Les toutous, Ada & Rosie, Coco, Mari Moto, Carnets de campagne… Tous ces histoires et personnages peuplent l’univers coloré de Dorothée de Monfreid. Aussi à l’aise dans la littérature jeunesse que dans l’humour politique, la dessinatrice arrive toujours à étonner son monde. Même son (petit) atelier parisien fait figure de lieu-trésor avec les livres et les planches minutieusement dessinées. A l’image de Mari Moto à bord de son bolide, Dorothée de Monfreid va toujours de l’avant. Nous sommes prêts à la suivre.

Rencontre avec une artiste qui va continuer à surprendre son monde.

.
.
.
.

Vous avez publié près de soixante livres – tous aussi différents les uns des autres. Dorothée de Monfreid – êtes-vous une accro du travail ?

.
.
.
.

 C’est vrai, j’adore travailler. Et comme je n’aime pas faire toujours la même chose, j’essaie de me renouveler à chaque projet. Je me sens mal si je ne fais rien.

.
.
.
.

Pourquoi avoir choisi le monde des livres jeunesse ?

.
.
.
.

Quand j’étais étudiante, l’édition jeunesse avait le vent en poupe. Je m’intéressais aux livres pour enfants car c’était un domaine plein de vitalité et d’invention. Il existait beaucoup de choses de grande qualité. À cette époque, j’ai rencontré Grégoire Solotareff, dont j’aimais le travail et qui n’était pas encore éditeur. Quand je lui ai montré mes dessins, il m’a encouragée à continuer, mais aussi à écrire mes propres histoires. Un peu plus tard, il est devenu éditeur à l’Ecole des loisirs en créant la collection Loulou & Compagnie, destinée aux très jeunes enfants. C’est dans cette collection qu’il m’a proposé de publier « Le chien du lapin », mon tout premier livre, en 1999.

.
.
.
.

.
.
.
.

La recherche des personnages (leur apparence et leur caractère) est-elle aussi complexe que l’histoire elle-même ?

.
.
.
.

J’écris des histoires pour tenter de comprendre la nature humaine. Cela peut paraître paradoxal car mes personnages sont souvent des animaux, mais ce sont des animaux avec des rôles d’humains. Beaucoup de choses, dans une histoire, passent par l’apparence, le caractère et le comportement des personnages. Je travaille donc beaucoup cet aspect des choses, à la fois par le dessin et par l’écriture. Mon objectif est de me défaire de mes a-priori pour construire des personnages véritablement singuliers.

.
.
.
.

.
.
.
.

Quelle est l’influence de Roland Topor dans votre travail ?

.
.
.
.

Je ne peux pas dire s’il m’influence, mais son travail me bouleverse, depuis toujours. Il a un style sans aucun « truc » de dessin, à la fois lourd et hyper sensible, toujours profond et simple, avec beaucoup d’humour et en même temps, le sens du tragique. Plus je regarde ses dessins, plus je les aime. J’apprécie beaucoup ses textes, aussi, en particulier « Le locataire chimérique » (1964). Je suis très réceptive à cette vision du monde, à la fois concrète et fantastique.

.
.
.
.

Les formats de vos livres varient. Est-ce l’artiste qui doit s’adapter aux différents formats et vignettes ou vous êtes maîtresse à la fois du fond et de la forme ?

.
.
.
.

À la maison d’édition l’Ecole des loisirs, nous sommes libres de choisir les formats de nos albums, en collaboration avec l’éditeur de la collection pour laquelle on travaille. Dans la collection Loulou & Cie, les livres étant destinés aux jeunes enfants, voire à des bébés, ils sont souvent cartonnés. Aujourd’hui, ma série Les Toutous a évolué et s’adresse plutôt à des enfants entre 2 et 8 ans. C’est pourquoi nous les imprimons sur une carte souple qui en fait de vrais petits albums.
.
.
.
.

« Super Sauvage » (2011) est un livre-disque. Est-ce une œuvre à part ? Vous aimez chantez et jouer.

.
.
.
.

La musique fait partie de ma vie. « Super Sauvage » est une œuvre à part car c’était un véritable travail d’équipe, dans lequel les personnalités de chacun des sept musiciens a pu s’exprimer.

Dans mon travail, je cherche toujours à être le plus possible « au présent », c’est-à-dire à avoir un rapport au temps plus harmonieux, moins distancié. Ça ressemble à ce que les psychologues appellent l’état de flow.

Quand on fait des livres, le temps de la réflexion, du dessin et de la publication sont très différents. La musique jouée devant un public, quant à elle, se déroule dans le présent. Lorsqu’on chante devant un public, on ne peut pas utiliser de tip-ex pour corriger sa voix. Il en ressort un état de concentration et de présence au monde particulier. C’est cette immédiateté, ce côté direct que je recherche dans mon travail de dessin.

Avec « Super Sauvage », nous avons eu une longue période de répétitions. Nous nous retrouvions chaque semaine chez moi pour de grandes soirées de musique (bien arrosées). Nous avons ensuite passé trois jours en studio pour enregistrer le disque à l’ancienne, tous ensemble. Je savais que je vivais un grand moment de ma vie. J’aimerais un jour revivre quelque chose d’aussi intense et ardent, voire réaliser un nouveau projet musical.

.
.
.
.

Les toutous sont une joyeuse meute en quête de savoir. Un grand nombre de détails enrichissent les différents albums. Plus on est de fous plus on rit ?

.
.
.
.

Je ne sais pas. Parfois j’aime m’isoler, parfois je veux rencontrer du monde.

Au début des années 2000, j’ai publié plusieurs livres qui mettent en scène un éléphant, Coco. Et puis j’ai eu envie de changer de registre, de dessiner des animaux plus variés et poilus. J’avais envie de créer un groupe de personnages qui deviendraient de véritables camarades pour les enfants, des amis imprimés sur carton, toujours disponibles. J’ai choisi les chiens car cela me permettait, en restant dans une même famille animale, de varier les formes, tailles et caractères physiques. La réalisation du premier livre m’a plu. J’ai décidé d’en faire d’autres avec les mêmes personnages. C’est ça qui a donné naissance à la série Les Toutous. Il n’y a pas eu de concept prémédité. J’ai juste voulu partager une vision du monde avec les enfants : comment des êtres si différents peuvent s’accorder et s’apprécier ?

.
.
.
.

.
.
.

Avez-vous un toutou préféré ?

.
.
.
.

Ça dépend des jours.

.
.
.
.

Qui est Popov ?

.
.
.
.

Je considère que tous les toutous sont plus ou moins de grands enfants ou de jeunes adultes, mais Popov est le plus âgé, celui qui fait mine d’être responsable des autres.

.
.
.
.

Votre propre look est-il volontairement travaillé ?

.
.
.
.

Quelle drôle de question ! En effet, je m’intéresse aux vêtements. Ils sont un moyen pour exprimer quelque chose de soi et le communiquer aux autres. Le travail des stylistes et des artisans de la couture est passionnant. Ils rendent visible le caractère de l’époque grâce à un medium très quotidien, qui touche tout le monde. Pour ma part, je passe pas mal de temps dans les friperies pour trouver des habits anciens qui me plaisent. Je les associe à des pièces actuelles. J’aime les choses structurées avec des couleurs franches, graphiques. Au fil des années, on arrive à bien se connaître et à savoir ce qui nous va, d’où peut-être l’impression de « look travaillé ».

.
.
.
.

.
.
.
.

Avec « Les Choses de l’amour », « Ada & Rosie, mauvais esprit de famille » ou « Marie Moto », vous vous êtes écartée de la littérature très jeune. C’était une nécessité ou juste des pauses ?

.
.
.
.

J’aime les livres tout public. « Ada & Rosie » et « Les Choses de l’amour » sont des livres pour adultes que peuvent lire les plus jeunes. « Mari Moto » est un livre pour enfants qui peut être lu par tout le monde. Je n’ai jamais voulu me spécialiser. Cet éclectisme est souvent mal compris par mes lecteurs, car j’ai publié beaucoup plus de livres pour enfants que de livres pour adultes. Je vais inverser la tendance dans les années qui viennent.

.
.
.
.

« Carnets de campagne » fut un véritable exercice avec 5 autres auteurs. Vous avez dessiné des hommes et des femmes politiques écologistes. Est-ce que ce fut un vrai défi (inspiration au fil de l’actualité) pour vous qui travaillez souvent seule ?

.
.
.
.

 Avec ce livre, nous avons inventé une manière de travailler véritablement collective. Il y a six auteurs pour un récit unique, chronologique, dans duquel nous nous passons le relais de la narration. Nous nous mettons nous-même en scène. Participer à un tel projet était pour moi quelque chose de fou. L’actualité et la politique ne sont pas mes sujets habituels. J’avais déjà exploré l’écriture autobiographique dans des petites bandes dessinées en noir et blanc publiées sur Instagram, mais la confrontation avec le monde politique fut très inattendue. J’ai accepté le projet en me disant que j’allais essayer de comprendre ce qui motive les candidats à s’engager de la sorte.

Mathieu Sapin, qui a piloté le projet, nous a proposé à chacun de suivre un des candidats. Dernière arrivée dans l’équipe, j’ai hérité de l’écologiste Yannick Jadot. Ce qui est incroyable, c’est qu’avant de travailler ensemble, nous ne nous connaissions pas tous. Mais au fil du temps et des échanges, nous sommes devenus presque inséparables… À la fin, on s’habillait pareil pour nos séances de dédicaces collectives.

Le rythme de travail a été très intense pendant toute la campagne, car le livre devait sortir seulement dix jours après le 2e tour, ce qui est un tour de force éditorial. Mais paradoxalement, je trouve que ça a été une aide d’avoir si peu de temps, car cela nous a évité de nous poser de mauvaises questions. Nous avons aussi bénéficié de l’émulation du groupe. Nous avions un fil de discussion Signal sur lequel nous partagions nos expériences et nos dessins. Cela nous a permis de nous encourager mutuellement tout au long du travail. Au fil du temps, les interactions entre nous se sont multipliées, les liens resserrés. Ça se voit dans l’album : le dernier dessin du livre a été réalisé à six mains.

.
.
.
.

Yannick Jadot a-t-il été un bon modèle à dessiner ?

.
.
.
.

Oui. Je confirme qu’il est très grand et a une manière bien particulière de bouger. Ce fut formidable de dessiner sa gestuelle.
.
.
.
.

Quels sont vos projets ?

.
.
.
.

J’ai terminé en juillet le tome 2 de « Mari Moto ». Le livre est sorti le 23 septembre 2022 et s’appelle « L’affaire des animaux disparus ». Comme je savais que je devrais y travailler en même temps que qu’à « Carnets de campagne », j’ai demandé à la scénariste Lison d’Andréa de collaborer à l’élaboration de la structure. Cela m’a permis, à partir des idées que j’avais prévu de développer dans cette nouvelle histoire, d’avoir le temps de construire, avec elle, une intrigue solide.

Sinon en ce moment, nous adaptons, avec cette même scénariste et avec la société de production Dandelooo, mes livres des Toutous pour en faire une série animée. Un teaser a été présenté mi-septembre au festival Cartoon Forum https://dandelooo.com/portfolio/les-toutous/

Je m’occupe également de la mise à jour de ma boutique en ligne, où je vends des tirages en édition limitée de mes dessins https://www.dorotheedemonfreid.fr/boutique/.

Je commence aussi à travailler à un nouveau projet de bande dessinée adulte, où il sera à nouveau question de politique.

.
.
.
.

PARTAGER