« Souviens-toi Jonathan » – comme une boucle qui se boucle enfin, le titre du premier d’album (paru en 1975 dans le journal Tintin) des aventures de Jonathan répond au dernier « La piste de Yéshé » (2021). Autobiographie du héros fétiche du dessinateur Cosey- ce nouvel album navigue entre le passé, le présent et le futur.  Les lieux sublimes font écho à l’esprit de Jonathan et donc à celui de son auteur- Cosey. Grand dessinateur suisse, ce dernier nous surprend toujours comme par exemple avec les aventures de Minnie Mouse, personnage majeur de l’univers de Walt Disney.
Rencontre avec un voyageur de la bande dessinée.
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En tant que Suisse, comment avez-vous trouvé votre place dans la bande dessinée franco-belge ?

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Je n’ai pas cherché ma place. J’ai juste fait ce que j’avais envie de faire . Ma place s’est faite ainsi. Le marché francophone de la bande dessinée était établi soit à Paris soit à Bruxelles. Les auteurs suisses ne pouvaient que se déplacer. Les choses changent et se développent…

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Un autre auteur de bande dessinée c’est Derib (Yakari). Est-ce un maître ? Un ami ? Un confrère ?

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Les trois et dans l’ordre. Derib a été immédiatement un maître et nous sommes devenus amis très rapidement. Maître il ne l’est plus mais reste un grand confrère.

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Vos styles sont différents mais qu’est-ce que Derib vous appris et qu’est-ce que Derib a appris de vous ?   

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.JONATHAN t17 p13
En tant qu’élève, je l’imitais beaucoup. J’ai appris le métier en le regardant travailler et nous discutions sur la conception de ses planches de bande dessinée. Claude est très concentré sur la qualité et la justesse du dessin. D’une certaine manière, je l’ai aidé à comprendre qu’il y avait d’autres qualités visuelles que le bien dessiné. Certaines bandes dessinées sont d’un point de vue esthétique magnifiques et pourtant elles peuvent être fades. D’autres ont un dessin faible et pourtant narrativement elles sont très intéressantes. Un dessin doit raconter beaucoup de choses et parfois un visuel a besoin de peu de choses pour cela.

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En 1971, vous dessinez pour Samedi Jeunesse la bande dessinée « Monfreid et Tilbury » écrite par André-Paul Duchâteau (Ric Hochet). Aviez-vous besoin d’être accompagné pour cette première bande dessinée ?

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Je n’étais pas capable d’écrire un scénario. Derib m’a alors présenté à Duchâteau. Travailler avec ce grand scénariste était un cadeau pour moi. J’ai ensuite travaillé pour le journal 24 heures avec « Paul Aroïd ».

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Qu’est-ce que Jonathan est que vous n’êtes pas ?

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Jonathan est une version améliorée. Il est bien plus courageux, plus aventurier que moi. Jonathan a vraiment moins de défauts mais reste humain.

Je pourrais dire que contrairement à moi Jonathan ne dessine pas mais finalement dans le dernier album « La Piste de Yéshé », nous pouvons le voir dessiner sur son journal de bord. Je voulais qu’il dessine maladroitement mais ce fut finalement impossible pour moi. Dans l’album « Elle ou dix mille lucioles » (2008), Jonathan avait déjà réalisé un dessin et l’a envoyé à un ami dessinateur.

Comme moi, c’est un personnage qui est à la recherche de l’amour et de la quête de soi mais, lui, vit cette recherche à 100%.

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jo.
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Avec « La Piste de Yéshé », réalisez-vous un bilan de la vie de Jonathan (la couverture de l’album le montre regarder dans le rétroviseur) ?

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En réalisant la première histoire de Jonathan, je n’aurais jamais cru que j’allais publier 18 albums sur ce personnage. C’était inimaginable pour le jeune dessinateur que j’étais en 1975.

« La Piste de Yéshé » a un caractère semi-autobiographique. Certaines aventures de Jonathan ont un côté très western premier degré. Ce sont finalement les moins intéressantes. Lorsque mes histoires sont personnelles, elles sont beaucoup plus intéressantes.

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La neige est très présente dans les albums de Jonathan. On la retrouve en Suisse mais aussi en Inde et en Chine. Cela rappelle la mélancolie que l’on retrouve dans « Tintin au Tibet » (1960) d’Hergé. Est-il bon de se perdre dans ce paysage blanc ?

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.NEIGE

Je ne vois pas de mélancolie dans « Tintin au Tibet ». Au contraire : le dessin a permis à Hergé de se sortir de sa dépression. Dessiner la neige est également un phare pour moi. Autant au réel qu’au dessin. Il y a un côté artistique paresseux que je revendique. C’est finalement le fabriquant de papier qui dessine la neige.

Le vide tout comme le silence peut être magnifique. Hugo Pratt a également dessiné des scènes de silence extraordinaires.

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Vos albums sont associés à des morceaux de musique. Est-ce que ce sont des œuvres sonores ?

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Dès la première aventure, « Souviens-toi Jonathan » (1977), j’ai proposé en effet des chansons au début de chaque album. Ce ne sont que des suggestions au lecteur. Cela élargissait le terrain de l’histoire et cela donnait encore plus de liens avec celui qui lisait les aventures de Jonathan. La musique donne elle aussi une part essentielle au silence. J’aime écrire mes scénarios avec un tempo en arrière fond. Lorsque c’est le moment de dessiner, c’est un autre temps. Alors que j’ai écrit l’histoire plusieurs mois auparavant, je peux parfois me rendre compte que cela ne peut pas coller. Il m’arrive alors de retravailler le scénario.

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Entre 1984-1985, vous réalisez les albums « A la recherche de Peter Pan », c’était une façon de s’échapper de l’univers de Jonathan ?

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J’avais en effet besoin d’une pause. Je voulais me renouveler. Mais même s’ils l’aimaient,peterpan les éditeurs Le Lombard ne croyaient pas au succès de mon histoire. « A la recherche de Peter Pan » a pourtant été un succès et vaut aussi bien qu’une aventure de Jonathan. L’histoire a été coupée en deux albums – Tome 1 et tome 2.

Puis j’ai retrouvé avec plaisir Jonathan. Durant la même période, des romans graphiques ont également été publiés comme « Le Voyage en Italie » (1988) ou encore « Saïgon-Hanoï » (1992).

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A partir de 2016, vous avez décidé de dessiner un autre personnage – classique et très connu : Minnie Mouse. Est-ce un personnage qui a été trop longtemps ignoré selon vous ?

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Oui. J’avais au départ dessiné Mickey puis je me suis concentré sur Minnie. C’était comme une évidence car c’est un personnage qui me fascine. Je peux même dire que j’en suis tombé amoureux : Elle est drôle, coquette, timide, fleur bleue et en même temps culottée. Minnie est capable de faire des choses que Mickey n’oserait même pas faire.

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Quels sont vos projets ?

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Je ne sais pas encore. Les choses viendront mais je ne sais pas encore. Par contre, les aventures de Jonathan sont terminées. Il est à présent en retraite à l’abri des regards des auteurs et des lecteurs. Le mot Fin permet juste aux personnages de se cacher.

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JONATHAN t17 p52

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