Le 22 février 2021, l’annonce fait l’effet d’une bombe : Daft Punk se sépare. Le duo mythique devenu robots s’était formé en 1993 et avait révolutionné la musique. Da Funk, Around the world, One more time, Happy,… tous ces morceaux connaissent une immense popularité dans le monde entier. Mais quelle est la genèse du plus célèbre groupe français ? Comment les jeunes Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homen-Christo sont devenus un seul corps : Daft Punk ?

Entretien avec Anne-Sophie Jahn, co-autrice du beau roman « Daft » avec Pauline Guéna – épopée musicale à la fois tendre et intimiste.

.
.
.

.

Pour écrire sur Daft Punk, est-ce plus aisé de travailler en duo ? Comment vous êtes-vous organisées ?

.
.
.
.

C’est une première pour moi et ce fut une expérience très agréable. Comme il s’agissait d’un roman, Pauline Guéna, ayant été écrivaine et scénariste, a été très à l’aise. En tant que journaliste musicale, je voulais écrire sur Daft Punk. C’est le plus grand groupe français du monde et ce sont en plus des artistes avec une success story incroyable.

Pauline avait le même souhait. Par conséquent, notre éditeur nous a réunies. Nous ne connaissions pas et nous nous sommes rencontrées pendant le confinement. Pauline est venue travailler chez moi. En 2 heures, nous nous sommes mis d’accord sur l’axe et la façon de raconter l’histoire. Nous avons rappelé notre éditeur pour confirmer notre envie de travailler ensemble sur Daft Punk. Quelques heures plus tard, nous apprenons dans les médias que le duo s’est séparé [le 22 février 2021].

Après le choc, nous nous sommes dits que cela donnait encore plus de forces à l’écriture d’un livre sur les débuts des Daft.

.
.
.

.

C’est un livre qui traite à la fois de la genèse du groupe mais aussi des à-côtés – de ce que les fans ont ressenti en concert ou à l’écoute de leur premier album. Est-ce un livre intimiste ?

.
.
.
.

Il ne s’agit pas de la biographie d’un groupe de musique. Pauline et moi, nous voulions raconter l’intime pour que le lecteur puisse penser qu’il est lui-même plonger dans les années 90. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé sur les détails. Il a fallu se renseigner sur le son, les odeurs, la météo de l’époque. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur le sensoriel. Notre livre suit beaucoup de personnages. Cela nous a permis de présenter plusieurs points de vue. Nous voulions raconter l’histoire des Daft Punk d’une manière originale.

.
.
.
.

Vous avez dans la recherche du moindre détail, vous décrivez de nombreuses anecdotes mais est-ce que ce fut ardu d’écrire sur un duo d’artistes qui fait tout pour être secret ?

.
.
.
.

Lorsque nous avons imaginé d’écrire sur les Daft, officiellement, ils étaient en studio pour enregistrer leur nouvel album. Même si ce sont des artistes qui donnent très peu d’interviews, nous avions l’envie de rencontrer pendant l’écriture du livre. Quelques heures, Daft Punk annonce la séparation. Cela a chamboulé tous nos projets.

Nous avons rencontré l’entourage des Daft et nous avons pu constater la part importante du secret. Ceux qui leur sont proches alimentent également le mystère. La French Touch a toujours cette tradition d’anonymat. Les Daft ne sont pas les seuls à avoir cacher leur visage sous des masques mais ce sont les derniers à l’avoir fait. Des DJs tels que Bob Sinclar ou David Guetta ont, quant à eux, choisi de se montrer. Daft Punk a gardé une intégrité et une rigueur tout au long de leur carrière. Ils ont refusé tout compromis. Plus la société s’est exposée avec les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Tik Tok), plus les Daft se sont réfugiés dans le secret.

Daft Punk a gardé le même groupe de potes. Ceux que nous avons rencontrés étaient peu enclins à parler. Nous avons donc pris le temps d’expliquer notre projet et de convaincre. Avec la rencontre de plusieurs dizaines de personnes, notre travail s’est apparenté à un puzzle : Il a fallu reconstituer toute l’histoire de Daft Punk. Nous avons réussi à obtenir un récit précis.

.
.
.
.

.
.
.
.

Leur premier groupe s’est appelé Darlin mais cela n’a pas duré. Thomas et Guy-Man cherchaient-ils avant tout l’extraordinaire ?

.
.
.
.

Dès le début, ils se pensaient comme de grands artistes. Ce n’était pas de la prétention mais ils avaient été à bonne école. Le père de Thomas, Daniel Vangarde, avait été auteur-compositeur et producteur. Il avait produit La Compagnie créole ou encore Sheila. Thomas et Guy-Man comprenaient que faire des tubes n’étaient pas un but inatteignable. Ils savaient qu’ils pouvaient faire du hors norme. Avec Darlin, Thomas et Guy-Man ont connu un petit succès. Ils jouaient avec Laurent Brancowitz, futur guitariste du groupe Phoenix. Même si les critiques n’étaient pas tendres, Darlin aurait pu continuer à faire des concerts. Cependant, pour Thomas et Guy-man ce n’était pas suffisant. Ils ne voulaient qu’une chose : l’excellence.  

.
.
.
.

Comment a été trouvé le nom Daft Punk ?

.
.
.
.

Un critique du journal anglais Melody Maker venait d’écrire un article sur Darlin. Il n’hésitait pas à qualifier leur musique de « daft punky trash » [nullité pour des petits cons débiles]. Après le temps de la vexation passé, Thomas et Guy-Man décident d’utiliser l’expression comme nouveau nom de groupe. Ils ont en effet déjà en tête de faire une musique totalement différente. Le nouveau concept s’appellera Daft Punk.

.
.
.
.

Vous décrivez les rencontres avec les filles, les aventures des soirées organisées, les colères et les bonheurs. Guy-Man et Thomas étaient-ils des jeunes ordinaires ou même dans le quotidien des personnes à part ? 

.
.
.
.

Ils sont très maniaques, exigeants et érudits. Thomas et Guy-Man ont une culture phénoménale concernant la musique. Les disquaires qui les connaissaient nous ont dit qu’ils avaient été impressionnés par leur connaissance. A l’époque où l’Internet n’existe pas vraiment, les disquaires du quartier n’étaient pas juste des vendeurs et de véritables encyclopédies de la musique. Ils étaient les seuls à pouvoir reconnaître un air que quelqu’un chantonnait. Guy-Man et Thomas avaient eux aussi cette connaissance poussée. A l’âge de 15 ans, ils étaient des geeks avant l’heure. Leurs connaissances ne s’arrêtaient pas à la musique. Guy-Man et Thomas adoraient le cinéma et s’amusaient à décortiquaient les scènes plan par plan avec des arrêts sur image. Ils absorbaient toute musique.

Lorsque Guy-Man et Thomas ont commencé leur carrière, cet aspect est resté. Il n’y avait aucun compromis de leur part.   

.
.
.
.

.
.
.
.

Issus de milieux aisés, au sein des raves, étaient-ils perçus comme différents de la masse techno ?

.
.
.
.

Guy-Man et Thomas ont finalement été peu dans cette scène de raves. Ce genre venait de Grande-Bretagne, était lier à l’usage de drogues et prenait ses racines hors des grandes villes. Même si la French Touch naît au sein des raves, elle s’est démarquée très rapidement de cet univers. C’est un milieu avant tout issu des beaux quartiers de Paris et poursuit sa route ailleurs.

Les organisateurs des raves se lassent d’être constamment empêchés par la police et la justice. Ils reviennent alors dans les grandes villes et à une culture de clubs. C’est dans ce contexte que les Daft commencent à jouer. Dès leur premier single, ils sont reconnus (la French Touch est une petite communauté où tout le monde se connaît) et sont d’emblée respectés par des puristes. Leur connaissance du son et leur travail méthodique plaisent à tous. Les Daft mêlent des références du Funk jusqu’à l’électro.  

.
.
.
.

Issus de la French Touch, ils semblent avoir voulu mettre de côté leurs origines françaises. Daft Punk se devait d’être international ?

.
.
.
.

Comme beaucoup de jeunes de l’époque, Thomas et Guy-Man sont fascinés par la culture américaine. Le choix même du nom de leur groupe, Daft Punk, montre le souhait d’être international. Au début de leur carrière, peu finalement savent qu’ils sont Français. Avec l’essor de la French Touch, les Daft sont finalement connus comme des DJs français. Cependant, Daft Punk n’est pas considéré comme un groupe français. Avec l’essor d’internet, les frontières sont volontairement effacées. La musique doit voyager partout. Dès le premier single, Thomas et Guy-Man vont recevoir des fax du monde entier.

.
.
.
.

« On fait pas de la musique pour vendre 200 disques » dit Guy-Man « Mais on veut garder le contrôle » ajoute Thomas. Daft Punk ne se limite pas à la musique. Il y a une esthétique qui va très loin et des clips réalisés par les meilleurs artistes. Pour Daft Punk, c’est tout ou rien ?

.
.
.
.

Les Daft ont une vision globale de leur art. C’est une réflexion quasi philosophique. Daft Punk a révolutionné la façon de faire de la musique, de la diffuser et la présenter. Thomas et Guy-Man vont jusqu’à présenter un système de stream avant l’heure.

Leur influence va atteindre l’univers cinématographique. A l’époque de MTV, l’image est aussi importante que le son. Avec un bon clip, vous pouvez être diffusé sur la chaîne de télé et être vu par des millions de spectateurs. MTV va amener Daft Punk sur une case supérieure. Passionnés de cinéma, Thomas et Guy-Man vont choisir de jeunes réalisateurs prometteurs tels que Michel Gondry et Spike Jonze. Les clips « Around the world » et « Da Funk » deviennent de véritables phénomènes de société.

.
.
.
.

Ne pas montrer son visage, devenir des robots, « mi-enfantins, mi-futuristes »… Qui gère le mieux cet anonymat ?

.
.
.
.

C’est une envie des deux. Ils ont toujours eu une fascination pour l’histoire du Fantôme de l’Opéra. Un musicien de génie se cache dans les coulisses et porte un masque. Leurs casques font partie intégrante de l’esthétique. La tradition de l’électro favorise également l’anonymat. Le DJ c’est l’anti rock star.

.
.
.
.

Sans les avoir rencontrés, que savez-vous de la personnalité de ces artistes hors pair ?

.
.
.
.

Guy-Man a toujours été celui qui était en retrait. Durant les rares interviews, il est souvent bien silencieux. Guy-Man est perçu comme un romantique à fleur de peau. Thomas est, quant à lui, bavard, avenant et négociateur. Les deux ont une entente quasi mystique. Ils sont très amis depuis le début. Chacun sait ce que l’autre pense. Selon les témoignages que nous avons recueillis, il est souvent dit que Guy-Man est le cœur et Thomas est les bras et les jambes.   

.
.
.
.

Avez-vous eu une idée sur les véritables raisons de la dissolution de Daft Punk ?


.
.
.
.

Il y a des indices que vous pouvez trouver dans le livre « Daft ». Thomas et Guy-Man mènent des vies très différentes. L’un a eu un style de vie très rangé, rencontre rapidement la femme de sa vie et fonde une famille, l’autre a une vie plus compliquée et est plus sensible. Avec des rythmes si différents, il était devenu compliqué de faire de la musique ensemble. Thomas et Guy-Man ont tout de même travaillé ensemble pendant 28 ans (26 ans sous le nom de Daft Punk). La plupart des groupes de musique se séparent bien avant. Les Daft ont sûrement envie de faire autre chose. Leur souci d’excellence a permis à ce que leur dernière création, Random Access Memories, permet à ce qu’ils deviennent le premier groupe français à obtenir un grammy award. L’album est sublime. Comment les Daft pouvaient-ils faire plus fort ?

.
.
.
.

.
.
.
.

Après l’écriture de ce livre, aimeriez-vous rencontrer Daft Punk ?

.
.
.
.


L’écriture de ce livre a en effet stimulé notre curiosité. Pauline et moi, serions ravies de les rencontrer enfin.

Nous savons que Guy-Man et Thomas ont lu le livre. Ils l’ont trouvé « juste ». C’est un vrai compliment de leur part. Notre livre est pourtant romancé et les Daft très exigeants. Notre livre a finalement relevé le défi : Nous avons réussi à nous approcher de la réalité.

.
.
.
.

Quel est votre morceau préféré de Daft Punk ?

.
.
.
.

Veridis Quo. C’est un morceau instrumental très poétique qui me donne toujours envie de danser.

.
.
.
.

.
.
.
.

Photo de couverture : Dean Chalkley/ CAMERA PRESS/ GAMMA RAPHO

PARTAGER