De « L’Amoureux » (2003) à « Des Souris et des Hommes » (2020) en passant par « Les Riches heures de Jacominus Gainsborough » (2018), le monde artistique de Rebecca Dautremer nous réserve toujours plein de surprises. Les histoires sont uniques tout comme l’illustration et le format. Pas de doute il y a chez l’illustratrice de la rigueur et beaucoup de passions. Le détail est même un personnage à part entière. A tel point que les livres de Rebecca Dautremer peuvent tout à fait être relus et revus. Ce fabuleux monde n’a pas fini de nous surprendre.

Entretien.

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llustratrice vous êtes également passionnée de photographie. Que vous apporte cet autre art ?

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Ayant été étudiante aux arts déco, j’ai pu travailler avec un photographe de studio. Il composait ses propres photos comme de véritables tableaux et faisait également des pochettes de disques. J’ai beaucoup appris en le regardant travailler.

Même si je ne suis pas photographe, lorsque je compose une image avec mon pinceau, j’ai finalement l’impression d’avoir un appareil photos dans les mains. Je fonctionne de façon très concrète : Je convoque mes acteurs et mes décorateurs afin de créer ma scène. Je résonne ainsi en cadrage, en profondeur de champ, en premier plan. Je compose même des flous que l’on retrouve souvent dans mes photos. Les techniques photographiques m’ont toujours été utiles.

Le cinéma, le théâtre ou la littérature peuvent également m’inspirer mais pas forcément le travail des autres  illustrateurs.  

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Depuis vos débuts dans l’illustration, les mentalités ont évolué. Comment expliquer ce plus grand intérêt aujourd’hui ?

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Il y a un engouement incroyable pour le dessin. De nos jours, les familles acceptent mieux le fait que leurs enfants puissent penser à une carrière artistique. A mon époque, ce n’était pas le cas. La création de nouvelles écoles d’art montre cet intérêt.

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Après avoir illustré les œuvres de Maurice Genevoix ou de Jean de La Fontaine, vous avez réalisé votre première œuvre à 100% en 2003, « L’Amoureux ». Comment est venue cette idée de livre ?

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« L’amoureux » illustre un souvenir d’enfance. Il s’agit d’une réflexion sur l’amour. Un petit garçon me martyrisait à l’école et je ne comprenais pas pourquoi. Il tirait sur mes cheveux ou m’arrachait mon cartable. On m’a alors expliqué que c’était possible qu’il soit en fait amoureux de moi. Cela me décontenançait.

Le livre a connu le succès et a même été récompensé par le prix Sorcières décerné par l’Association des Librairies Spécialisées Jeunesse. « L’Amoureux » est aujourd’hui à sa 16ème réédition.

Cependant, je ne sais pas si j’aurais pu publier une telle histoire aujourd’hui. Il est difficile d’associer une certaine violence à de l’amour.

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Vous avez réalisé de nombreux livres avec votre conjoint Taï Marc Le Tanh (« Babayaga », « Cyrano », « Le Grand Courant d’air », « Elvis »). C’est un certain confort de travailler en famille ?

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Oui c’est un travail que l’on fait ensemble et non une adaptation d’une œuvre d’un autre siècle. C’est très agréable de concevoir à deux l’association du texte et de l’image.

Après un break, nous travaillons à nouveau ensemble sur un projet.

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Habiller les animaux c’est les humaniser, les rendre plus proches de nous ?

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Même si je les dessine en tant qu’animaux, les personnages ne sont pas pour moi des animaux. Cependant, avec des poils, des museaux, des cornes, des nageoires, cela donne une plus grande richesse à votre dessin. C’est un vrai amusement.

Avec « Les Riches heures de Jacominus Gainsborough », c’était une façon d’attirer le regard des jeunes et des moins jeunes lecteurs. Vous montrez des animaux avec un aspect mignon. Au moment de la lecture, vous pouvez alors aborder des sujets plus graves tels que la guerre ou la mort de la grand-mère.;

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Il y a une part adulte dans vos livres jeunesse. Est-ce parfois difficile de mêler imagination enfantine et des messages plus complexes ou c’est naturel pour vous ?

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Oui c’est naturel par contre vous devez également convaincre le public de vous suivre dans votre démarche. Qu’importe l’âge de mes lecteurs, je réalise des livres pour eux. « Les Riches heures de Jacominus Gainsborough » réussit à être autant aimé par les enfants que par les adultes. J’ai reçu un grand nombre de courriers de lecteurs de tout âge qui me disent avoir pleuré à la fin du livre.

Lors d’une dédicace, la mère d’une petite fille de 5 ans m’a confié que la page préférée de son enfant c’est celle de l’enterrement. Cela l’a questionnée. C’est exactement ce que je recherchais avec « Les Riches heures de Jacominus Gainsborough ».

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Vos couvertures sont sobres avec des personnages de profil sans sourire. Quel est votre rapport avec cette image et est -ce la première connexion avec le lecteur ?

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Nous devons faire en sorte que les livres soient lus et achetés. La couverture a ce rôle. Elle doit à la fois intriguer le passant et à la fois se démarquer de la multitude de livres à côté du vôtre. J’aime réaliser des portraits en couverture. Je pense avoir réussi avec « Les Riches heures de Jacominus Gainsborough ». Pour « Une toute petite seconde », j’ai illustré le même lapin mais je le voulais plus petit et plus mignon.

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Que ce soit avec « Midi pile » qui est un véritable livre objet, « Des Souris et des Hommes » qui retranscrit en images tout le roman de John Steinbeck, « Une toute petite seconde » qui est une fresque de deux mètres, vous semblez aimer relever les défis techniques. Vous voulez aller toujours plus haut ?

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Je recherche toujours le changement et la surprise. Je ne veux en aucun cas faire toujours la même chose. Avec le personnage de Jacominus, je propose certes une série de livres mais ils auront chacun une narration et un format différents. Je réfléchis déjà à l’originalité du 4ème album.

Je vais d’ailleurs laisser de côté la littérature jeunesse pour mon prochain projet. Ce sera un roman graphique pour adultes basé sur un véritable fait divers français.   

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Pourquoi avoir choisi d’adapter le roman « Des Souris et des Hommes » ?

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Je voulais travailler avec la maison d’éditions Tishina sur l’adaptation graphique d’un roman publié dans son intégralité. L’histoire devait à la fois être bonne, connue du grand public et courte. Si vous voulez adapter un roman dans son intégralité et en même temps l’illustrer, vous ne pouvez le faire avec une longue histoire.

« Des Souris et des Hommes » est comme une nouvelle. C’est une histoire courte mais forte. Ce fut un vrai plaisir pour moi d’illustrer un univers dur avec des gueules et des paysages ruraux typiquement américains. Cela m’a permis de m’éloigner de l’univers jeunesse.

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Quel est votre passage préféré du roman court de Steinbeck ?

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Je l’avais déjà lu dans ma jeunesse et je l’ai relu plusieurs fois afin de l’illustrer. Même si je n’ai pas encore le recul pour juger « Des Souris et des Hommes », j’aime beaucoup les didascalies et les représentations des lieux. Il y a également dans les débuts de chapitres, un calme apaisant – c’est en fait le calme avant la tempête…

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« Les Riches heures de Jacominus Gainsborough », cela semble être l’œuvre la plus personnelle (des personnages portent même les prénoms de vos enfants). Vous êtes-vous pris d’affection pour ce petit lapin blanc ?

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Oui je me suis impliquée bien plus dans l’écriture. Avec Jacominus, je prends beaucoup de plaisir d’être une autrice de textes. L’illustration ne doit pas être seulement le décor d’une histoire.

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Pour « Une Toute petite seconde », l’inspiration vient du tableau « Jeux d’enfants » de Pieter Brueghel. Vous aimez illustrer le détail ?

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Je n’arrive pas à comprendre les tableaux que l’on saisit au premier coup d’œil. J’ai envie de me perdre dans une œuvre complexe et pleine de détails. J’aime les artistes bavards et avec Brueghel, effectivement il y a à manger.

Quand j’illustre, j’aime passer du temps dans les détails car c’est une invitation pour le lecteur de se plonger davantage dans votre univers.

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Jacominus reviendra-t-il pour mieux nous surprendre ?

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Je veux créer un livre sonore. Je vais enregistrer ma voix qui raconte l’histoire. Il y aura une véritable ambiance sonore avec notamment des musiciens. J’ai même envie de chanter (rires). C’est un véritable défi pour moi donc nous verrons.

Vous pourrez lire le livre sans le CD ou écouter sans lire.

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