Au détour de rues, de carrefours et de promenades le long de la Seine, il est possible d’apercevoir des petits mots tout droit sortis d’un jeu de Scrabble. L’amour (des lettres) s’est en effet installé dans l’espace public. Love, amour, любовь, poesia,… jamais les mots n’avaient été aussi visuels.
Passionnés de street art, Madame Wabi et Monsieur Sabi ont en effet décidé de déclarer leur amour (de rue). Des mots, toujours des mots, rien que des mots…
Rencontre avec un couple Scrabble.

 

 

Le street art est une part importante de votre vie, car il vous a permis de vous rencontrer. Quelle est selon vous la plus grande force du street art dans l’espace public ?

 

 

M. Sabi : Sa générosité. Le street art est une démarche gratuite pour ceux qui l’observent et généreuse de la part de ceux qui la produisent. En vous promenant dans la rue, vous pouvez y voir une œuvre d’art ou, dans notre cas, de la poésie urbaine, qui essaient d’embellir l’expérience urbaine, de colorer les murs, les vies, les émotions. À cette générosité, nous ajoutons une double dimension : la bienveillance et la discrétion.

Car notre expression n’est pas intrusive : en général nous nous exprimons avec d’authentiques petites lettres de scrabble, même s’il nous arrive d’installer des carreaux de mosaïque 10 sur 10 cm (qui sont soit peint soit sur lesquels nous avons posé des stickers de lettres).

 

 

IMG_3580

 

 

Certains mots font écho à vos propres souvenirs ou à vos proches. Y a-t-il une envie de s’exposer tout en restant intimes?

 

 

Mme Wabi : Tout à fait. Certaines de nos créations ne sont en effet pas publiées. Elles sont justes faites pour des proches, des petits clins d’œil. Mais, même si nos créations partent de nous, de nos émotions, une fois partagées dans la rue, elles appartiennent aux passants qui sauront les trouver. Notre expression et nos créations ne sont pas intrusives, elles ne s’imposent pas au promeneur. Il faut les dénicher, les observer. Si l’on veut les ignorer, on le peut, mais si on les aperçoit et qu’on se laisse prendre au jeu des émotions, alors quelque chose se produit 🙂

 

 

Vous avez commencé votre art de rue en écrivant des poèmes sur les murs. Un visuel avec des mots ou des lettres est-ce que c’est finalement plus profond qu’une image ?

 

 

 

Mme Wabi : Je ne dirais pas forcément que c’est plus profond, c’est complémentaire, c’estIMG_3581 différent.

M. Sabi : En tout cas, nos mots touchent les gens d’une manière que nous n’aurions pas pu imaginer. Une personne qui avait vu nos mots doux sur l’Île Saint Louis, « Love – Free – Help – Yourself », nous a raconté qu’elle sortait d’une rupture compliquée et que ces mots lui avaient fait beaucoup de bien. Chacun s’approprie notre art en fonction de sa propre sensibilité, de sa propre histoire. Notre seul but c’est d’apporter un sourire, une pause dans la vie parfois difficile, de la bienveillance.

 

 

Que fait Mme Wabi et que fait M. Sabi ?

 

 

 

Mme Wabi :Très bonne question !  Le scrabble se joue à deux , notre démarche artistique ne pouvait donc se faire l’un sans l’autre. C’est une démarche de couple à 100%. Notre “artniversaire” (comme nous l’appelons) est le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Nous avons commencé à coller des poèmes dans la rue ce jour-là. Cela nous a amusé et nous a donné l’envie d’aller plus loin. Durant la Saint-Valentin suivante, nous y avons posé nos premiers mots en scrabble. Wabi et Sabi, c’est clairement un couple. Nous sommes complémentaires et faisons tout ensemble.

M. Sabi : À noter toutefois que l’idée du Scrabble vient de Mme Wabi.

 

 

Concevez-vous vos mots bien avant la pose ou l’environnement peut influer sur vos mots ?

 

 

M. Sabi : Cela dépend des fois. L’apparence de notre composition est importante. CommeIMG_3582 les mots doivent s’accrocher entre eux, certaines compositions sont impossibles. L’utilisation d’autres langues que le français (anglais, italien…) permet d’exprimer des émotions ou des notions qui n’auraient pas pu se faire dans une seule et même langue. La plupart du temps, nous réfléchissons à la composition, puis nous recherchons le lieu idéal pour la pose. Car même si nous pensons à un lieu précis, il peut finalement s’avérer ne pas répondre aux besoins et aux caractéristiques de notre expression artistique. Nous cherchons alors un autre endroit, en errant et en nous laissant divaguer dans la ville.

Cependant, lors de nos voyages, en Italie par exemple, nous attendons d’être sur les lieux avant de penser à la composition, pour nous imprégner de l’atmosphère.

 

 

Wabi et Sabi s’associent avec d’autres street artistes, comme Maisouituesbelle et Botero pop. L’association artistique permet-elle que les mots comptent triple?

 

 

 

Mme Wabi : Triple et parfois même quadruple si c’est possible ! Nous avons en effet eu la chance de faire différentes collaborations ces derniers temps. Cela nous a beaucoup plu ! C’est effectivement toujours une belle synergie, l’union de deux univers artistiques. Nous avons collaboré avec Botero Pop, qui avait fait de Botero « Scrabble » que nous adorons, pleins d’expressions diverses. Les miroirs avec Mais Oui tu es belle sont juste sublimes, nous sommes impressionnés par sa technique. Et puis les mots avec Heartcraft nous ont bien amusés lorsque nous les avons collés. Et puis nous gardons un souvenir magique de notre collaboration improvisée avec Ardif, notre “raton-laveur voleur de signature” nous a beaucoup amusés. Et plus récemment nous avons également récemment œuvré avec Ami imaginaire. Nos deux univers se marient très bien, et l’artiste, si généreuse et bienveillante, nous a beaucoup fait avancer artistiquement ces derniers temps. Elle nous a encouragés à mettre des « paillettes » sur nos mots, à nous amuser davantage encore. Les œuvres que nous avons présentées à la dernière exposition organisée par Urban signature utilisaient ainsi la technique du dripping et nos lettres se colorent désormais. C’est l’avantage du travail en galerie, où chaque nouvelle exposition permet de progresser sur un plan artistique et technique.

 

 

IMG_3583

 

 

Avec votre série « Paroles paroles », était-ce une façon de donner un son à vos mots?

 

 

M. Sabi : Nous avions envie de faire chanter les gens, c’était une manière de mettre des chansons dans la tête des passants. Nous avons délibérément choisi des chansons intemporelles. À titre d’exemple, au carrefour de la rue Soufflot et de la rue Saint-Jacques, il y a un panneau “vélo” où nous avons écrit « Quand on partait de bon matin… ». Nous avons pu constater que les passants qui s’arrêtaient un instant pour lire nos mots repartaient avec le refrain en tête. Nous voulons transmettre de la bonne humeur.

 

 

Vous avez déjà utilisé le français, l’anglais et l’italien. Vos mots pourront-ils également changer d’alphabet ?

 

 

Mme Wabi : Nous venons justement de réaliser une composition en cyrillique ! [alphabet russe]. Grâce au fait que notre expression artistique plaît à des personnes qui neIMG_3509 s’intéressent pas initialement au street art et proviennent d’horizons divers. Comme nous avons semé nos mots le long de la Seine ou dans des lieux un peu touristiques de Paris, des personnalités de la mode, notamment, ont pu les voir.

Certaines les prennent en photo, voire les publient sur leurs réseaux sociaux.

C’est le cas notamment, d’une photographe de mode russe, que nous avons rencontrée en marge de la Fashion week parisienne, avec qui nous avons sympathisé et qui nous a déniché un scrabble en cyrillique sur leboncoin russe ! Nous avons créé ensemble une composition que nous avons semé à côté d’une librairie – centre culturel russe. Nous avons hâte d’en coller d’autres avec elle. Nous aimons créer des passerelles.

 

 

Pendant la pandémie, en avez-vous profité pour jouer davantage au Scrabble ?

 

 

M. Sabi : Oui !! Nous avons fait quelques performances en live, à l’occasion d’une action en faveur de l’AP-HP durant le premier confinement, et une autre notamment.

Mme Wabi : Nous avons joué au Scrabble « classique » et puis notre scrabble à nous surtout ! Avec surtout des actions et ventes pour l’AP-HP, avec « Confinement » de Notorious Brand, et pour le Secours populaire avec l’association ARTS Murs.

 

 

Le regard du passant créé du lien?

 

 

M. Sabi : Bien sûr ! Les street artistes sont en général très accessibles, et les échanges sont très faciles avec Instagram.

Mme Wabi : Nous apprécions beaucoup de recevoir les impressions des gens qui ont découverts nos mots. Nous voulons qu’ils puissent continuer à voir nos œuvres dans la rue, pour avoir ces échanges. C’est la raison pour laquelle, si nous participons désormais régulièrement à des expositions collectives en galerie, notre principal lieu d’exposition demeure la rue.

 

 

Quels sont vos créations préférées ?

 

 

Mme Wabi et M. Sabi : « Love – Free – Help – Yourself », « Love-each-other », “Give – Love”, mais aussi « What – The – Fu*k ».

Toujours de la générosité, toujours de la bienveillance et un grin de folie J

L’amour tout court !

 

 

IMG_3510
PARTAGER