Alors qu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale les armées britanniques comptaient dans ses rangs moins d’un million de soldats, elles terminent le conflit en 1945 avec plus de 5 millions d’hommes et femmes. À cela nous pouvons également compter ces soldats du Commonwealth tels que les Australiens, les Canadiens ou encore NéoZélandais. De 1939 à 1945, le Royaume-Uni ne connaît pas le repos face aux forces allemandes, italiennes ou japonaises. Alors que le GI, le Français libre ou encore le soldat de l’armée rouge sont encore de nos jours glorifiés, quelle est la place du Tommy, le soldat britannique?
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Entretien avec Benoît Rondeau, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et auteur du livre «Le Soldat britannique – Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale» (2021).
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Le 6 septembre 1939, trois jours après la déclaration de guerre, les hommes âgés de 21 à 41 ans (puis 51 ans) de Grande-Bretagne sont appelés sous les drapeaux. L’armée britannique est-elle pourtant prête à un conflit mondial?
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Le réarmement tardif, comme ailleurs, la faiblesse de l’arme blindée, ainsi que ladetails faiblesse des effectifs envisagés pour l’engagement de la BEF en France, laissent à penser que non. La RAF, quant à elle, ne dispose pas encore d’une force de bombardement en adéquation avec ses plans de campagne de bombardements stratégiques. La Royal Navy semble a priori la mieux apte à mener un conflit mondial, mais elle risque d’être mise en difficultés si les hostilités éclatent à la fois en Europe et en Méditerranée, ainsi que dans le Pacifique. Si la flotte dispose de porte-avions, ces derniers ne sont pas encore pensés dans une optique visant à révolutionner l’art de la guerre sur mer et l’aéronavale.
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En plus de son armée impériale, les Britanniques disposent du soutien des Canadiens, des Australiens ou encore des Sud-africains. Y’a-t-il tout de même une bonne entente au sein des troupes?
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Ces troupes, constituées de volontaires, forment souvent des troupes efficaces, presque d’élite pour certaines, mais pas forcément engagées à bon escient. Les Canadiens n’ont pas combattu aux côtés des Australiens, mais ces derniers, très imbus de leur qualité de combattants, ont pu avoir des marques de dédain à l’endroit des Sud-Africains après la chute de Tobrouk. Les rivalités sont multiples au sein des formations purement britanniques ou de l’Empire, parfois d’ordre régional, le caractère local du régiment auquel tous sont si attachés aidant.
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La bataille d’Angleterre a-t-elle été la renaissance de la Royal Air Force?
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On ne peut pas vraiment dire cela. En revanche, cet affrontement est entré dans le mythe et, comme Winston Churchill l’a si remarquablement dit, ce fût, pour les pilotes, « l’heure la plus haute ». Pour autant, la plupart des membres de la RAF ne l’intègre que plus tardivement et participent à des combats qui, parfois moins célèbres, ont exigé autant sinon davantage d’abnégation et d’endurance. Le rôle des forces aériennes dans la victoire dans l’Atlantique, en Afrique, en Normandie ou encore les raids sur l’Allemagne ont davantage participé au développement de la RAF et de ses tactiques, ainsi que de la mise au point d’un matériel de qualité que la bataille d’Angleterre.
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Pour quelles raisons la Home Guard est-elle restée autant dans les mémoires?
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La propagande de 1940 y est sans doute pour beaucoup. Elle est aussi une marque tangible de la détermination des Britanniques à ne pas céder aux pires heures que traverse le royaume en cet été 1940. Cela ne veut cependant pas dire qu’elle aurait été d’une efficacité plus marquée que le Volkssturm des Allemands si l’invasion nazie s’était matérialisée.
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En quoi la chute de Singapour (1942) (“la pire des catastrophes” selon Winston Churchill) est-elle une plus grande défaite que celle de la bataille de France (1940)?
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Non, la défaite en France est bien plus grave dans ses conséquences, puisqu’elle signifie que Hitler domine l’Europe occidentale et que la BEF est considérablement affaiblie après avoir abandonné tout son matériel lourd et ses véhicules. Par contre, la chute de Singapour représente l’humiliation suprême pour l’armée de l’Empire britannique; puisque plus de 100 000 hommes sont faits prisonniers.
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Malgré le fait que leur pays est directement menacé, les soldats britanniques ont souvent montré peu d’enthousiasme à se battre. Y’a-t-il eu une évolution des esprits au cours du conflit?
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Cela dépend en fait des individus et des circonstances. Les soldats des colonies et des Dominions sont des volontaires, donc a priori plus motivés. Les soldats ne pensent qu’à une chose: survivre et rentrer au plus vite dans leur foyer. Les motivations pour se battre n’ont pas manqué: défendre la patrie menacée en 1940 (1941/42) pour les Australiens et les Néo-Zélandais), vaincre et en finir avec cette guerre en 1944.
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Par sa tenue, ses décisions, ses provocations, le général Montgomery a-t-il voulu se rendre populaire auprès de ses troupes?
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Montgomery recherche la popularité, mais avec l’idée qu’à la guerre le moraloti importe plus que tout. C’est un grand communicateur et il sait préparer la troupe à la bataille. Sa tenue est excentrique à dessein : ses hommes sont commandés par un général qui sait s’adresser à eux, qui sort du commun et, qui plus est, leur apporte la victoire, ce qui est essentiel au moral des troupes.
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La bataille de Normandie (1944) s’apparente-t-elle à une guerre de positions moderne pour les Britanniques?
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Oui, le front reste quasi-statique (ou peu s’en faut) pendant deux mois, avant le repli allemand sur la Seine, mais sans que cela ne s’apparente véritablement à la Grande Guerre: il n’y a pas de réseaux continus de tranchées établies dans la profondeur et, outre que l’armement et l’équipement ont considérablement évolués, les tanks tiennent un rôle essentiel. Par ailleurs, la bataille se joue aussi dans la profondeur avec l’action des forces aériennes contre les lignes de communications ennemies.
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Comment les Britanniques se comportent-ils en Allemagne?
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Globalement correctement, avec les inévitables écarts de conduite dus à des individus à la moralité douteuse. Rien en tout cas qui ne se rapproche de la brutalité dont à fait preuve la Wehrmacht et la SS en pays conquis.
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L’historiographie a-t-elle trop glorifié selon vous l’action des Britanniques pendant la guerre?
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C’est très variable. Si l’historiographie britannique a sans doute trop porté l’accent sur la guerre du désert (pour mon plus grand plaisir…), Arnhem ou la Birmanie, les ouvrages français ou américains consacrés à la guerre ont parfois honteusement déconsidéré le rôle de l’Empire britannique et de ses soldats. Les mythes ont hélas la vie dure, comme cette absurdité qui veut que les Anglais aient abandonné les Français à Dunkerque… Bref, l’action des Britanniques n’a pas été « trop » glorifiée: au contraire, elle a besoin d’être connue et rappelée, d’où le propos de mon ouvrage et son sous-titre (« le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale »).
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Comment est abordée outre-Manche et dans les pays du Commonwealth la disparition progressive des derniers vétérans de la Seconde Guerre mondiale?
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J’imagine qu’elle est abordée comme de ce côté-ci de la Manche : on déplore le fait que les témoins directs s’en vont et que les diverses commémorations vont, dès lors, perdre de leur pouvoir évocateur. L’émotion ressentie en la présence de ces valeureux anciens va disparaître… Au Royaume-Uni, toutefois, il me semble que l’intérêt et le respect pour la chose militaire laissent de l’espoir pour le maintien du souvenir comme il se doit.
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