Les contes, fables et autres histoires de notre jeunesse sont bien souvent accompagnés d’images dont le but est de mieux nous transporter vers ces univers merveilleux. Philippe Mignon a consacré sa vie à retransmettre de nombreuses récits en dessin. Couvertures, illustrations, dessins animés… de nombreuses images gravées dans nos mémoires sont de son trait. Grand observateur de la nature mais aussi créateur de métamorphoses, Philippe Mignon vient de paraître un ouvrage merveilleux ‘Le jardin secret du dernier comte de Bountry’. Entretien.
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Après avoir effectué une formation d’architecte aux beaux-arts de Paris, pour quelles raisons vous êtes-vous orienté vers l’illustration ?
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Il était évident pour moi de m’orienter vers un métier où le dessin serait primordial. Je m’intéressais beaucoup à l’architecture et comme les écoles d’illustration étaient quasiment inexistantes au moment de faire le choix, je suis donc rentré aux Beaux-­‐Arts de Paris. Parallèlement à mes études d’architecture (que je n’ai pas achevées), j’ai travaillé plusieurs années en agence et compris qu’il me faudrait trouver une autre voie si je voulais satisfaire pleinement ma passion pour le dessin. Au cours de vacances d’été à l’île d’Yeu, j’ai eu la chance de rencontrer par hasard Jean Olivier Héron qui venait de s’y installer. Il venait de créer Gallimard-­Jeunesse avec Pierre Marchand. Ayant vu quelques-­‐uns de mes croquis, il m’a invité à venir le voir si un jour je souhaitais me reconvertir. Ce que j’ai fait deux ans plus tard, deux années en grande partie passées à perfectionner mon dessin. En 1980, j’ai « sauté le pas » et commencé à faire des illustrations pour Gallimard, Télérama, Bayard-­‐Presse et Nouvelles Frontières, entre autres.

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La couverture d’un livre est capitale (étant ce que le spectateur regarde en premier). Comment travaillez-vous avec les éditeurs et les auteurs ? Comment illustrer des auteurs d’un autre siècle tels que Guy de Maupassant, Hans Christian Andersen ou encore Jean de La Fontaine ?
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Pour les éditions Gallimard-­Jeunesse, j’ai illustré une bonne trentaine de livres de la collection Folio-­‐Junior (Alphonse Daudet, Marcel Aymé, Rudyard Kipling, les frères GriIllustration de la nouvelle _La Ficelle_ Maupassant (Gallimard-Jeunesse)mm, Hans Christian Andersen, Guy de Maupassant, Gustave Flaubert, Henri Bosco, Adalbert von Chamisso, etc…) Le choix de l’éditeur était alors de confier l’illustration des couvertures à un petit groupe d’illustrateurs (Henri Galeron, Georges Lemoine et d’autres), sans doute afin de donner une plus grande unité visuelle à la collection. Mon principal interlocuteur chez Gallimard-­‐Jeunesse était Jean-­‐Robert Gaillot. À chaque fois qu’il me confiait un titre à illustrer, il me donnait quelques indications sur le nombre d’images à fournir et quelques fois sur ce qu’il ne fallait pas faire ! C’était très rare et je dois dire qu’il m’a toujours laissé totalement libre et ne m’a jamais demandé quelque crayonné ou esquisse que ce soit. Avant d’illustrer des textes classiques – beaucoup du XIXème siècle – je me documentais rapidement sur les lieux cités, costumes d’époque, mobilier, etc… afin d’être le plus juste possible . Avant d’illustrer Maupassant, j’ai passé une semaine à arpenter le pays de Caux pour repérer les décors dans lesquels j’allais situer les personnages. Quand je le pouvais j’achetais des éditions illustrées par des contemporains (ou proches) des auteurs, afin d’y trouver d’autres informations.

À la demande de Bernard Girodroux, j’ai illustré un choix d’une vingtaine de fables de Jean de la Fontaine pour les éditions Nathan-­‐Jeunesse. Ayant toujours aimé copier ou imiter des dessins classiques, je lui avais proposé de copier les décors d’œuvres de quelques artistes que j’avais beaucoup regardés et étudiés, et de remplacer les personnages qui y figuraient par ceux des fables. L’idée lui plaisant beaucoup, j’avais par exemple remplacé St Eustache dans une gravure de Dürer par « le corbeau et le renard », « Le lion et le rat » se retrouvaient dans le paysage d’une gravure de Lucas de Leyde. Tout le livre était illustré ainsi.La Fontaine (Nathan-Jeunesse) Le Corbeau & Le Renard (avec gravure de Dürer)

Pour Nathan-­Jeunesse, j’ai illustré trois albums accompagnant la sortie de films de Nicolas Vanier. Pour être le plus proche possible des images de ses films, il me fournissait des photos des tournages.

J’ai illustré aussi une dizaine de livres de François Beiger, dont l’action se déroulait dans le Grand Nord, mais ma seule collaboration suivie avec un auteur (Gildas Sagot) l’a été sur une collection de livres dont vous êtes le héros. Il m’indiquait à quel endroit précis du livre devait figurer un dessin et ce qu’il devait représenter : décors, personnages, monstres ou dragons.

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Vous avez également conçu des personnages pour des dessins animés. Est-ce un autre exercice ? un rythme différent ?
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J’ai dessiné pendant plusieurs années des model-­sheets pour des séries de films d’animation destinés à la télévision. C’est un travail très différent, les dessins fournis passant ensuite entre les mains de coloristes, puis d’animateurs qui parfois les simplifient au point qu’on ne les retrouve pas tout à fait. Mais c’est un travail collectif qu’il faut accepter comme tel. Il m’a tout de même donné l’occasion d’aller travailler plusieurs mois à Los Angeles sur une adaptation de Prince Valiant. Je garde un très bon souvenir de cette expérience. Quand j’étais à l’école primaire, je rêvais d’aller un jour travailler chez Walt Disney. Finalement je n’étais pas si loin !

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Série animée. The Legend of Prince Valiant
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L’animal est-il un modèle à part selon vous ? Lorsqu’il est sauvage ? Lorsqu’il est humanisé ?
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Dans beaucoup de livres que j’ai illustrés, les animaux étaient centraux ou très présents (le Livre de la jungle – que j’ai illustré trois fois ! – , Croc-­Blanc – deux fois -­, le Chat Botté, les fables de la Fontaine, le Lion de Kessel et beaucoup d’autres) J’ai dû dessiner plus de loups qu’il n’y en a dans toute la France ! (Rires). Pendant mon apprentissage, j’allais souvent faire des croquis au zoo de Vincennes ou à la ménagerie du Jardin des Plantes, Illustration du Chemin de Rungis. Page titre (portrait de Rat Loukoum!)quelques fois au Salon de l’agriculture. Pour illustrer Le Chemin de Rungis (Gallimard-­‐ Jeunesse) de Christian Léourier, j’avais acheté un rat (finement baptisé Rat Loukoum) que j’ai gardé trois mois sur ma table à dessin, dans un grand aquarium ! Un modèle finalement délicieux et très collaboratif. J’ai raconté cette anecdote à Jean Robert Gaillot au moment où il allait me confier des contes d’Andersen. Il m’a demandé si j’envisageais d’acheter une sirène et de la garder dans ma baignoire !

J’ai toujours eu une passion pour l’illustration animalière et ne ratais jamais les expositions de vélins du Muséum.

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Quels sont les environnements qui vous inspirent le plus pour vos illustrations (forêts, campagne, villes) ?
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Tout m’inspire, mais j’ai une prédilection pour le dessin d’architecture, les rochers, les statues rongées par le temps, les arbres (surtout vieux quand leurs troncs prennent des formes fantastiques) et bien sûr les animaux. Il y a une époque où je faisais beaucoup de portraits, moins à présent.

Dessin sur le motif. Arbre dans la cour de l'hôpital St.Louis
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Avec « Elephasme, Rhinolophon, Cameluche et autres merveilles », vous explorez le bestiaire de chimères (Idée déjà présente dans « Petites chimères et monstres biscornus »). La nature est-elle une inspiration sans limites ?
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Absolument sans limites. Pour illustrer « Petites chimères et autres monstres biscornus », la gageure était de suivre au mieux les descriptions très complexes de l’auteur. Heureusement nous étions deux à nous partager autant de pattes, d’ailes et de cornes ! Il suffit de faire des croisements loufoques et inattendus d’éléments animaux, végétaux ou minéraux pour obtenir d’amusantes chimères. Pour « Éléphasme », ce qui était nouveau pour moi et que l’on ne trouve pas dans la plupart des livres du genre méli-­mélo (qui mélangent plusieurs eleparties d’animaux), c’était, en imitant les vélins du muséum d’en faire de « vrais » animaux ou pour beaucoup vraisemblables et d’en donner une description farfelue en imitant la manière des zoologistes ou naturalistes. Le tout avec un grand esprit de sérieux (rires). Mon éditrice, Brigitte Morel m’a laissé totalement libre. Ce bestiaire était vraiment un nouveau départ pour moi.

À l’occasion du premier confinement, je l’ai copieusement étoffé, à raison d’un animal par jour pendant deux mois, avec quelque « rebonds » et ramifications. Un projet que j’aimerai bien publier un jour. J’y avais intégré aussi quelques idées qui devaient faire l’objet d’une série de films d’animation.
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Quels sont les inspirations pour votre bestiaire du « jardin secret du dernier comte de Bountry »? Le livre est-il lui-même un cabinet de curiosités ?
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Ce sont les mêmes que pour « Éléphasme », mais j’aimerais dans des projets futurs donner plus d’importance au décor qui est encore souvent très succinct. J’ai eu l’occasion de visiter beaucoup de cabinets de curiosités, mon préféré restant celui du château d’Ambras, en Autriche, où l’archiduc Ferdinand avait réuni une collection magnifique. C’est dans ce château que j’avais situé la découverte fortuite d’un recueil d’anamorphoses catoptriques. Ces dessins ont été publiés dans « les Secrets d’un Miroir » chez Actes Sud Junior.

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« Le jardin secret du dernier comte de Bountry » regorge également de multiples jardins, de statues et de formidables autres architectures. Est-ce un retour aux sources pour vous ?
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L’idée de ce livre était un peu d’y réunir tout ce que j’ai aimé dessiner : animaux imaginaires, labyrinthes, sculptures, architectures, anamorphoses et d’y ajouter quelques images animées et pop-­up, ce que je n’avais jamais fait en étant moi-­même « l’ingénieur papier ». L’architecture des livres avec pop-­ups que j’avais eu l’occasion d’illustrer pour Actes-­‐Sud Junior et Belin était conçue par François Michel. Dans le jardin du comte de Bountry, il y a plusieurs emprunts ou références à des jardins existants : Méréville, Bomarzo, Nanjing, etc…

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Comment avez-vous conçu votre labyrinthe à 192 entrées ?
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Depuis l’abécédaire, recueil de labyrinthes publié chez Nathan-­Jeunesse – que j’Abécédaire Labyrinthe A comme Alligator (Nathan-Jeunesse)aimerais tant rééditer un jour – j’ai dessiné pour Labyrinthus, une vingtaine de grands labyrinthes, certains éphémères, d’autres toujours visitables dans le parc du château de Chantilly, dans le jardin de Colette à Brive-­‐la-­‐Gaillarde et dans celui du château de Merville, près de Toulouse. J’ai deux autres projets – entre autres -­‐ de livres de labyrinthes, dont un spectaculaire ! qui n’ont pas encore trouvé d’éditeur. Concevoir des labyrinthes, même complexes, m’est de plus en plus facile. C’est leur traduction sous forme de mosaïque ou de calade comme celui aux 192 entrées qui prend du temps. Du temps qui permet de rêvasser en écoutant de la musique – mon autre passion ! alors tout est bien ainsi…

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Observateur de la nature, avez-vous remarqué des changements tout au long de votre carrière ?
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Oui bien sûr et malheureusement rarement positifs. Je suis très contemplatif et peux rester une semaine à dessiner un paysage en y revenant tous les jours à la même heure pour profiter de la même lumière. Il y a des endroits où j’ai passé des heures ainsi et où je ne peux plus retourner tant ils ont été défigurés. Il y a un peu de cette nostalgie et de cette mélancolie au cœur de l’histoire que je raconte dans mon album.

On n’en est que plus heureux de se retrouver parfois dans des lieux aimés et qui n’ont pas changé !

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Pour en savoir plus :

« Le jardin secret du dernier comte de Bountry » de Philippe Mignon – Editions Les Grandes Personnes 2020. http://www.gallimard.fr/Catalogue/Grandes-Personnes/Albums/Le-Jardin-secret-du-dernier-comte-de-Bountry

« Elephasme, Rhinolophon, Cameluche et autres merveilles » de Philippe Mignon – Editions Les Grandes Personnes 2012. https://www.editionsdesgrandespersonnes.com/portfolio_page/elephasme-rhinolophon-cameluche-et-autres-merveilles-de-la-nature-philippe-mignon-septembre-2012/

 

 

MIGNON

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