‘Au commencement, D.ieu créa le ciel et la terre.’ Ainsi débute la Torah, le livre sacré du peuple juif. Malgré les millénaires et les persécutions, le Judaïsme continue de perdurer partout dans le monde. Plus qu’une religion, c’est la grande identité de nombreux juifs et juives d’aujourd’hui. En ce début de Hanouka qui commémore la nouvelle inauguration du Temple de Jérusalem reconquis, nous nous sommes entretenus avec Haïm Korsia, Grand Rabbin de France.
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La plus grande responsabilité des Juifs est-elle d’être le peuple élu ?
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Le peuple accepte cette responsabilité de porter la lumière des textes de la Bible pour l’ensemble des nations. C’est une responsabilité qui n’implique pas d’être les meilleurs- nous sommes tous soumis aux mêmes responsabilités- mais c’est la responsabilité  de porter les valeurs des textes sacrés.
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Quelle doit être la place du rabbin?
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Il doit se rendre remplaçable. Il ne peut faire tout mais doit accompagner chaque personne. À l’extérieur, il doit permettre les échanges et de porter la voix de la Torah dans la société.
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Présents dans le monde entier, les Juifs ont tout de même une terre promise, Israël. La terre spirituelle est-elle en harmonie avec l’attachement à une autre terre, une autre culture ?
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Le consistoire qui gère les affaires juives en France depuis Napoléon a une devise : ‘Religion et Patrie’. Le Judaïsme français s’est ainsi construit en désignant la France comme terre sainte spirituelle. Cela n’enlève en rien le lien avec la terre et l’Etat d’Israël. Partout dans le monde, nos prières et nos espérances sont orientées vers Jérusalem. L’important n’est pas où nous sommes mais où nous voulons aller. Max Pol Fouchet disait que le chemin le plus direct du point A au point B n’est pas la ligne droite mais le songe. Rêver c’est aussi une façon de faire humanité.
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L’Alya (acte d’immigrer en Israël) est-elle donc une fin?
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C’est en effet la question que D.ieu résout lorsqu’il demande à Abraham de partir de la aliaChaldée (actuelle Irak) pour la Terre sainte. Mais finalement il y a toujours une promesse. D.ieu ne promet pas une terre à Abraham mais juste une promesse. Pardon d’être trivial mais nous avons connu cela en 1998 avec la victoire des Bleus à la coupe du monde puis deux ans plus tard, ils gagnent l’Euro. Et en 2002, l’équipe de France connaît une vraie catastrophe durant la Coupe du monde en Corée du Sud. Être au sommet ne veut pas dire qu’il y a une fin. Il y a toujours avec le chemin spirituel une promesse après la promesse.
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En quoi Shabbat est la plus grande des célébrations pour les Juifs ?
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Pour Kippour, 6 personnes montent à la Torah, Shabbat c’est 7. Il n’y a pas un autre jour avec autant de personnes. Shabbat c’est la régularité : je travaille et je cesse de travailler.  Avec Shabbat, je ne suis plus exclusivement quelqu’un parce que je produis mais parce que je suis quelqu’un. Shabbat reconnaît la dignité humaine au-delà du caractère essentiel de l’activité. L’essentiel c’est l’humain. Nous n’avons plus besoin du téléphone ou de la voiture. Je redeviens un homme sans les objets de notre époque.
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Avec Pourim, le rire et la joie sont célébrés. L’humour est-il ce qui nous unit le plus?
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Ce qui manque le plus aujourd’hui c’est l’humour. C’est ce qui nous permet de prendre deporim la distance par rapport à la violence. Dans un moment de tension, l’humour permet d’en sortir et de se détacher du sérieux. Le Talmud raconte qu’un rabbin rencontre le prophète Elie au marché de la ville. Il lui demande qui aura dans ce lieu la plus grande part dans le monde futur. Elie montre alors deux hommes. Le rabbin va alors à leur rencontre et demande s’ils sont des personnalités. Les deux hommes répondent par la négative. Ils racontent juste des blagues à ceux qui ont l’air triste afin de les rendre heureux. Ramener le rire et la joie dans la société est l’une des plus belles choses.
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Le Judaïsme donne une grande part à la communauté et au rassemblement. Quelle est par contre la place de l’individu ? Quelle est sa relation avec le dieu unique ?
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Comme dit Rabbi Israël Salanter : « Les besoins matériels de mon prochain sont mes exigences spirituelles. » Nous pouvons avoir une vie spirituelle forte mais au fond aller vers l’autre c’est aller vers D.ieu. Créer du lien social c’est le cœur de la religion.
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Vous avez été Aumônier général des forces armées. Le soldat est-il un croyant soumis à une épreuve ?
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C’est la même épreuve qu’à dû vivre le roi David : la perte de l’innocence. Le soldat fait ce sacrifice afin de préserver notre innocence. À la fin de sa vie. David demande à D.ieu d’entrer dans le temple. Il reçoit un refus catégorique sous prétexte qu’il a du sang sur les mains. David a certes fait des guerres pour D.ieu mais il a tué. Son fils par contre pourra entrer au temple. Le roi David a perdu son innocence pour son enfant. Nos soldats font ce même sacrifice pour que nous puissions continuer à vivre dans une forme d’innocence.
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Vous êtes membre de l’académie des sciences morales et politiques. Sommes-nous dans une société qui agit trop sans réfléchir ?
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Dans la Bible, Isaac a deux fils : Jacob et Ésaü. Le premier est celui qui s’assoit dans la tente et le deuxième est celui qui chasse. Un est dans la réflexion, l’autre est dans l’action. Quand Jacob va prendre la bénédiction, il se déguise Ésaü en mettant dès peaux animales sur lui, son frère étant très velu. Isaac, le père aveugle, sur le point de bénir, dit : « ce sont les mains d’Ésaü mais c’est la voix de Jacob. » Il faut à la fois avoir la voix de la pensée, l’esprit de celui qui s’assoit dans la tente et être dans l’action par conséquent avoir les mains d’Ésaü. À l’académie des sciences morales et politiques, notre obsession est de ne pas rester uniquement dans la réflexion interne. Nous voulons nous adresser à l’ensemble de la société et à ses dirigeants. Nous allons lancer un programme « les mercredis de la Sorbonne » en mars 2021 où nous échangerons avec les étudiants sur les thèmes qu’ils auront travailler. C’est une façon de revenir vers la réflexion des jeunes.
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Hanouka sera en partie confinée. Que nous dit ces lumières face à ce qui nous persécute?
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Il y a toujours l’espérance. Tristan Bernard, arrêté avec sa famille pendant la guerre, déclare : « Nous vivions dans la crainte. À présent, nous vivons dans l’espérance. » Ce qui est important n’est pas ce que nous vivons mais notre horizon. Au milieu de Hanouka, le 15 décembre, nous pouvons espérer un déconfinement. Il faut toujours voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Le Judaïsme c’est rendre possible ce qui paraît impossible à n’importe qui d’autre.
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« Réinventer les aurores » de Haïm Korsia  Fayard 2020 : https://www.cultura.com/reinventer-les-aurores-9782213713007.html
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