« Je suis en train de peindre avec l’entrain d’un Marseillais mangeant la bouillabaisse, ce qui ne t’étonnera pas lorsqu’il s’agit de peindre de grands tournesols. » Ainsi écrit en 1888 Vincent Van Gogh à son frère Théo. La passion, l’émotion, la gourmandise accompagnent parfois le peintre hollandais sur les routes d’Europe. La dépression, le malheur et le chagrin ont pu également être des compagnons de route. Mais l’inspiration n’a jamais quitté Van Gogh. Plus qu’une envie, peindre fut une nécessité. Mort à l’âge de 37 ans en 1890, Van Gogh reste pourtant si vivant dans son art. Voici une lumière qui ne faiblit pas.

Pour mieux saisir cette chaleur artistique, nous nous sommes entretenus avec Pascal Bonafoux, historien de l’art et grand spécialiste de Vincent Van Gogh.

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Artiste sauvage, génie incompris, notre vision de Vincent Van Gogh a-t-elle été la même que ses contemporains ?

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Tout dépend des contemporains. Dès son arrivée à Paris, les artistes ont vu chez Van Gogh quelqu’un d’original et, par conséquent, ils se sont intéressés à son travail. Cette confrérie des peintres, qui bien souvent s’admirent les uns les autres ou en rivalité, n’est pas indifférente. Quant aux autres, le reste de la population, comme avec la génération précédente d’artistes, les Impressionnistes, ils ne comprennent rien à Van Gogh. Le grand public a eu besoin d’un temps d’adaptation pour comprendre ce qu’il voyait chez Van Gogh
. Hors le paradoxe c’est que Vincent voulait émouvoir ceux qui n’avaient jamais vu de peinture, s’adresser avant tout à eux. Il a fallu du temps.

J’ai lu et relu la correspondance de Vincent. Son souci est d’avoir une honnêteté intransigeante avec lui-même. Il ne rend de comptes uniquement qu’à une personne : son frère Théo.

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Le fait que porter le même prénom que son frère aîné, Vincent, décédé un an avant sa naissance (jour pour jour) a-t-il perturbé le petit Vincent Wilhem ?

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Je n’ai aucune envie de faire de psychanalyse et de placer Vincent sur quelconque divan. Si trouble ou stress il y a eu, je ne pense pas qu’il y a quelque chose de déterminant. D’ailleurs, Vincent a un oncle (Oncle Cent) qui porte le même prénom. Depuis le XVIIème siècle, il y a un grand nombre de Vincent dans la famille Van Gogh. Le neveu de Vincent Van Gogh sera prénommé lui-même Vincent.

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Van Gogh signe d’ailleurs ses tableaux Vincent…

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En effet mais pour une autre raison. La prononciation Van Gogh en Hollandais a pu perturber de nombreux Français. Le prénom seul Vincent est par contre compris de tous. Comme d’autres artistes de siècles précédents à l’instar de Michel-Ange , Raphaël et Rembrandt sont célébrés par leur seul prénom. Van Gogh, utilisant son prénom comme signature, adopte finalement une pratique courante chez les peintres. Mais Vincent fait ce choix contraint, non pour prétendre à la gloire.

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Y’a-t-il de la fascination chez Théo, le frère, pour Vincent ? Est-ce réciproque ?

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Réciproque sans doute pas… Théo est à la fois fasciné par l’obstination et le courage dethéo son frère et exaspéré par ses écarts. Et Vincent est reconnaissant de l’aide apportée par son frère. Théo n’hésite pas à lui envoyer de l’argent, de la peinture et des tubes. Il y a une vraie complémentarité chez les deux frères. Vincent déclare même que Théo est le co-auteur de ses œuvres. Sans son aide, le peintre n’aurait pas réussi ce qu’il a pu réaliser.

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Quel est le rôle de Johanna, l’épouse de Théo ?

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Il s’agit d’une personnalité plus qu’ambiguë. A la mort de son époux, elle demande à son propre frère, Andres, de vendre toutes les toiles possibles de Vincent Van Gogh, son beau frère, à Paris. Puis, Johanna se rend compte que Vincent est admiré par les autres peintres, que ses œuvres ont un certain succès notamment auprès du critique d’art Albert Aurier. A ce moment-là, elle tente de récupérer les toiles de Vincent. Dès le début du XXème siècle, Johanna organise une série d’expositions notamment en Allemagne. Les toiles de Van Gogh auront notamment une influence déterminante sur l’Expressionisme allemand. Il faut tout de même noter que le premier catalogue des œuvres de Van Gogh est plein de faux.

A nouveau, Johanna sera très ambiguë lors de la publication de la correspondance de Vincent. Elle va « l’épurer »…

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Comment la passion de Van Gogh pour les petites gens peut-elle s’expliquer ? Y’a-t-il un intérêt surtout pour le mysticisme ?

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Il y a une raison religieuse fondamentale. Avant de devenir peintre, Vincent a le désir de devenir pasteur comme son père. Cumulant les échecs scolaires, il se retrouve malgré assistant d’un religieux à Nuenen en plein cœur d’une région minière effroyable. Témoin de la misère de la famine dans la population, Vincent dessine afin de témoigner sur ce quepommes personne ne veut voir. Il veut apporter la lumière par la Bible puis peu à peu écarte le livre sacré en se lançant dans une carrière de peintre. Van Gogh reste tout de même un prédicateur. Dans une lettre, il explique être descendu dans un puits de mine et alors qu’il était tout au fond, il a levé les yeux. Vincent prétend que c’était comme lever les yeux vers une étoile. C’est avec la peinture qu’il souhaite rejoindre une telle étoile. Van Gogh va tenter d’aider la population locale inculte et qui a besoin de cette lumière céleste. C’est une volonté religieuse voire mystique en effet. D’ailleurs, Vincent ne voudra jamais intégrer une école des Beaux-arts car il pense que ce sont des établissements qui ont pour but de s’adresser uniquement aux bourgeois.

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Quel est le rôle des autoportraits de Van Gogh ?

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En se prenant pour modèle, Vincent va devenir Vincent Van Gogh. Il passe, lors de son séjour parisien, d’une peinture terne et obscure à un éclatement de couleurs, de lumières. Il fait le premier de ses autoportraits avec un petit crobar alors qu’il est à Anvers lors d’un hiver effroyable. Vincent va tout oser avec son propre visage. Les autoportraits sont le journal de ses risques artistiques. L’enjeu c’est la peinture.

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Peindre est-il la seule joie de Vincent de Van Gogh ?

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Sans le moindre doute. Lorsqu’il ne peint pas, il tombe malade. Les grands peintres sont des travailleurs acharnés.

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La venue à Paris a-t-elle été un choc pour le peintre hollandais ?

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Paris est devenu le centre artistique européen. A l’image du Norvégien Munch, tout le monde a le désir de venir. Les impressionnistes ont en effet bouleversé la donne. Avec Paris, les artistes peuvent échapper aux règles des Beaux-arts. Cette influence continuera même jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Van Gogh est immédiatement confronté à des personnalités telles que Toulouse Lautrec. Il se mesure alors aux artistes qui osent tout. L’émulation fabuleuse parisienne va le changer totalement artistiquement.

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Arles a-t-il été le lieu idéal pour Vincent Van Gogh ?

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Nous pouvons soupçonner que chez le marchand de couleurs, le père Tanguy, Vincent ait pu croiser un certain Paul Cézanne. Les toiles de ce dernier ont en effet montré dechambre superbes lumières du Midi. Van Gogh a probablement choisi Arles car il y a une ligne de chemin de fer direct à partir de Paris – Contrairement à Aix en Provence.

Aux premiers abords, Vincent trouve la ville crasseuse. Cependant, il se sent bien à Arles car il obtient enfin sa propre maison, la maison jaune. Vincent rêve même d’un atelier d’artistes. Seul Paul Gauguin le rejoindra.

Van Gogh trouve une lumière en Arles qui est démultipliée par rapport à ce qu’il a pu trouver aux Pays-Bas et à Paris. Cette lumière le relève davantage à lui-même. Vincent aura alors le souhait d’inventer lui-même une nouvelle lumière.

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La vie avec Paul Gauguin à Arles a-t-elle été la grande déception de Vincent ?

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Par leur choix artistique, les deux hommes sont diamétralement opposés. Gauguin est un élève de Degas. Par conséquent, il privilégie la peinture d’intérieur. Vincent, quant à lui, ne peut imaginer peindre autre part que dehors, sur le motif. Le désordre de Van Gogh est l’opposé de la méticulosité de Gauguin. Pourtant, Vincent veut plaire à ce dernier qui est si respecté  par ses pairs et repéré à Paris. Gauguin ne sera jamais une caution pour Van Gogh.

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Que représente « Les Tournesols » (1888)? (« C’est bien moi mais moi devenu fou »)

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Après s’être coupé l’oreille, Vincent va écrire à son frère Théo qu’il n’a pas cessé de penser à la quête de « la haute note jaune ». C’est son obsession. « Les Tournesols » c’est le parcours de cette note. Pour décorer la future chambre jaune de Gauguin à Arles, Vincent peint ses premières variations de ce jaune. Cette haute note jaune est le point essentiel de l’évolution de Van Gogh. « Les Tournesols » en est la métaphore.

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Van Gogh était un moine-peintre?

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Quel est l’artiste qui ne désire pas la reconnaissance et en même temps la solitude pour conduire à bien son œuvre et définir clairement son ambition ? Un artiste est déchiré entre ces deux pôles: la solitude et la quête de reconnaissance de l’autre. Vincent voyage sans cesse entre ces deux extrémités.

À l’hospice-monastère Saint-Paul de Mausole à Saint-Rémy de Provence, Van Gogh est privé de peinture. Il est alors encore plus mal que lorsqu’il peut peindre. Le médecin Théophile Peyron va alors avoir l’intelligence de lui donner finalement ses tubes. Il y avait certes le risque que Vincent s’empoisonne en avalant sa peinture mais lui interdire de peindre était devenu impossible. Van Gogh est même autorisé à sortir et il pourra peindre l’extérieur de l’hospice.

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Van Gogh part ensuite à Auvers-sur-Oise. Est-ce que ce fut pour lui le mauvais lieu au mauvais moment?

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Pas nécessairement car la ville est déjà fréquentée par bon nombre de peintres. Cependant, Vincent n’a pas le choix de la destination. Auvers-sur-Oise fut suggéré à Théo par Camille Pissarro, ami du docteur Gachet. Ce dernier doit veiller sur Vincent. Auvers esteglise un lieu rassurant à proximité de Paris. Par conséquent, Théo et sa famille peuvent aller voir Vincent le dimanche. Vincent s’installe à l’auberge Ravoux près de la place de la mairie. Cependant, il reste un personnage hirsute, parlant certes un français impeccable avec un terrible accent hollandais, avec des manières brutales, intransigeant mais il déconcerte ceux qui le croisent, les autres peintres y compris. Vincent est à la fois seul et entouré. Il y a également autre chose qui est déterminant. Quelques mois avant sa venue à Auvers-sur-Oise, Théo et Johanna viennent d’avoir un enfant qu’ils prénomment Vincent. Pour le peintre Van Gogh, avec ce nouveau Vincent dans la famille, il devient lui-même un Vincent de trop. Il en prend plus conscience lorsqu’il rencontre son neveu à Auvers-sur-Oise. Selon moi, Vincent Van Gogh aurait peut être alors pensé à ce moment -là que sa propre vie devenait une charge de trop pour son frère Théo. C’est mon hypothèse.
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Quelles sont les relations entre Vincent Van Gogh et Marguerite Gachet, la fille du docteur?

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Elle a l’habitude des venues de peintres chez son père. Par conséquent, lorsque Vincent lui demande de poser pour elle, cela ne la gêne aucunement. Il est évident que Van Gogh est ému par la jeunesse de Marguerite. Il la peint comme il l’avait fait avec les zouaves de la caserne voisine qu’il  avait l’habitude de fréquenter.

Vincent peint un tableau par jour en plus des croquis et des dessins. C’est considérable. On sent que le peintre a un sentiment d’urgence.

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Avait-il le besoin de témoigner?

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Comme les plus humbles des humbles. Son obsession est toujours restée la même.

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Après des dizaines d’années d’études, qu’est-ce qui vous surprend encore chez Vincent Van Gogh?

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Le fait que je n’y comprenne toujours rien. C’est le propre des grandes œuvres : vous ne cessez de les regarder mais il y a toujours quelque chose que vous n’arrivez pas à cerner. Pour rester chez les peintres hollandais: Rembrandt est si difficile à cerner et c’est pourtant d’une puissance artistique incroyable. Les toiles de Vermeer sont elles aussi parfaitement incompréhensibles.
Nous n’arrivons pas à venir à bout des œuvres de Vincent Van Gogh. Il y a juste des hypothèses et des incertitudes. Voilà ce qui est fascinant. Regarder la peinture n’est pas confortable. Au contraire, cela trouble. Elle nous donne la chance à la fois de douter et de ressentir une émotion incomparable et intraduisible en mots. Vincent a cette puissance de nous émouvoir et de nous mettre dans l’incertitude.

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Pour en savoir plus :

« Van Gogh: Le soleil en face » de Pascal Bonafoux – Editions Gallimard 2009 https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070395712-van-gogh-le-soleil-en-face-pascal-bonafoux/

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