« J’espère ce qui m’est interdit » écrit Paul Eluard dans son poème « Le Tournant » pour le recueil « Les mains libres » (1937) – fruit de sa collaboration avec le peintre américain Man Ray. Plus de 80 ans après, l’exercice surréaliste continue à avoir un écho.
La jeune dessinatrice Inès, alias La Culotte cosmique, a en effet réuni avec le fanzine « Peau Aime » plus de 50 artistes français mais aussi étrangers afin de donner leur propre réponse en image ou en écrit au fameux poème de Paul Eluard. Le projet rassemble aussi bien des étudiants que des professionnels des milieux de l’illustration, de la bande dessinée, de la photo, de l’animation ou encore du tatouage.
« Peau Aime » aura même une suite.
Entretien avec la Culotte cosmique.
D’où vient le nom La Culotte cosmique ?
Je tiens à préciser que mon prénom n’est pas Culotte.
Avant que j’intègre l’Académie de bande dessinée Delcourt, je me suis formée dans une prépa artistique. Nous devions préparer un projet de fin d’année. Je voulais raconter la vie sexuelle d’une femme à travers ses sous-vêtements et plus particulièrement à travers sa culotte. Ce sujet n’est toujours pas achevé mais pendant la réflexion, j’ai alors eu l’idée du pseudonyme La Culotte cosmique (j’ai toujours eu un intérêt pour les questions relatives à l’espace). De plus, c’est un nom que l’on retient facilement.
Vos dessins montrent des jeunes à la maison, surpris dans leur intimité, sans véritablement de tenue d’apparat. Est-ce un hommage aux désirs simples ?
Je m’inspire avant tout de mon vécu et de celui de mes amis. Une proche m’avait raconté qu’elle aimait se souvenir d’un détail : Lorsqu’elle a fait l’amour avec un garçon, mon amie portait une culotte avec un signe astrologique imprimé dessus. L’intimité repose bien souvent sur le spontané.
Par le biais de mon art, je cherche également à me dévoiler. Je ne m’intéresse pas à des thèmes comme le militantisme. Je préfère avant tout raconter mon vécu et mes fantasmes.
Lorsque j’ai commencé à réaliser des sessions de dessins de modèles vivants à mon domicile, j’ai remarqué que ceux (surtout celles) qui se déshabillaient devant moi le faisait avant tout pour eux. Il y avait une envie de se trouver beaux et belles. Lorsque je dessine, je n’oblige personne à se mettre nu. Je veux avant tout que mes modèles se sentent à l’aise devant moi. Nous commençons à parler et peu à peu le modèle se détend. Il commence alors à se déshabiller. Des personnes que je ne connaissais absolument pas se sont alors dévoilées. Elles m’ont raconté leur vie sexuelle de façon très intime. J’ai entendu même des détails assez crus. Certains veulent parler de la question de la fidélité dans un couple ou du désir en général. Un couple nu s’est même engagé dans une conversation privée. A tel point qu’ils ont presque oublié que j’étais présente.
Le rapport entre le modèle et l’artiste peut permettre de se décomplexer totalement. Je ne juge jamais. J’écoute et je dessine. J’aime noter des idées et m’inspirer du vécu. Au même titre que le scénariste de BD Fabien Vehlmann dans « L’Herbier sauvage », je collecte des récits érotiques.
Vous êtes également modèle photo. Est-ce un exercice différent ?
J’ai commencé à prendre des photos suite à une rupture. Mon petit ami avait une emprise trop forte sur mon être et mon corps. J’ai voulu explorer un nouvel univers – celui de la photographie. Mon ex considérait que ma nouvelle activité s’apparentait à de la prostitution. J’ai alors décidé de le quitter. Seule, j’ai pu faire ce que je voulais. J’ai fréquenté des photographes femmes car leur travail me plaisait beaucoup. Elles savaient que j’étais dessinatrice – Certaines ont alors eu envie de poser pour moi. Ces photographes se déshabillaient devant moi puis ce fut mon tour de l’être devant leur objectif. C’était un vrai dialogue artistique.
Le corps est-il trop caché dans l’art selon vous ?
Notre rapport au corps est ambigu de nos jours. Que ce soit au cinéma, dans les clips vidéos ou avec la photographie, les corps nus sont de plus en plus exhibés. Pourtant, paradoxalement, la censure perdure notamment sur les réseaux sociaux.
Selon moi, la nudité ne doit jamais être gratuite. Elle doit avoir un sens dans un récit ou dans une démarche artistique.
Comment est venue l’idée du fanzine Peau aime ?
Un soir, au début du mois de juillet 2020, j’étais dans mon lit et je regardai des fanzines réalisés lors de mes études. C’était avant tout un travail de pliage à la japonaise réalisé avec l’imprimante de l’école. L’aspect était moyen car trop scolaire. J’ai alors eu envie de réaliser une belle œuvre. Je voulais créer en premier lieu l’objet-livre.
Avec mon premier amour de lycée, j’avais étudié pour le bac le recueil « Les Mains libres » de Paul Eluard et de Man Ray. Ce livre avait été une véritable révélation pour moi. J’ai voulu rendre hommage à la fois à cette œuvre et à ce garçon que j’ai connu à l’époque.
J’ai relu « Les Mains libres ». Les poèmes étaient de remarquables exemples car très courts. Je ne voulais pas d’un travail qui pouvait s’apparenter à de la dissertation. J’ai choisi le poème qui était le plus proche de ce que je voulais raconter.
En aucun cas, je ne voulais pas non plus d’un fanzine écrit d’une seule main. Je voulais m’entourer de d’autres artistes. Peau aime doit être un travail collectif. J’ai alors lancé un appel sur les réseaux sociaux. Certaines personnes m’ont répondu qu’elles aimaient mon idée et se sont portées volontaires. J’en ai également parlé à des amis et des artistes avec qui j’avais pu travaillés auparavant.
Le projet a pris de l’ampleur. Cela m’a donné du courage. J’ai alors décidé de contacter des professionnels dont j’admirais le travail artistique. Tous ceux que j’ai contactés ont accepté de me suivre. Ce fut formidable pour moi.
Comment s’est passée la collaboration avec d’autres artistes ?
Ce fut épuisant car j’ai été la seule à tout diriger. Chaque artiste a sa propre organisation et son propre rythme. Je devais à chacun expliquer l’exercice. Il a fallu s’adapter à chaque profil d’artiste. Une dessinatrice n’était pas francophone – ce fut donc une nouvelle prouesse. Nous devions nous parler via un service de visiophone. Avec le décalage horaire, il fallait une vraie organisation.
Il m’est arrivé de rester au téléphone avec certains artistes jusqu’à plus de minuit. J’insistais notamment sur le fait que chaque artiste devait fournir un travail personnel et non une commande.
La direction de ce fanzine m’a permis de gagner en assurance. J’ai beaucoup appris. Je peux même dire que ce fut comme un chemin initiatique. Heureusement, je suis ravie du résultat.
Le tatouage est-il le plus bel hommage au charnel ?
Joël et Jean ont été les deux tatoueurs qui ont travaillé sur le fanzine. Ce sont de véritables artistes qui s’illustrent dans de nombreux domaines. Joël est de plus celui qui a réalisé le tatouage que j’ai sur la peau.
Comment la couverture a-t-elle été choisie ?
J’ai voulu capturer ce moment qui arrive avant le coït. Au moment où on découvre le corps de l’autre. On commence à se caresser comme si on se disait ‘bonjour’. J’ai imaginé que la porte était entrouverte et qu’elle laissait la lumière rentrée dans la chambre. Le lecteur est comme invité à entrer.
J’ai choisi 3 tons : le rose, le jaune et le bleu. Il s’agit de couleurs douces qui s’apparentent à l’intime.
Pour l’anecdote, le format du fanzine s’est imposé par erreur. J’ai donné les mauvais chiffres à l’imprimeur. Le résultat fut alors plus vertical que ce que j’avais imaginé. Mais finalement, j’ai trouvé le résultat assez satisfaisant.
L’érotisme est-il selon vous éclipsé par un certain tabou et en même temps par une pornographie trop envahissante. Est-il mis de côté ?
Oui malheureusement.
L’érotisme d’aujourd’hui s’inspire de visuels que l’on retrouve sur des sites pornographiques. Tout est montré de façon crue.
J’aime l’érotisme car il retrace avant tout la rencontre des amants et la séduction. Il suggère plutôt qu’il ne montre.
Y’aura-t-il un Peau aime numéro 2 ?
Oui. Je ne voulais pas qu’il sorte prochainement mais des événements ont accéléré le processus. J’ai été en contact avec le scénariste de bande dessinée Jean-David Morvan. Il apprécie mon travail et souhaite me mettre en lien pour la suite avec de grands artistes. Je me suis donc remise au travail.
Ce qui est amusant c’est que Jean-David participe au scénario de la saga en bande dessinée « Madeleine Résistante » qui retrace la vie de Madeleine Riffaud. Le poète Paul Eluard l‘avait demandé en mariage.
Y’aura-t-il de nouvelles surprises ?
Ce ne sera pas un copier-coller du premier numéro. Nous allons nous inspirer d’un nouveau poème. Les arts comme le dessin, la littérature et la photographie seront liés.
Quels sont vos projets ?
Je souhaite obtenir mon diplôme universitaire. Je commence également à être en lien avec une maison d’éditions afin de publier un livre d’illustrations. Un projet de bande dessinée demanderait un temps considérable. Donc pour l’instant, je choisis de faire de l’illustration. Avec un scénariste, nous travaillons sur une réécriture du mythe de Salomé. L’érotisme ne sera bien entendu pas absent de l’histoire mais je souhaite surtout aborder le sujet avec un point de vue féministe. Salomé devra se battre contre la stature de son beau-père au risque de faire tuer Jean-Baptiste.