Véritable titan sur les continents comme au fond des océans, le volcan a toujours su fasciner. Au cours d’une journée de l’an 79, les habitants de Pompéi ont été les victimes du terrible Vésuve. Presque 2000 ans après les faits, le sort tragique de la cité antique nous émeut toujours. Tantôt plongé dans un sommeil plus ou moins profond, tantôt réveillé et explosif, le volcan, cette redoutable montagne de feu, peut s’avérer encore de nos jours surprenant comme il y a encore quelques mois aux Canaries avec l’éruption de La Palma.

En laboratoire comme sur le terrain, les volcanologues tentent par tous les moyens de mieux comprendre le fonctionnement de ces montagnes susceptibles.

Jacques-Marie Bardintzeff fait partie de ces spécialistes, côtoie les volcans depuis plus de 40 ans et transmet sa passion en tant qu’universitaire. Entretien avec ce « médecin de la Terre ».

 

 

Comment devient-on volcanologue ?

 

 

Il n’y a pas de recette miracle. En ce qui me concerne, j’ai toujours été passionné par la planète Terre. Originaire de Grenoble, avec mes parents et mes grands-parents, je me rendais dans les collines et les petites montagnes de la région et je collectais toutes sortes de minéraux, de roches ou encore de fossiles. Je lisais également des livres sur les dinosaures ou les volcans et j’étais même secrétaire du club de géologie de mon lycée. Lors de mes études supérieures en géologie, j’ai dû choisir une spécialité. Ce fut la volcanologie. Pour moi, c’était un compromis parfait entre la science et l’aventure avec un côté sportif. La géologie a toujours souffert d’une image trop passéiste. La volcanologie a une image plus moderne : la roche résulte parfois d’une lave plus jeune que les scientifiques qui l’étudient !

 

 

 

Il existe près de 1500 volcans actifs dans le monde dont une soixantaine en éruption chaque année. Environ 500 millions de personnes sont menacées (10% de l’humanité). Comment peut-on prévenir, rassurer et domestiquer un tel risque naturel, de nos jours ?

 

 

 

Nous avons l’avantage de bien connaître les lieux où sont les volcans. Certains sont dansIMG_4060 des milieux désertiques comme au Kamtchatka et d’autres sont dans des régions habitées. Ces derniers sont donc « monitorés » par des observatoires construits à proximité. Des capteurs enregistrent le « pouls » de ces volcans : un volcanologue se comporte un peu comme un médecin au chevet d’un malade. Peu avant une crise il peut y avoir des centaines de microséismes par jour. Parallèlement, le volcan « gonfle » de quelques millimètres. Le magma monte donc vers la surface et par conséquent il y a un risque d’éruption. L’observatoire peut alors prévenir les autorités politiques afin que la population vivant aux alentours puisse être évacuée le plus rapidement possible.

En 43 ans de volcanologie, j’ai pu constater d’énormes progrès en matière de surveillance des volcans. La plupart des éruptions récentes, bien gérées, ont fait peu de victimes humaines. Les dernières grandes éruptions mortelles datent de 1985 en Colombie (Nevado del Ruiz) et en 1986 au Cameroun (lac Nyos).

 

 

 

Même éloigné, le volcan Eyjafjallajökull en Islande a tout de même provoqué au printemps 2010 de lourds incidents en Europe.

 

 

 

La situation a été particulière. En plus de l’éruption de ce massif volcanique, il y a eu un anticyclone situé au nord de l’Islande, à l’origine de vents qui ont poussé le panache de gaz, d’aérosols et de cendres vers l’Europe continentale. Par précaution, les avions sont restés cloués au sol. Cependant, nous devons tout de même hiérarchiser : Il n’y a eu aucune victime humaine suite à l’éruption. A l’instar d’Eyjafjallajökull, la situation de la Palma en 2021 a provoqué d’importants dégâts matériels mais il n’y a pas eu heureusement de pertes humaines.

 

 

Les volcanologues sont-ils avant tout des médecins de la Terre voire des lanceurs d’alerte ?

 

 

Les volcans sont d’une certaine manière nos passions et nos bébés. Nous voulons percer leur mystère. Il est incroyable d’étudier le magma depuis sa formation en profondeur jusqu’à son arrivée à la surface. Nous pouvons ainsi mieux prévoir les éruptions et sauver des milliers de personnes.

 

 

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Un volcan ressemble à un véritable être humain avec ses propres cycles et ses différents types d’éruption. Tous ces changements obligent-ils les volcanologues à sans cesse s’adapter aux humeurs du volcan ?

 

 

Certains volcans peuvent en effet changer de comportement et connaître des éruptions modestes puis des éruptions violemment explosives. En août 1986, une éruption dans le lac Nyos au Cameroun a déclenché la libération de gaz carbonique. Nous connaissions mal ce type de phénomène. Suite à cet événement, les volcanologues ont étudié d’autres lacs de cratère et ont compris que le phénomène pouvait être provoqué dans d’autres régions du monde. Certains volcans peuvent être inactifs pendant des milliers d’années et se réveiller subitement. La volcanologie n’est pas une science exacte mais une science naturelle.

 

 

Vous avez sillonné le monde afin d’étudier les différents volcans. Quel est celui qui vous a le plus impressionné ?

 

 

 

J’ai eu en effet la chance de me rendre dans la plupart des régions volcaniques du monde. Chaque fois, j’ai pu ramener des roches et j’ai pu enrichir mes connaissances. Pour répondre à votre question, je dirais comme un chanteur, un acteur ou un sportif : le premier, le dernier et un plus particulier au milieu.

Ma première mission s’est faite au Guatemala en 1978 alors que j’étais âgé de 25 ans. C’était même mon premier vol transatlantique. Je commençais ma thèse, j’étais plein d’enthousiasme et j’étais interpelé par des volcans tels que le Pacaya, le Fuego et le Santa Maria. J’ai même pu ramener près de 400 kilos de roches pour ma thèse en cours ! Avec ce voyage au Guatemala, je suis réellement passé de volcanologue amateur à volcanologue professionnel.

J’ai étudié ma dernière éruption volcanique durant l’été 2021. Je me suis rendu en IslandeIMG_4055 en mai, en juin puis en juillet pour l’observer. A chaque fois, ce fut une expérience différente. Il s’agissait d’une éruption très visuelle dans une aire inhabitée. Il n’y avait par conséquent pas de danger immédiat pour des habitants vivant aux alentours.

Concernant un volcan au milieu de ma carrière : je pense au Kilauea à Hawaii que j’ai visité à trois reprises. J’ai pu voir la lave se jeter dans la mer. C’est un volcan très actif depuis 1983.

Chaque éruption est différente. J’ai réalisé environ 120 expéditions dans le monde et à chaque fois j’ai pu voir des scènes extraordinaires. Même à 68 ans, je reste encore impressionné par ce que je peux observer. Il y a des éléments qui nous dépassent.

 

 

 

Peut-on dire que le magmatisme participe au refroidissement général et inéluctable du globe terrestre ?

 

 

 

La Terre est chaude depuis sa naissance et se refroidit progressivement car elle produit de moins en moins de chaleur par radioactivité (uranium, thorium, potassium). AIMG_4056 terme, la planète sera de plus en plus froide et va par conséquent « s’éteindre » comme Mars ou la Lune. Ce phénomène n’arrivera tout de même pas avant quelques milliards d’années ! A chaque fois que du magma sort, la Terre perd de l’énergie.

Certains panaches d’éruptions violentes peuvent atteindre la stratosphère (15 km d’altitude et plus) et s’épancher latéralement. Par conséquent, tout un hémisphère peut être recouvert de nuages d’aérosols. Ce phénomène empêche les rayons du soleil d’atteindre plus facilement la Terre. Les grandes éruptions volcaniques provoquent donc le refroidissement de notre planète. Lors de l’éruption du Pinatubo (Philippines) en 1991, il a été constaté une baisse de 0,3 degrés. Une éruption volcanique massive (comme jadis à Yellowstone) pourrait diminuer la température d’un hémisphère de 10 degrés. Les conséquences écologiques seraient alors catastrophiques.

 

 

Vous avez également étudié les volcans de Mars. Quels sont leurs particularités ?

 

 

Il s’agit d’un sujet d’avenir. Nous avons un laboratoire d’astrophysique et une équipe de planétologie à l’Université Paris-Saclay. Les astrophysiciens ont conçu des appareils qui ont été envoyés autour de Mars. Nous avons alors pu analyser par spectrométrie des minéraux de la planète rouge et les avons comparés à ceux de la Terre. Il y a quelques milliards d’années, Mars a eu une activité volcanique très importante. Alors que la Terre a plus de 1 500 volcans actifs et des dizaines de milliers d’éteints, Mars n’a que 22 volcans. Cependant, ils étaient géants. Olympus Mons est par exemple presque aussi grand que la France et deux fois et demi plus haut que l’Everest. Sur Mars, avec l’absence de plaques tectoniques, les volcans ont pu vivre des milliards d’années et donc progressivement grandir. Ils sont à présent tous morts.

 

 

Doit-on rester sans cesse vigilants face aux volcans ?

 

 

Un volcan qui a connu une éruption peut tout à fait la refaire avec plus ou moins d’intensité. A titre d’exemple, le Vésuve a connu des éruptions violentes mais aussi des plus modestes comme la dernière en 1944. Mes collègues italiens observent le volcan nuit et jour. Des plans sont prévus pour que la population de la Baie de Naples puisse être évacuée à tout moment.

Fort heureusement, les volcans proches des villes sont surveillés en permanence.

 

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Doit-on s’inquiéter du tourisme volcanique ?

 

 

L’éruption de la Palma étant proche d’habitations, les autorités ont dû bloquer les accès afin d’éviter notamment tout pillage et cambriolage après l’évacuation de la population. Lorsque l’éruption du volcan se passe à l’écart de l’activité humaine, il est plus aisé de l’observer. Les volcans fascinent. Lors de mes passages en Islande l’été dernier, j’ai vu des bénévoles et des secouristes avec des vestes jaunes qui ont pu orienter et expliquer les phénomènes à des touristes. Il y avait une réelle bienveillance en l’absence de danger majeur.

J’ai moi-même pu accompagner des groupes de passionnés et ce fut un plaisir de partager ma passion.

 

 

Par l’activité humaine, peut-on dévier une coulée de lave ?

 

 

Une éruption majeure a une intensité un million de fois plus forte que la bombe atomique lancée sur Hiroshima en 1945. Nous ne pouvons pas faire grand-chose face à un tel phénomène naturel. Le volcan aura toujours raison.

En Islande, j’ai pu observer que des digues de terre avaient été construites mais la coulée de lave passait finalement dessus et continuait son chemin. Nous pouvons certes dévier localement une coulée pour sauver un tronçon de route, une ligne électrique voire quelques maisons mais cela reste tout de même modeste.

 

 

Quelles sont vos prochaines missions ?

 

 

J’ai prévu d’aller en Namibie en avril 2022 afin d’observer notamment la plus grosse météorite tombée du ciel (la météorite d’Hoba). Avec la crise sanitaire actuelle, ce voyage a déjà été reporté plusieurs fois et je ne sais pas lorsque je pourrai m’y rendre.

 

 

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Légendes des photos :

 

Photo de couverture : Bardintzeff.SAM_0695+++Eruption du Fogo, Cap-Vert, janvier 2015 © J.M.Bardintzeff

Photo 1 : Bardintzeff.ETNA 02.4.34.VH L’Etna en éruption, vue nocturne © J.M.Bardintzeff

Photo 2 : Bardintzeff.SAM_1045.contrast++ Eruption du Fogo, Cap-Vert, janvier 2015© J.M.Bardintzeff

Photo 3 : Bardintzeff.20210531_020726+++ Eruption de Fagradalsfjall – Geldingadalir, Islande, mai 2021 © J.M.Bardintzeff

Photo 4 : Bardintzeff.20210617_143937+++ Eruption de Fagradalsfjall – Geldingadalir, Islande, juin 2021 © J.M.Bardintzeff

Photo 5 : Bardintzeff.Hawaii.2013.5482.VH Hawaii, 2013, la lave coule dans l’océan Pacifique © J.M.Bardintzeff

Photo 6  (dernière photo) : Lecolier.IMG_3580.jpg.OK Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue, lors de l’éruption de Fagradalsfjall – Geldingadalir, en Islande, le 2/6/2021 © A. L’Ecolier

 

 

 

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