.
.
.
Qu’avez-vous appris de votre père dessinateur, Jean Solé ?
J’ai finalement appris par moi-même. Mon père avait en fait appliqué une règle tacite : Je pouvais l’observer dessiner mais lui n’était pas là pour m’apprendre un métier. Il n’avait pas le besoin de transmettre un métier. Pendant mon adolescence, il m’est arrivé de demander à mon père quelques conseils techniques cependant il m’a prévenu que le métier de dessinateur était un « métier de con » sans horaires. 24 heures sur 24 ! D’un autre côté, mon père m’a également dit qu’être dessinateur permettait d’être libre.
Comme mon frère, j’ai beaucoup observé mon père. Nous l’avons même accompagné chez Jacques Lob, le père de Superdupont. Je crois même qu’enfant j’ai pu être dans la salle de rédaction du magazine Pilote.
Avant même d’être un dessinateur professionnel, j’ai su comment l’édition fonctionnait grâce à mon père. De plus, comme pour lui, j’ai lié musique et dessin.
Pourquoi avoir choisi au départ le pseudonyme CDM ?
Je ne voulais pas me faire appeler Julien Solé. Mon père signait déjà JSolé. J’ai pris un pseudo pour en effet me détacher. CDM (Chiures de monde) était le nom d’un fanzine BD amateur au lycée Paul Valéry dans le 12ème arrondissement de Paris. Je n’étais pas étudiant là-bas mais mon frère et tous mes copains étaient là (certains sont également devenus dessinateurs). Chiures De Monde était un mélange de deux bandes dessinées que nous adorions : L’anthologie « Chiures de gomme » de Tardi et « Tueur de monde » de Moebius.
Lorsque je dessine des histoires humoristiques comme pour Fluide Glacial, je signe CDM. Depuis plusieurs années, lorsque c’est un peu plus grave, je signe Julien Solé. Les deux noms coexistent.
Infographiste, dessinateur. Aviez-vous l’envie de vous impliquer énormément ?
Il y a plusieurs années, je réalisais des dessins sur ordinateur mais je ne me considère pas comme un véritable infographiste. J’ai commencé ma carrière chez Fluide Glacial par le web. Dans les années 90-début 2000, Internet était très différent et sur le plan graphique, seules deux structures possibles en France pour travailler sur ce support : Fluide Glacial et Coconino (site graphique à Angoulême où officiait notamment Dominique Bertail). Nous étions pionniers avec nos flashs et l’intégration vidéo. Nous avons d’ailleurs travaillé sur le site de Fluide Glacial avant même qu’Internet grand public soit mis en place. C’est à cette époque que j’ai rencontré Manu Larcenet qui a écrit mon premier scénario (A l’Ouest de l’infini – 1999). Encore de nous jours, pour moi, Fluide Glacial c’est la Mifa [Famille]. Il reste un mensuel sans publicité. En 2021, c’est une rareté (!)
C’est d’ailleurs Jean-Christophe Delpierre, l’actuel rédacteur-en-chef, qui avait eu l’idée avec mon frère dans les années 90 de mettre en place le site web de Fluide.
La plupart de mon travail est scénarisé par d’autres. Lorsque j’écris c’est surtout de l’adaptation. Il fallait retranscrire un matériel trop brut en bande dessinée.
Y’a-t-il une part de vous chez votre personnage Cosmik Roger ?
Avec le scénariste MO, nous retrouvons chez ce personnage tout ce que nous aimons : La science-fiction et l’humour à la Franquin. J’avais déjà dessiné de la SF dans « A l’Ouest de l’infini » mais les histoires courtes étaient séparées l’une de l’autre. Avec Cosmik Roger, il fallait imaginer des récits plus longs.
Je me suis inspiré du style de Larcenet : propulser un personnage lambda dans un monde merveilleux. Cosmik Roger est un loser qui malgré lui doit sauver l’univers.
L’histoire étant pour Fluide Glacial, il fallait adopter un genre particulier tout en apportant de la science-fiction. Nous avons publié 7 albums. Un court métrage est en préparation et je ne m’interdis pas de redessiner à nouveau les aventures de Cosmik Roger.
Avec « Les Zumbies », les bandes dessinées sur les requins, une biographie de Dracula, avez-vous un goût pour les morsures ?
J’aime les monstres de série B. Je me trouve complètement dans les univers des films de Romero, de la Hammer et « Les Dents de la mer » (1975). Au sujet des requins, c’est devenu un sujet sérieux puis que je me suis mis à travailler auprès d’associations de protection en mer d’Iroise et des scientifiques spécialistes notamment l’Océanopolis de Brest.
Vous êtes fasciné par les requins ?
Mon lien avec le squale est arrivé par accident. Vivant en Bretagne, on m’a proposé d’illustrer une conférence sur les requins taupes.
Je m’intéresse surtout au dessin de l’animal. Le requin est un super prédateur et est désigné pour la chasse. A partir de cette figure, j’ai eu envie de le déformer ou au contraire de respecter ses formes. J’ai pu assister à des dissections et observer des spécimens en aquarium. D’autres projets sont à venir. J’ai même plusieurs requins tatoués sur le corps.
En 2019, vous remplacez Maëster au dessin pour un nouvel album de Sœur Marie-Thérèse. Est-ce que ce fut périlleux comme exercice ?
Maëster, ayant eu un accident cardio-vasculaire, a eu besoin d’aide pour finir l’album. Il a alors fait appel à moi. Il restait 25 pages à réaliser. C’est pour moi un coup de main naturel. Maëster a toujours été là pour moi.
Dès le début, il m’a prévenu qu’il ne fallait pas que je l’imite. Je devais juste respecter le personnage. La mise en couleurs a ensuite permis de lier mon dessin avec celui de Maëster.
Était-ce une façon d’aborder à nouveau l’Eglise (Comme pour « Les Zumbies »)?
Le scénariste Yan Lindingre voulait trouver un super vilain face aux Zumbies. Dans un monde post-apocalyptique, où le rock et le sexe sont partout, Yan a eut l’idée des fanatiques religieux. Je n’ai pas un goût prononcé pour le sujet. De plus, chez Sœur Marie-Thérèse, ce n’est pas si à charge que beaucoup le pense. Après son accident cardio-vasculaire où il a frôlé la mort, Maëster voulait même transmettre un message d’amour : L’héroïne rencontre Jésus et ils finissent par se réconcilier. Pendant sa rééducation à l’hôpital, Maëster s’est remis à dessiner sur des carnets.
Que ce soit avec « Planet Ranger », « Business is business », « L’Argent fou de la Françafrique » ou encore « Benalla et moi », vous abordez de nombreux aspects de la vie politique. Est-ce plus fort que vous?
Cet intérêt est arrivé par le hasard des rencontres notamment avec des dessinateurs de la Revue dessinée (Franck Bougeron). On m’a proposé un registre à l’opposé de ce que je faisais : Réaliser pendant un week-end un reportage au siège du Front national à Nanterre à propos de leur stage de formation politique. Ce fut ma mise à l’épreuve. J’ai travaillé avec une spécialiste de l’extrême droite : Valérie Igounet. Notre reportage-dessin de 15 pages a été publié dans le numéro 3 de la Revue dessinée. L’univers politique m’a plu et j’ai continué avec un autre reportage sur la Françafrique. J’ai retravaillé ensuite ces 50 pages avec Xavier Harel et nous avons publié la bande dessinée « L’Argent fou de la Françafrique » chez Glénat. Encore de nos jours, l’album continue sa carrière car son sujet est intemporel.
C’est étonnant car je n’ai aucune emmerde avec « Les Zumbies » ou « Sœur Marie-Thérèse » mais avec un album comme « Benalla et moi » oui…
Au cours de la réalisation d’un album comme justement « Benalla et moi », est-ce que cela arrive que votre opinion évolue ?
Je l’ai réalisé avec les deux journalistes Ariane Chemin et François Krug qui ont sorti l’affaire. C’est un travail qui a été douloureux pour moi car il fallait le finir en très peu de temps : 3 mois. En tout nous étions dix à travailler sur « Benalla et moi ». L’album sort et deux mois plus tard, nous sommes confinés… Il a eu une seconde carrière en étant remis en avant plus tard.
Alexandre Benalla a prouvé qu’il n’existe aucune hiérarchie autour du pouvoir. En l’espace de quelques mois, il a su briser tous les échelons hiérarchiques afin d’intégrer le premier cercle d’Emmanuel Macron. Benalla est alors devenu indispensable. J’ai été impressionné par un tel culot.
Pourtant, cela n’enlève rien à mon intérêt pour la politique. Je ne fais pas partie de ceux qui déclarent que toutes les femmes et tous les hommes politiques sont des pourris.
L’actualité nous touche de plus en plus près.
Un autre sujet me hante : l’attaque du Bataclan du 13 novembre 2015. Je connais bon nombre d’amis qui étaient présents et qui ont été des victimes. J’aimerais aborder le sujet avec un angle différent de ce qui a déjà été fait dix ans après les faits.
Je souhaite également aborder le domaine de la philosophie. Autant la bande dessinée humoristique me plaît, autant je veux également m’impliquer dans des sujets plus sérieux.
Quels sont vos projets ?
Avec mon bon ami scénariste Fabcaro, nous réalisons pour le magazine Sciences et vie junior depuis dix ans une page (zeropedia) tous les mois. J’adore faire de la vulgarisation scientifique déconnante. Un tome 1 est déjà sorti en 2018. Un tome 2 arrive bientôt (il me reste deux pages avant le bouclage).
Je sors également une bande dessinée qui m’a demandé 3 ans et demi de travail avec le scénariste Hervé Bourhis: « Retour à Liverpool » chez Futuropolis. C’est également un retour pour moi puisque j’avais effectué un stage pendant un mois dans cette grande maison d’éditions à l’époque d’Etienne Robial.
Nous traitons de la reformation des Beatles dans les années 80 et l’arrivée de la New Wave. Hervé et moi adorons la pop culture. « Retour à Liverpool » est un récit de 90 pages en noir & blanc qui mélange faits réels et fiction. J’ai eu l’impression de travailler sous une ombre tutélaire. Les Beatles c’est mon lait maternel. Je me suis mis à réécouter les chansons de John Lennon.
C’est un album qui peut plaire autant aux fans des Beatles qu’à ceux qui ne connaissent rien.