une hantise de la sorcellerie dans une grande partie de l’Europe. Le théologien Jean de Gerson avait notamment prévenu qu’il fallait se méfier ces femmes prophètes.

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Jeanne croyait-elle vraiment en l’authenticité de ces voix ?

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Certainement. Lors de son procès, elle déclare que ce sont les voix qui lui donnent la force de répondre « hardiment ».

Jeanne d’Arc est également observée physiquement notamment à Chinon, à Vaucouleurs puis à Beaurevoir et à Rouen lorsqu’elle est captive des Anglais. Sa virginité est expertisée sans qu’elle s’y oppose. Jeanne fascine. On explique même que si la Pucelle saigne c’est parce qu’elle monte à cheval.

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La pureté d’une femme était-elle la garante d’une certaine vérité ? 

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Absolument. Personne, allié ou ennemi, n’a remis en question la virginité de Jeanne d’Arc. Elle déclare que cette pureté n’a jamais été demandée par Dieu. Jeanne a choisi de rester pucelle. Elle s’est conformée à ses visions de Sainte Marguerite et Sainte Catherine. Les deux étaient vierges.

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Le jeune Charles et sa cour ont-ils voulu innover en confiant une armée à cette prophétesse ou y’avait-il une envie de surprendre l’ennemi anglais ?

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Le Dauphin n’avait aucun choix. La situation militaire et politique était catastrophique. Jean Dunois, le Bâtard d’Orléans, était prêt à capituler devant l’ennemi.  Même lors de son passage sur la Loire, rien ne prédestinait Jeanne d’Arc à réussir sa manœuvre. Les vents étaient contraires et brusquement tout s’est calmé en faveur du camp français. Jeanne a pu ainsi ravitailler les troupes royales et leur redonner confiance. Le déclic a été psychologique et formidable pour Charles d’Orléans.

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Les faits d’armes de Jeanne d’Arc ont-ils tout de même été exagérés ?

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Oui notamment le danger de l’escorte entre Vaucouleurs et Chinon. Jeanne avait finalement peu de risques de rencontrer des troupes anglaises lors de son voyage. Autre aspect exagéré, c’est d’avoir dit que Jeanne d’Arc était à l’initiative de tout. Même les historiens du Centre Jeanne d’Arc d’Orléans disent que la Pucelle était un mauvais chef de guerre. Elle était certes hardie mais d’un point de vue militaire, ce caractère peut être négatif. Durant la Bataille de Patay (1429), Jeanne d’Arc ne commande qu’un petit bataillon. La victoire vient de l’avant-garde de l’armée française.

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Gilles de Rais est souvent perçu comme l’antithèse de Jeanne d’Arc. Quels étaient leurs liens ?

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Il faut être prudent à propos de l’image que nous avons de Gilles de Rais. C’est un personnage complexe qui tout au long de sa vie n’a pas été le même. Jeanne d’Arc a connu le Gilles de 1429.

Le baron de Retz est sorti de la Guerre de Cent ans meurtri. Il est retourné dans ses terres contrairement à Jean Poton de Xaintrailles qui reste dans l’armée royale. Il est même possible que le bûcher de Jeanne a eu des effets sur Gilles de Rais. Charles VII a également provoqué de la défiance envers ses sujets.

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Le sacre à Reims (1429) montre-t-il que les événements religieux et symboliques étaient supérieurs aux enjeux militaires ?

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Le sacre à Reims de Charles était une priorité de Jeanne d’Arc. L’entourage du Dauphin, quant à lui, n’en voyait pas l’intérêt. Reims était alors occupé par les Bourguignons. De plus, pour les élites intellectuelles (en particulier les juristes), le sacre n’avait pas autant d’importance que pour les gens du peuple.

Jeanne d’Arc, incarnant la culture populaire, a réalisé un véritable exploit. Charles VII a été sacré en France contrairement au jeune Henri VI, roi d’Angleterre, qui n’avait été sacré qu’ Outre-Manche. Par conséquent, ce dernier n’avait pas la légitimité pour le peuple de régner en France.

Il est souvent dit que les villes accueillirent la Pucelle avec joie. La réalité est bien différente : A Troyes, le 4 et 5 juillet 1429, elle fut insultée de « cocarde » par la population. Le terme s’apparente à celui de « Putain »… Le frère franciscain Richard a même tenté d’exorciser Jeanne. La ville de Troyes a été prise après une négociation entre les élites de la ville et les conseillers du Dauphin. Le lien a été favorisé car beaucoup d’entre eux avaient fait leurs études ensemble au Collège de Navarre de Paris. La population troyenne, plus ouvrière, était favorable aux Bourguignons. Ces derniers avaient notamment aboli les Aides et les taxes. Souhaitant se rendre à Reims pour sacrer Charles, Jeanne n’a fait que presser les négociations. Les villes ont ensuite accueilli l’armée française car elles avaient été informées des pourparlers de Troyes.

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Jeanne est blessée à la jambe par une flèche. Le siège de Paris (1429) est-il le début de la fin pour la Pucelle ?

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Selon moi, oui. Pour l’historien Philippe Contamine, c’était le sacre qui a provoqué sa chute. La réalité est plus complexe car Jeanne garde son image de prophétesse. Par contre, la tentative de prendre Paris est l’erreur de trop. La ville possédait une enceinte parfaitement organisée. De plus, les Parisiens n’étaient pas prêts à ouvrir les portes.

En plus d’être blessée, Jeanne perd à ses côtés son porte-étendard. C’est lors du siège de Paris que Charles VII ne croit plus en la Pucelle. Pour un roi, une prophétesse est une personne qui doit toujours réussir. En échouant à Paris, il semble que Dieu n’est plus aux côtés de Jeanne d’Arc.

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Lors de sa capture et de son procès, la prophétesse devient sorcière. De telles accusations permettent-elles de tuer symboliquement Jeanne d’Arc ?

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Oui mais je dois rappeler qu’elle est déjà perçue par les Anglais et les Bourguignons comme sorcière avant le procès.  Les hommes d’armes étaient même effrayés par Jeanne d’Arc. Les armées médiévales sont bien souvent le foyer des plus grandes superstitions. Un grand nombre de soldats portent autour de leur cou un brevet afin de se protéger durant les combats. Lors de leur passage dans les villes et campagnes, c’est d’ailleurs souvent des hommes d’armes qui enseignent aux femmes la sorcellerie. Même Poton de Xaintrailles, maître de l’Ecurie du roi et proche de la Pucelle, croyait dur comme fer aux superstitions.

Il est même dit que les soldats anglais étaient plus sujets aux superstitions que d’autres armées. Le duc de Bedford a expliqué la défaite d’Orléans en déclarant que ses troupes avaient été effrayées par Jeanne d’Arc. Les chroniques prétendent même que les Anglais auraient préféré se noyer plutôt que de l’affronter. William Glasdale, capitaine anglais qui a insulté la Pucelle de « Putain des Armagnacs » lors du siège d’Orléans, est mort au fond de la Loire.

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« Ils la craignaient plus qu’une grande armée » disent des témoins du procès à propos des juges. Les accusateurs ont-ils été marqués par celle qu’ils ont envoyé au bûcher ?

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Face à une sorcière, vous n’avez qu’une seule solution : la bruler afin d’éliminer l’envoutement. Jeanne d’Arc a été condamnée par le feu car elle fut perçue comme hérétique; les juges craignaient qu’elle soit une véritable sorcière. Parmi les juges, il y avait certes un inquisiteur, Jean Lemaître, mais c’est avant  tout Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui mène le procès. Nous sommes loin de l’inquisition du XVIème siècle. Cependant, les juges ont peur de Jeanne d’Arc.

Les textes prétendent même que les Anglais n’ont pas osé reprendre les manœuvres militaires durant le siège de Louviers avant que Jeanne ne soit exécutée.

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La mort de Jeanne d’Arc le 30 mai 1431 ne l’a pas fait disparaître. La figure historique continue encore de nos jours d’exister et est utilisée maintes et maintes fois pour des visées politiques. Pourquoi une telle continuation aussi longue ?

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Jeanne d’Arc n’a jamais cessé d’être connue. La littérature de colportage a maintenu l’idée fausse d’une jeune bergère. Cette propagande armagnac naît en 1429 soit pendant le vivant de Jeanne d’Arc. La ville d’Orléans devient très rapidement un foyer du souvenir : Les fêtes johanniques apparaissent les 1431-32. Le mythe de sainte a perduré aux XVIème et XVIIème siècles. A l’époque des Lumières, des personnalités comme Voltaire ou encore Montesquieu vont critiquer Jeanne d’Arc comme figure de superstition. Jamais la Pucelle ne laisse indifférente. La renaissance arrive au cours du XIXème siècle. Dès la publication de « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo (1831), le Moyen Age est remis au goût du jour. Le XIXème siècle est également un moment très religieux (Il y a plus d’églises construites durant cette époque qu’au Xième siècle). De nouveaux courants chrétiens vénérant les miracles prennent également forme dans la société. Jeanne d’Arc fait partie des figures.

Un autre courant apparaît ensuite autour de Jeanne d’Arc sous l’influence de la pensée de Jean Jaurès et de Charles Péguy. La Pucelle est alors perçue comme une figure populaire. Ce fut déjà le cas avec l’historien Jules Michelet. Jeanne étant considérée comme une fille du peuple et victime d’un procès inique. Michelet étant anticlérical, voit la condamnation injuste de la Pucelle comme une injustice de l’Inquisition.

Le procès de béatification de Jeanne d’Arc en 1909 est également un moment clé. Elle est enfin christianisée.

La statue équestre de la Place des Pyramides à Paris est érigée en 1874 en plein contexte du sentiment de revanche contre l’empire allemand après la défaite de 1870. Initialement, il y avait initialement deux couronnes – une à gauche et une à droite. Jeanne d’Arc a été une figure d’union politique. Au fil du temps, la couronne de gauche s’est volatilisée et la Pucelle est devenue uniquement un important symbole de la droite nationaliste.

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Qu’est-ce qui vous a surpris chez Jeanne d’Arc ?

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Le courage.

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