Bastien Vivès… Voilà un dessinateur de romans graphiques et de bandes dessinateurs qui ne laisse pas indifférent. Il a en effet ses détracteurs et ses admirateurs.

De par son style (gris blanc) ou de par ses thèmes, Bastien Vivès est effectivement un artiste débordant d’originalité. Trentenaire passionné de BD, il est déjà l’auteur d’une multitude d’albums. De « Elle(s) » en passant par la série « Last Man » jusqu’à récemment « Océan Noir » (la nouvelle aventure de Corto Maltese), Bastien Vivès s’impose. 

Pour être franc, nous, on aime ses créations. C’était par conséquent tout naturel de rencontrer Bastien Vivès en plein travail dans son atelier. Entretien.

 

 

Est-ce que vous vous sentez plus metteur en scène que dessinateur ?

 

 

Lorsque je fais de la bande dessinée oui. Avec l’outil numérique qui remplace le crayon, je me sens clairement comme un metteur en scène. Il y a tellement de façons de réaliser de la bande dessinée. Le champ de création est extrêmement large. Je veux explorerlastman davantage. J’arrêterai peut-être lorsque j’aurai le sentiment de me répéter mais ce n’est pas le cas en ce moment.

Je veux tout de même reprendre la réalisation de bandes dessinées sur papier car je suis en train de perdre mon style graphique ces temps-ci. C’est un souci que j’essaye vraiment de corriger.

Mon univers est très cinématographique mais je m’oriente à présent vers celui de la BD franco-belge. Au cours de toutes ces années, j’ai l’impression de ne pas avoir suffisamment exploré cet aspect de la bande dessinée.

 

 

Que retenez-vous de vos débuts en tant que Chanmax ?

 

 

Je garde un certain côté guignol cher à Chanmax. C’est à la fois un défaut et une qualité. Si j’avais été dessinateur dans une autre époque, je pense que je n’aurais pas fait de la BD de la même manière. L’époque contemporaine m’influence énormément et heureusement la bande dessinée reste un univers visuel encore très libre.

 

 

Est-ce un plaisir d’explorer des univers plus féminins comme avec les albums « Elle(s) » ou « Polina » ?

 

 

Les femmes sont l’objet du désir dans ma vie. Même à l’âge de 8-10 ans, je dessinais déjà des femmes. Je pense que je ne me lasserai jamais de la figure féminine.

 

elles

 

 

Avec « Pour l’Empire », y’avait-il une envie avec le scénariste Chabane Merwan de tout chambouler ou juste l’envie de raconter une histoire différente ?

 

 

Avec Merwan, nous voulions réaliser des bandes dessinées entre copains. C’était une œuvre qui est clairement un jeu avec nos propres références culturelles. Nous voulions mélanger le cinéma western avec le côté pop. Comme moi, Merwan a également un certain côté mélancolique. « Pour l’Empire » ça été une vraie joie de réaliser ensemble.

 

 

Avec « Polina », vous abordez la vie difficile sous les projecteurs des danseuses classiques. Être dessinateur c’est également accepter des codes ?

 

 

C’est la bande dessinée qui traite le plus de mon dessin. Pendant une grande partie de ma vie, je me suis dit que c’était par les arts plastiques que j’allais me démarquer. J’ai eu notamment des déboires sentimentaux et le dessin fut un rempart pour m’en sortir.

 

 

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Être dessinateur, est-ce que c’est également une manière d’être soi-même sur scène face à un public ?

 

 

Oui c’est vrai. Dès l’école, j’ai fait du dessin pour impressionner. Ce qui est paradoxal c’est que les filles avec qui je suis sorti m’ont dit que ce n’était pas parce que j’étais dessinateur… Elles s’en foutaient de la BD. (rires)

 

 

Avec « Les Melons de la Colère » ou encore « Petit Paul », vous mêlez bande dessinée et pornographie. Le genre était-il pour vous quelque chose que vous deviez absolument adapter ?

 

 

Lorsqu’on parle des rapports humains, il faut parler de la sexualité. C’est même unpolo aboutissement. Le désir lui-même est lié au dessin. Je ne vois pas comment on ne peut pas évoquer la sexualité lorsqu’on parle de désir en tant que dessinateur. Les relations humaines ne sont pas que des problèmes. La sexualité est une libération.

De plus, j’ai toujours aimé l’humour avec des gros sabots. Rire de la sexualité permet de la dédramatiser. En même temps, je l’aborde aussi sous un aspect sérieux. A ce moment-là, c’est plus de l’érotisme que de la pornographie.

 

 

Avez-vous compris que certains lecteurs aient pu être choqués par des scènes des livres « Les Melons de la Colère » et « Petit Paul » ?

 

 

Je peux le comprendre quand le lecteur ne s’attend pas à de tels dessins. Cependant, ce qui m’a gonflé avec cette histoire c’est que j’ai dû me défendre en disant que c’était une farce alors qu’au contraire, c’est une bande dessinée que je voulais très sérieuse. « Petit Paul » a été réfléchi dans cet esprit. Ce gamin avec ce sexe énorme est comme doté d’un incroyable pouvoir au même titre qu’un dessinateur qui a du talent. Il ne devrait pas s’en servir de ce don ?!

Je peux tout dessiner par conséquent pourquoi on m’interdirait de publier de telles histoires ?

 

 

Le réalisateur américain David Fincher dit qu’avant de réaliser un film, il l’a déjà dans la tête. Cependant, lorsqu’il sort son long métrage, le visuel n’est pas aussi beau que ce qu’il avait imaginé. Est-ce que votre dessin n’arrive pas encore à traduire totalement votre imagination ?

 

 

Le dessin est toujours mieux que ce qu’il y a dans votre tête. Votre imagination n’est qu’un concept propre. Avec le trait du dessin, des accidents arrivent. Votre vision devient alors autre chose. Le dessin permet une certaine magie. Il a une puissance d’évocation incroyable.

 

 

Prendre comme point de départ une histoire d’amour c’est éviter les complexités de l’intrigue ?

 

 

Je ne dessine que des choses qui m’intéressent. Certes une histoire d’amour est une intrigue simple mais le diable est dans les détails. Dans tout ce que j’ai dessiné et publié,mmm les histoires ne sont pas complexes, en effet, mais j’apporte par contre un autre éclairage ou une sorte d’originalité. Lorsqu’on tombe amoureux, ce sont les détails qui nous plaisent : La façon dont elle parle, la façon dont elle fume….

Ainsi, pour une aventure comme celle d’«Océan Noir », il y a de tels aspects. Corto Maltese est, dans cet album, avant tout un objet de fantasme. Certains lecteurs n’ont pas compris l’album et l’ont rejeté mais d’autres l’ont adoré.

Je mets à mal le côté aventure. Corto ne se résume pas qu’à cet aspect. Je ne peux pas croire que c’est un type qui est juste en quête d’adrénaline pure. Je voulais explorer davantage sa personnalité.

 

 

Comment est venue l’histoire de « Quatorze Juillet » ?

 

 

Après « Polina », je voulais changer complètement d’univers. Tout le monde me réclamait une sorte de « Polina 2 » ou un nouvel épisode de « Last Man ». Cela ne m’intéressait pas.

« Quatorze Juillet » est venu avec ma rencontre avec Martin Quenehen. C’est un scénariste avec une vraie sensibilité. Contrairement à moi, il arrive à s’enthousiasmer pour beaucoup de choses. J’avais besoin d’un partenaire qui puisse donner autant pendant que moi je me concentrais sur la mise en scène pure.

Nous avons écrit ensemble le scénario « Quatorze Juillet » pour que l’on puisse vraiment apprendre à travailler ensemble. Ce fut une très belle expérience de 250 pages.

« Quatorze Juillet » est également un bel album car je voulais parler du monde d’aujourd’hui. J’ai toujours adoré les personnages qui sont dépassés par les événements à l’instar de Jimmy le jeune gendarme. L’émotion ne se crée qu’avec le dépassement. Jimmy ne tombe pas amoureux mais se retrouve totalement dépassé par une émotion.

 

 

gendarmerie

 

  

Vous vivez l’expérience du confinement en compagnie des dessinateurs Blutch et Catel Muller dans une maison à Fécamp afin de réaliser un album commun. Est-ce que ce fut pour vous trois une recréation ?

 

 

Au contraire. Depuis que j’ai commencé la bande dessinée, je n’ai jamais dessiné seul. J’ai toujours recherché la compagnie. J’ai monté mon premier atelier de dessinateurs en 2007. Dès que je finis un dessin, je le montre à quelqu’un. J’ai toujours besoin de l’avis de l’autre. Même lorsqu’un lecteur déclare qu’il n’aime pas mon album et qu’il a de bons arguments, je l’écoute. Je suis moi-même un critique du travail des autres.

 

 

Comment est née l’idée de réaliser une nouvelle aventure de Corto Maltese ?

 

 

Je voulais aborder une nouvelle fois le désir mais avec un personnage charismatique. Dessiner même Corto a été un grand plaisir. J’ai préféré cet exercice plutôt que de dessiner Richard Aldana de la série « Last Man ». C’est un personnage qui ne me ressemble pas contrairement au petit garçon Adrian.

Corto est comme un fantasme : j’aimerais être comme lui.

 

 

Raspoutine devient lui-même un séducteur dans « Océan Noir »…

 

 

C’est un personnage haut en couleurs que j’adore. J’avais besoin de me l’acquérir.

 

 

Pourquoi avoir choisi le contexte du 11 septembre 2001 pour la nouvelle aventure de Corto Maltese ?

 

 

Je voulais que l’intrigue se passe à notre époque. Martin a alors eu l’idée de transposertete Corto au début du XXIème siècle comme Hugo Pratt avait posé son personnage au début du XXème siècle. Le climat du 11-septembre permettait de parler de voyages et de fermetures des frontières.

J’ai repris tout ce qui m’intéressait le plus chez Corto Maltese. Le personnage a toujours été témoin de l’Histoire et j’adore ça. Par contre, j’ai mis de côté l’onirisme. Si j’avais exploré le même chemin qu’Hugo Pratt cela aurait été perdu d’avance.

Tous les dessinateurs passent leur vie à réinterpréter les héros de leur enfance. Il est passionnant de se replonger dans de telles histoires avec notre vision d’aujourd’hui.

 

 

Y’a-t-il du Tintin dans « Océan Noir » ?

 

 

Hergé a posé de solides bases concernant l’aventure dans la bande dessinée. J’adore les dessinateurs italiens comme Hugo Pratt car sans complexe ils se sont inspirés des Américains, des Français et des Belges pour réaliser de superbes bandes dessinées. L’Italie continue encore aujourd’hui d’avoir de très bons auteurs.

 

 

Les femmes accompagnent à merveille Corto Maltese. Font-elles évoluer le personnage ?

 

 

Elles sont toujours le moteur des aventures de Corto. Dans « Océan Noir », étant encore un jeune garçon, il se focalise uniquement sur la recherche de cette tête d’or alors que les femmes qui l’entourent ont déjà un coup d’avance sur Corto. A l’exception de lui, tout le monde se fout de l’aventure. Ce n’est que lorsqu’il se trouve sur le bateau avec Freya qu’il arrive à profiter de l’instant présent.

 

 

Est-ce que vous retrouverez Corto ?

 

 

Oui car avec Martin je souhaite traiter un autre aspect du personnage. Nous voulons réaliser un album sur la partie sombre de Corto. Nous souhaitons également imaginer un diptyque avec le personnage durant sa jeunesse et une autre partie où il est plus âgé. Tout cela est en réflexion.

 

 

sombre corto

 

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