« Pour Chopin, je donnerais tout le reste de la musique » écrivait le philosophe allemand Friedrich Nietzsche dans son « Intermezzo » Nietzsche contre Wagner. Par son talent, son génie, le compositeur franco-polonais Chopin (1810-1849) a su dépasser les frontières et bouleverser son monde. Encore de nos jours, le personnage et sa musique fascinent et intriguent toujours autant. Et cela va durer…

Le journaliste et écrivain Olivier Bellamy a publié son « Dictionnaire amoureux de Chopin » ayant déjà écrit 7 ans plus tôt celui du « piano ». Oui : Chopin méritait son propre dictionnaire (amoureux).

Entretien.
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A-t-on tout dit de Chopin ?

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Non et de plus, il ne faut pas tout dire de lui. Chopin est finalement dans le non-dit. Impossible de tout dire sur un artiste aussi paradoxal. Chopin est tout et son contraire. Par conséquent, tout dire est un exercice voué à l’échec. Il est déjà très difficile d’écrire sur la musique. Chopin est né sous le signe des Poissons – il glisse entre deux rives.

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Sur le plan personnel, Chopin n’est pas votre compositeur préféré mais c’est celui qui vous bouleverse. L’expression « qui aime bien châtie bien » reflète-t-elle votre relation avec Chopin ?

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C’est en effet le compositeur pour lequel je m’indigne le plus. Sa musique est tellement expressive que tout pianiste ou tout auditeur a tendance à vouloir tout sur-interpréter. Chacun a « son  » Chopin. Pourtant, on s’éloigne de la vérité de Chopin lorsqu’on met trop de soi. Il faut laisser vivre cette musique.

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Portrait de Frédéric Chopin (1810-1849), musicien

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Dans votre Dictionnaire, vous ajoutez un S à Amour. Chopin a aimé plusieurs fois : des femmes, des hommes, la musique, la religion… Même si les amours furent différents, est-ce que ce fut tout de même les mêmes passions ?

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La musique a pris toute la place dans sa vie. Il s’agit d’un sacrifice quasi christique pour la beauté.

Je le compare à un chat, très indépendant, impossible à domestiquer. A la fin de sa vie, Chopin a déclaré qu’il n’était pas aimé comme il l’aurait voulu. Pourtant, il a été aimé tout au long de sa vie. Chopin a toujours eu un caractère très difficile et par conséquent, il fut incompris. Ses amours n’ont pas duré, mais c’est parce qu’ils furent inaboutis que Chopin a pu composer des chefs-d’oeuvre.

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Un grand nombre d’articles traite de Berlioz, de Julien Clerc, de NTM,… lorsqu’on traite de Chopin, on parle forcément des autres ?

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La musique doit être interprétée. Le compositeur doit tôt ou tard transmettre ses écrits aux600x337_chopin 1 interprètes- véritables « corps intermédiaires ». Tout le monde n’a pas la chance de déchiffrer les <<Nocturnes>> de Chopin, donc nous sommes obligés de passer par le truchement des interprètes. Cependant, Chopin, à l’instar de Mozart, était perfectionniste et conscient de tout dans son œuvre, il est donc vain de vouloir le dépoussiérer et de révéler des choses qui auraient échappé à la conscience de Chopin.

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Serge Gainsbourg a-t-il été un Chopin du XXème siècle ?

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Gainsbourg a dit qu’il faisait de l’art mineur et non de l’art majeur. Lui-même considérait qu’il n’arriverait jamais au talon de la chaussure de Frédéric Chopin. En plus d’avoir du talent, le compositeur polonais avait du génie. Gainsbourg a sans doute été malheureux de ne pas arriver à dépasser le stade des chansonnettes. Certaines sont très belles mais ce n’est pas comparable.

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« Le luxe, le vice et la plus grande saleté » – Paris a-t-elle tout de même su inspirer Chopin ?

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Paris était à l’époque la capitale du piano. Chopin a quitté son pays pour Paris avec la certitude de ne pas pouvoir revenir. La décision fut très forte car venir à Paris c’était quitter ce qu’il avait de plus cher. Chopin était si raffiné que sa première vision de Paris fut mauvaise. Mais au final, il a été polonais de naissance, parisien par l’esprit et universel par nature.

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« Bien que tu quittes notre pays, ton cœur reste parmi nous » chantent des étudiants devant Chopin lorsqu’il quitte la Pologne. Était-il finalement Polonais avant d’être Français ?

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Parfaitement à l’aise dans le Paris mondain, Chopin est cependant resté profondément polonais, attaché aux siens, à sa langue. La France était autrefois le berceau et le refuge de tous les artistes. Ça le reste encore un peu.

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La rupture, la maladie, la mort,… Chopin a-t-il su utiliser les malheurs de sa vie afin d’atteindre le génie ?

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J’ai beaucoup parlé de cet aspect romantique de l’art de Chopin avec Françoise Hardy. Elle-même a transformé toutes ses souffrances en beauté. Chopin a su imposer au monde son individualité. N’oublions pas non plus qu’il fut également un grand classique : il s’est inspiré des Anciens tels que Bach ou Mozart afin de s’élever au même niveau artistique.

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Chopin est-il donc un insaisissable ?

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Il a réussi à être aimé par la grande majorité d’entre nous. Sa musique parle directement à l’âme. Cependant, il existe chez Chopin des parts cachées que nous décelons au fur et à mesure de l’écoute.  Pour lui, une musique sans arrière-pensée était négligeable.

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Les Nocturnes opus 9 ont-elles été un dialogue avec son élève Marie Pleyel ?

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Non, c’est un geste délicat à un commanditaire pas plus. Chopin adorait les grands chanteurs de son temps. Il fut d’ailleurs bouleversé en venant à l’Opéra de Paris. Chopin n’a jamais voulu prendre le piano pour remplacer l’orchestre. Il a réussi à faire chanter un instrument de percussion à marteaux. En ce sens, Chopin a réussi l’impossible.

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L’écriture de votre dictionnaire a pu permettre la création de « La société marseillaise des Amis de Chopin ». Aimer Chopin c’est l’aimer comme un ami ?

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Mozart, Schumann et Schubert peuvent être des amis de l’âme. Chopin, nous l’aimons d’amour. Il y a un aspect dans son œuvre fortement érotique, mais c’est un érotisme qui se refuse toujours et l’inaccessibilité c’est le fantasme absolu.

Chopin est resté trois mois à Marseille. J’ai été surpris que la cité phocéenne n’ait pas de société des Amis de Chopin. Suite à la rédaction du dictionnaire, j’en ai créée une avec des amis.

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Le dictionnaire se termine avec la signature de Chopin. Est-elle elle-même une note de musique ?

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Chez Chopin, tout est musique. Sa signature ressemble en effet à une clé de sol. Elle n’est pas effleurée, elle va au fond des choses, avec force et passion.

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