‘Партиза́н !’ – le terme partisan résonne toujours dans les mémoires de l’ex-URSS comme une figure majeure de la Grande guerre patriotique.
Suite à l’invasion allemande, la guerre de partisans s’est répandue dans toutes les campagnes d’Ukraine, de Biélorussie ou encore de Russie afin de soutenir l’armée rouge et de permettre d’harceler et de vaincre l’occupant nazi en 1944. Comment traiter un tel sujet au-delà du mythe ? Comment cette mémoire continue d’exister après la chute de l’URSS ?
Entretien avec Masha Cerovic, Maîtresse de conférences à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales et autrice du livre « Les Enfants de Staline – La guerre des partisans soviétiques (1941-1944)« .
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À quel moment peut-on dire que la guerre des partisans débute ?
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Au printemps 1942 dans les territoires de forêts de Biélorussie, du nord de l’Ukraine et de Russie centrale. Cette guerre commence après le premier hiver de l’occupation, au moment où le choc de l’invasion est enfin digéré et que la réalité de la terreur nazie devient incontestable pour les populations.
La guerre des partisans débute dans un mélange de banditisme et de guerre avec une organisation spontanée dans des campagnes très isolées. Ce n’est qu’ensuite, pour citer un rapport allemand, qu’elle se propage « à la vitesse d’un feu de paille ».
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Les autorités allemandes avaient-elles eu conscience que les populations soviétiques pouvaient résister. S’y étaient-elles préparées ?
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Les Allemands s’attendaient en effet à une résistance féroce dans ce pays « judéo-bolchévique » qu’ils craignaient tant. Une répression préventive avait été imaginée et s’est abattue sur les populations dès les premières heures de l’invasion afin d’empêcher toute résistance à venir.
Ce sont en partie ces actions violentes, nourries par le fantasme nazi, qui vont pousser des soviétiques à entrer en résistance.
Mais paradoxalement cette guerre partisane va être mal saisie par les Allemands dans la mesure où ils sont aveuglés par leur croyance au spectre judéo-bolchévique. Le phénomène de résistance est pourtant complexe, multiple et finalement n’a peu à voir avec une quelconque mainmise communiste ou juive.
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Était-ce finalement le moteur du nazisme de n’être que violent et répressif envers des populations slaves ?
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Cette question revient de façon lancinante notamment en Russie et en Ukraine aujourd’hui. Que ce serait-il passé si les Allemands s’étaient comportés autrement ?
Mais ce comportement à l’Est notamment à l’égard des populations civiles ou envers les prisonniers de guerre est fondamentalement lié au projet nazi. Le but était d’anéantir le « phénomène judéo-bolchévique » et bâtir le projet colonial d’installer des populations aryennes dans l’Est de l’Europe.
Cette double combinaison à la fois idéologique et coloniale a rendu impossible le fait que les Nazis puissent se comporter autrement avec les populations slaves.
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Le sujet de la guerre des partisans en URSS est extrêmement large et complexe. Comment on se plonge dans un tel travail de recherches ?
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En se plongeant avec plaisir dans les archives. Puis on se laisse emporter par ce que l’on trouve. Les corpus sont classés par thématiques et donc j’ai pu gagner du temps dans mes recherches. Mon travail n’a pas été exhaustif et mon ambition n’était pas de réaliser une encyclopédie ce qui aurait été en effet très difficile.
Certains historiens se sont penchés sur des faits et actions locales ce qui relève d’un travail très intéressant. J’ai juste essayé de comprendre un phénomène et l’expérience même de ces combattants.
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Comment étaient perçus les commissaires politiques parmi les partisans ?
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C’est une question qui ne se posait pas vraiment parmi les partisans et est plutôt dans l’imaginaire que l’on projette sur eux.
Le corps des officiers politiques de l’armée rouge était très complexe puisqu’il double l’ensemble de la hiérarchie militaire. Au niveau les plus bas, les politrouks, qui sont au contact avec les soldats, sont des jeunes officiers ou sous-officiers et ne sont pas du tout identifiés comme des hommes à part. Ils sont aimés ou détestés comme tout autre officier.
Les partisans imitent le fonctionnement même de l’armée rouge. Les commissaires politiques sont, par conséquent, présents et dans la plupart des cas il n’y a pas non plus de réelles distinctions.
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Y’a-t-il des différences d’organisation des partisans selon les régions ?
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Oui elles sont la conséquence du chaos provoqué par l’invasion allemande. La structure imite celle de l’armée rouge : Les régiments ont notamment des numéros comme toute armée régulière. Certaines unités sont plus imprégnées par l’idéologie militaire du fait de la présence de soldats.
Les officiers ont un niveau d’éducation supérieur à certaines populations locales qui ne savent ni lire ni écrire. Ils sont donc considérés comme les chefs naturels. Cependant, les paysans sont très utiles par leur connaissance du territoire et par leur faculté à survivre dans des conditions difficiles. Le personnel médical, souvent juif et originaire des villes, est assez démuni avec l’absence de médicaments et apprend de nouvelles méthodes de soins avec le contact de la population locale.
La brigade de partisans, quant à elle, ne correspond pas à une organisation militaire. Certains partisans s’organisent en unions ou en confédérations.
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Quel est le rôle principal des partisanes et des enfants ?
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L’intégration des femmes va varier selon les unités. Même s’ils ne sont pas considérés comme membres de l’unité, les femmes et les enfants sont principalement utilisés pour l’espionnage, les attentats ou les ravitaillements. Ils sont ceux qui circulent facilement dans les zones occupées.
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La lutte était-elle plus intense face aux milices pro-fascistes comme la milice populaire ukrainienne ? Y’avait-il des rivalités entre partisans ?
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Il existe des tensions et des disputes de territoire entre unités mais il n’y a jamais de combats entre partisans.
Mais l’essentiel de la lutte partisane est orientée vers la police locale qui collabore avec les Allemands. À partir du milieu de l’année 1943, Moscou ordonne aux partisans soviétiques de se déplacer vers l’Ouest et d’affronter notamment l’UPA, l’armée insurrectionnelle ukrainienne. À la fin de l’année 1943, suite à la rupture politique entre l’URSS et le gouvernement polonais en exil, les combats vont également débuter avec l’Armia Krajowa en Biélorussie occidentale alors que les relations entre les partisans locaux n’avaient pas été jusque-là tendues.
Mais les partisans russes, fraîchement arrivés en Ukraine et en Biélorussie, ne comprennent rien de ces différences, de ces revendications nationalistes et, par conséquent, il n’y a aucun mal pour eux de suivre les ordres de Moscou.
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Quelles étaient les relations entre les partisans et SMERSH et les autres services secrets soviétiques ?
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Il n’y a pour l’instant pas d’accès aux archives des services secrets.
Ces institutions sont professionnelles et spécialisées mais les contacts ne sont pas très nombreux avec les partisans. SMERSH souhaite des renseignements effectifs donc plus dans les zones où les troupes allemandes stationnent, c’est-à-dire dans les villes que dans les campagnes. Ce n’est pas le même monde et la même stratégie.
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Comment les autorités soviétiques ont-elles utilisé l’image du partisan pendant et après la guerre ?
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C’était une figure majeure de la propagande soviétique. Dès 1941, Moscou invente des formes de résistance avant même toute existence. La première fonction est de prouver qu’il y a une unité du pays et un enthousiasme populaire. Ces mouvements de résistance se seraient créés dans une ferveur patriotique populaire.
Les affiches de guerre montrent souvent des femmes, des enfants et des vieillards au combat alors qu’en réalité, les partisans étaient souvent des jeunes hommes. Mais c’est un rappel au soldat ; sur pourquoi il combat. Les territoires occupés souffrent à tel point que l’ensemble des familles a dû prendre les armes contre les Allemands.
Après la guerre, le mythe du partisan est réutilisé dans les années 50 notamment dans les parties de l’Union soviétique où il y a des contestations notamment dans les pays baltes ou la Moldavie alors que ce sont des territoires où finalement il y a eu peu de partisans. Cette glorification est instrumentalisée pour réintroduire ces populations au sein de l’unité de l’URSS.
Cette image permet aussi d’effacer les occupations de 1939 ou les guérillas nationalistes hostiles à Moscou.
L’image du partisan reste encore aujourd’hui très forte dans la mémoire nationale biélorusse alors qu’en Ukraine, c’est le soldat ukrainien de l’armée rouge qui est idéalisé. Le partisan ukrainien est, quant à lui, perçu comme l’agent de Staline.
Les constructions nationales post-soviétiques comme en Ukraine ont besoin de créer leurs propres mythes historiques et il y a une volonté de nationaliser la victoire faisant fi de la réalité historique qui était proprement soviétique. C’est aussi une manière de répondre aux accusations de collaboration avec les nazis. Ce serait les Ukrainiens qui auraient massacré les Biélorusses alors qu’il n’y a aucun sens historique à ce sujet.
L’expérience était soit anti-soviétique ou soviétique mais pas saisissable dans une approche nationaliste.
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Tous les partisans ont-ils rendu les armes en 1944 après la fuite des Allemands ?
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Certains ont en effet soit repris les armes ou pris les armes dans les pays baltes et en Ukraine. La lutte de l’UPA s’était organisée à partir de 1943 et va continuer jusque dans les années 50. Il y aura également une guérilla contre les Soviétiques en Lituanie qui se terminera finalement quelques années plus tard avec la déportation massive de population.
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