Le trait précis, une atmosphère unique, le souci détail… Aucun doute : Il y a de la passion dans le style de Zac Deloupy. Auteur de la nouvelle bande dessinée « Impact » (Editions Casterman – 2021), le dessinateur prend également le temps de réaliser les couvertures du journal satirique Siné mensuel et d’imaginer la série « Le monde d’Après » (L’actualité sanitaire a été source d’inspiration…).
Entretien avec Zac Deloupy, actuellement sur Ouessant où il arrive chaque jour à retranscrire le paysage si particulier de l’île bretonne. 

 

 

D’où vient votre nom d’artiste- Zac Deloupy?

 

 

C’est mon grand-père qui m’appelait ainsi : Que l’on peut traduire en patois Yssingelais par « Jacques des pins », ce qui signifie quelqu’un d’un peu dans la lune ! C’était surement mon cas, le nez plongé dans Tintin !

 

autoportrait

 

Durant vos études, vous vous spécialisez dans la bande dessinée puis vous fondez en 2004 avec Alep et Alain Brechbuhl Jarjille, maison d’édition associative. Y’avait-il une volonté de rester des artistes libres? De travailler entre Stéphanois?

 

 

Il ne s’agissait pas forcement d’être entre stéphanois ! Cette création de Jarjille vient du fait que l’on se retrouve tous les trois à Saint-Etienne à ce moment là ! Je connais Alep depuis l’enfance et nous échangeons/ collectionnons, et essayons de faire de la bande dessinée, et j’ai rencontré Alain Brechbuhl quelques années auparavant aux Beaux-Arts de Saint-Etienne. Il est dessinateur lui aussi, et je lui dois ma première publication dans un fanzine auquel il collabore « Le chat Luthier ». Nous créeons Jarjille, par jeu, comme un défi et envisageons de publier seulement deux albums , Comixland et Collisions, sans savoir si nous allons poursuivre dans cette voie, sans même nous nommer « éditeurs »…Il y a la volonté d’être un peu libre, oui, de maitriser l’objet, et découvrir comment fonctionne la fameuse chaine du livre !

Ce n’est qu’en 2006, qu’en acceptant de publier d’autres auteurs/autrices que nous allons réellement devenir éditeurs !

 

 

Avec ‘Comixland’ (2009), vous traitez avec Alep d’un sujet original : l’addiction d’un bédéphile obsessionnel. Avec ‘L’introuvable : Une aventure de la librairie’ (4 albums), c’est notamment autour des traffics d’art. Le livre est-il un objet qui vous est cher voire qui peut obséder?

 

 

Avec Alep, nous étions de grands collectionneurs/amateurs de bande dessinée ! Toujours à lale collectionneur (extrait) recherche de la perle rare, de l’édition limitée ou originale ! Comixland est né de tout cela, de cette envie de décrire ce monde, celui des bouquineries, librairies de luxe, et surtout ceux qui le font vivre : les collectionneurs.

Bien que critique, cette histoire n’est pas un pamphlet contre la collectionnite…Je le considère plus comme une déclaration d’amour à l’Age d’or de la bande dessinée. C’est d’ailleurs la matrice de ce qui deviendra la série « les aventures de la librairie l’Introuvable », ou Max et Lucia libraires de bd anciennes et rares, seront aux prises avec toutes les turpitudes du milieu, et avec leurs propres contradictions.

 

 

Entre 2007 et 2012, vous écrivez 3 volumes de ‘Journal approximatif’ récit autobiographique. Lorsqu’on dessine il y a également le besoin de se raconter?

 

 

Je n’avais pas prémédité de publier mon journal ! Cette envie de se raconter, de prendre des notes graphiques tient au fait qu’à ce moment-là (2004-2006), mes enfants naissent, et je suis en train de perdre ma mère ! C’est à la fois cette période remplie de joie, et de tristesse, qui m’a poussé à prendre ces notes graphiques, à tenir ce journal…Avec le recul, je regarde cette expérience aujourd’hui avec circonspection, j’aime beaucoup ces albums et pourtant, je ne sais pas si je recommencerais l’expérience aujourd’hui !

 

 

Avec « Love story à l’iranienne » (2016), vous devenez l’illustrateur d’un récit écrit par un couple de journalistes qui prend ici le pseudonyme de Jane Deuxard. Comment avez-vous pu dessiner/retranscrire cette jeunesse iranienne (si particulière) bousculée par les événements du début du XXIème siècle?

 

 

« Love story » est avant tout une rencontre ! Celle de ce couple de journaliste « Jane Deuxard ». Au départ, il y a leur envie de faire connaitre, comprendre ce pays : l’Iran, qu’ils ont arpentés à leurs frais, sans autorisation et sans aucune couverture média .Ils ont discuté, rencontré ces couples, ces gens, hommes et femmes qui à travers leurs histoires personnelles dressent le portrait d’un pays complexe !

J’arrive donc au moment où Jane Deuxard est à la recherche d’un dessinateur capable de retranscrire tout cela. N’ayant pas mis les pieds en Iran, je me base sur leur documentation photographique, importante, et leur savoir. De mon côté, j’ai proposé la mise en scène, les images métaphoriques qui parsèment l’album et j’ai surtout fait en sorte de rendre le projet attractif, et pas seulement documentaire ! L’album a rencontré un grand succès, et sera publié aux états Unis, cette année chez Pennsylvania State University Press, à la suite d’ « Algériennes ».

 

 

Avec ‘Algériennes 1954-1962’ (2018), l’enjeu était à nouveau de taille puisqu’avec le scénariste Swann Meralli, vous avez raconté des visions différentes de la guerre d’Algérie. Plus de 60 ans plus tard, est-ce un épisode historique toujours difficile à raconter?

 

 

L’enjeu est de taille, oui ! Quand Swann me propose ce projet, c’est à la suite à « Love story », avec l’idée de faire un portrait de la guerre d’Algérie avec ces portraits de femmes ! Et puis,couv Algériennes comme je viens de faire cela, et que la fiction intéresse aussi Swann, le projet évolue vers ce qu’il va devenir, une fiction mettant en scène un personnage fictif, Béatrice qui rencontre, croise, interroge ces femmes ayant participées, subies ou vécues la guerre d’Algérie. Même si les personnages sont fictifs, les témoignages sont eux inspirés par diverses lectures ou témoignages réels, lus par Swann, pour construire son récit.

Le sujet est loin d’être clos, et il y a encore beaucoup à écrire sur cette guerre ! Ça continue à être une blessure nationale, dont on mesure l’amplitude encore aujourd’hui ! Nous sommes en train de travailler sur un deuxième opus, pas réellement une suite, mais un livre jumeau, qui traitera des Appelés ! L’album est prévu chez le même éditeur (Marabulles) pour mars 2022 !

 

 

Par votre trait et vos couleurs, les histoires enchaînent les ambiances intimes puis violentes. Votre recherche du bon ton est-elle parfois ardue?

 

 

Je ne me pose pas la question dans ce sens-là ! Je m’engage dans des projets qui me touchent, qui font écho à mes préoccupations, ou je considère que je peux apporter quelque chose…C’est long le travail sur une bande dessinée, et je travaille toujours sur le scénario pur, uniquement dialogué, sans pré-découpage du scénariste ! C’est une discussion, entre eux et moi, le livre se construit au fur et à mesure de ces échanges ; sans heurt, en bonne entente, pour essayer de faire le meilleur livre du monde. Le ton est celui qui résulte du mélange, violent ou intime, peu importe, mais il faut que ça fasse sens !

 

 

pour la peau extrait

 

 

« Pour la peau » (2018) a pour sujet le désir sexuel devenant petit à petit une véritable histoire d’amour. Une histoire peut-elle vous surprendre lors de l’écriture (mais aussi lors de la réalisation des dessins)?

 

 

Justement, cela rejoint votre question précédente …J’avais en tête de raconter et dessiner une histoire érotique depuis longtemps et avec cette idée d’alterner les points de vue, masculin et féminin  ! Il m’a fallu attendre le bon créneau, qu’un éditeur me fasse confiance, et surtout de trouver la bonne personne avec qui travailler ! Lorsque j’ai discuté du projet à Sandrine Saint-Marc, il n’était qu’embryonnaire Je n’avais qu’un vague squelette scénaristique et quelques pages dans les deux styles mais avec déjà l’idée de travailler en ping-pong …et donc de se surprendre ! Je souhaitais que Sandrine s’empare de sa part du récit (Mathilde), qu’elle se sente libre d’inventer, et même de faire bifurquer le récit dans une direction non envisagée ! Cette part d’improvisation (maitrisée) donne beaucoup de sel à la création, au dessin, et donne au final, un livre singulier et réussi si j’en juge par les critiques reçues !

 

 

La pandémie vous a beaucoup inspiré (un dessin par jour). Ce virus rouge s’est-Il imposé à vos dessins?

 

 

Je déteste subir les choses et en mars dernier, au premier confinement, j’ai eu comme tout le monde un moment de sidération, puis cette envie de prendre le dessus et de publier un dessin par jour sur le thème du Covid ! C’est un exercice que j’aime beaucoup faire et il faut dire que la forme du virus, « rouge avec des antennes » s’y prête plutôt bien ! Là non plus, je n’avais pascovidland envisagé l’ampleur du truc ! C’est devenu un rendez-vous quotidien sur Facebook et instagram, et ça m’a apporté de nouveaux lecteurs ! J’en ai ensuite fait un recueil « Covidland » pour marquer le coup, et garder une trace de ce moment-là de nos vies, puisque je pensais que nous en aurions fini !

Puis j’ai commencé une deuxième série, plus politique « Le monde d’après », ou j’interroge, je m’interroge sur mes contradictions, sur les dérives, les aberrations du monde que l’on est en train de vivre ! Plus qu’un livre de prospective, c’est un constat amer, sur ce qu’il faudrait changer !

Ces 64 dessins, vont faire l’objet d’une publication chez Komics Initiative, ou j’ai d’ailleurs convié une quinzaine d’autrices et auteurs à donner leur propre vision du s

 

 

Vous éprouvez du plaisir à illustrer les couvertures de Siné Mensuel?

 

 

C’est avant tout un exercice ! Pas du tout évident…Catherine Sinet m’a proposé de collaborer au journal, suite à mes publications du « Monde d’Après ». Je n’avais jamais travaillé pour la presse satirique, et c’est un exercice périlleux ! Je ne sais pas si mon dessin est très adapté mais j’y prends beaucoup de plaisir !

 

COUV SINE

 

Vous publiez actuellement avec Gilles Rochier « Impact ». Comment avez-vous réalisé ensemble cette ambiance noire et froide?

 

 

C’est là aussi une rencontre, une rencontre de Salon, Gilles Rochier était mon voisin de dédicace. Je ne connaissais pas son travail mais nous avons sympathisé, compris que nous venions d’univers assez semblables et avec un parcours dans la bd assez similaire ! Il a fallu quelques années pour concrétiser le projet, quelques tentatives, et un bon timing ! C’est à la faveur d’une publication dans le magazine Pandora, des éditions Casterman, que nous avons collaboré la première fois ! Gilles m’a ensuite proposé le scénario d’ »Impact » en deux morceaux ! L’un intitulé Jean, et qui racontait l’histoire de ce personnage et l’autre intitulé Dany, avec pour mission de mixer les deux histoires ! J’ai bien conscience qu’il aurait pu faire ce travail tout seul, mais c’est un formidable cadeau qu’il m’a fait en m’impliquant à ce point dans le récit ! J’ai donc fait les coupures, là où les deux histoires se mêlent et s’enchainent et se répondent jusqu’à la révélation finale ! L’écriture de Gilles est extraordinairement évocatrice et suscite des images fortes et ça a été un réel bonheur de dessiner …C’est une histoire sombre, âpre, un polar social, qui parle à la fois d’un monde révolu, et du monde d’aujourd’hui !

 

impact p1

 

Pour en savoir plus :

 

Le compte Instagram de Zac Deloupy : https://www.instagram.com/deloupy_/?hl=fr

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