Le 18 juin 1940, le général de Gaulle, exilé à Londres, lance son appel dans lequel il demande aux Français « où qu’ils se trouvent » à entrer en résistance. Toujours sous l’autorité de Vichy,  un certain nombre d’Antillais vont répondre présents et quitteront leur terre natale. Octave Perrette, Guadeloupéen de 103 ans, est un des soldats de cette France libre. Combattant de 39-40, il repart au combat en Afrique du Nord, en Italie et enfin en France métropolitaine. La Seconde Guerre mondiale terminée, M. Perrette partira ensuite en Indochine et terminera sa carrière de soldat en Algérie. Trois grandes guerres et pourtant il n’aura miraculeusement aucune blessure. Entretien.

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Pour quelles raisons avez-vous rejoint la France libre ?

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J’ai été mobilisé en tant que Seconde classe au mois de septembre 1939 et je suis arrivé par bateau au port de Bordeaux. J’ai ensuite été envoyé à Bayonne où j’ai fait mon instruction militaire avec le 49ème d’infanterie alpine. Avec l’attaque allemande en mai 1940, nous avons été envoyés en première ligne. Les conditions étaient très difficiles : Nous n’avions rien à manger et nos mitrailleuses s’enrayaient au moment des combats.  Les stukas, les chars allemands,… tout était contre nous. J’ai été fait prisonnier le 22 juin 1940. Devenus nos gardiens, les Allemands faisaient leur propagande en nous disant que les Anglais nous avaient volontairement abandonnés et que c’était finalement eux nos ennemis. Les longues cfrankreich_gefangene_tirailleurs_1940_01_raboeolonnes de Français capturés ont été emmenées à pied puis en train à Strasbourg puis à Besançon. Au fil des mois, comme il faisait très froid, j’ai été rapatrié en tant que colonial et envoyé à Dijon comme tous les prisonniers antillais. Un réseau clandestin bien organisé nous faisait évader. J’ai réussi à franchir la ligne de démarcation. Et à Marseille, j’ai pris un bateau qui nous a emmenés à Oran puis Casablanca. En décembre 1940, j’ai pu enfin revenir en Guadeloupe avec un autre navire. J’ai repris mon travail à l’usine puis en 1943, j’ai décidé de rejoindre les Forces Françaises Libres. Je suis parti à La Dominique qui était une île anglaise. Avec les autres français libres, nous avons ensuite débarqué à New York puis avons été affectés à Fort Dix (New Jersey). Dans cette base américaine, nous avons formé le premier bataillon antillais. Nous avions du matériel et des uniformes américains mais étions si fiers d’avoir cousu dessus l’insigne « Free French » et nos officiers étaient français. Les Américains étaient parfois assez distants avec nous mais cela restait cordial. Il n’y avait pas non plus de ségrégation envers nous. L’entraînement était dur mais nous avons pu avoir des permissions notamment à New York et Philadelphie. Nous sommes partis ensuite en Virginie pour embarquer sur un bateau en septembre 1943. La flotte était gigantesque. La traversée de l’Océan atlantique fut marquée par le torpillage d’un des navires. Il était rempli d’infirmières. Nous avons débarqué à Casablanca où nous avons rejoint la 1ère Division française libre. Le bataillon antillais a tout de même conservé le matériel et les uniformes américains. J’ai été affecté aux Forces Terrestres Antillais (FTA). En tant que brigadier-chef de pièce, j’avais pour mission de m’occuper de canons de DCA afin d’abattre les avions ennemis.  Les tensions restaient vives entre nous, les Gaullistes, et les Giraudistes, partisans du général Giraud qui avait auparavant été un pro-Vichy. Nous allions jusqu’à nous combattre puis lorsque le général de Gaulle a demandé de faire l’union, nous avons arrêté et avons su combattre ensemble.

Nous sommes partis en train pour l’Algérie. J’ai pu échanger avec des prisonniers allemands. Ils nous assuraient que nous ne pouvions gagner la guerre car Hitler préparait des armes miracles pour nous détruire. Finalement, nous sommes arrivés trop vite en Allemagne (rires).

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antillais.
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Quels sont vos souvenirs de la campagne d’Italie ?

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À partir du port de Bizerte, j’ai débarqué à Naples. Nous avons continué nos entraînements : nous devions viser des cibles avec nos canons antiaériens. J’ai pu avoir une permission de 24 heures. Me baladant dans les rues napolitaines, j’ai été accosté par une dame. Elle me raconta que les « pompons » lui avaient tout pris. Il s’agissait des marins pompiers français qui brutalisaient la population. Je lui ai alors donné 15 000 lires en guise de dédommagements. De Naples, nous avons rejoint les premières lignes du front à Pontecorvo et la ligne Gustave. La chaleur était suffocante durant ce début d’été 1944 et les combats avec l’aviation allemande étaient terribles. Je me souviens encore des bruits du moteur des avions ennemis. Je suis même passé par Rome qui avait été déclarée ville ouverte. Les Italiens nous recevaient  bien.  C’est à Montefiascone que notre mission en Italie s’est terminée. Une autre nous attendait : la libération de la France. Nous avons stationné à Tarente pour préparer ce débarquement. Il m’est arrivé de parler Italien, en particulier lorsque les pépées venaient nous voir dans nos camps (rires).

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Ce fut un moment émouvant de venir libérer la France ?

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J’ai débarqué le 16 août 1944 à Cavalaire. J’étais heureux de refouler la terre française et l’accueil des Français fut formidable. Les résistants nous racontaient qu’au sein de l’arméedébarquement allemande, il y avait des Russes blancs qui brutalisaient les civils. Ils auraient notamment coupés les doigts afin de récupérer les alliances et bagues.

Nous avons ensuite atteint les Vosges et l’Alsace où les combats ont été très durs. Le 20 novembre 1944, nous avons même perdu notre général, Diego Brosset. Mon colonel était son beau-frère donc nous avions eu l’habitude depuis l’Afrique du Nord de voir souvent le général. Le front devenant calme, notre unité a été dépêchée à Cognac où nous devions participer à la libération de la poche de Royan. Un autre bataillon antillais combattait déjà là-bas. Mais les Allemands ont décidé autre chose : le 16 décembre, ils ont attaqué les positions françaises dans l’Est. Himmler avait lui-même pris le commandement. Nous sommes donc retournés en Alsace. Les combats terminés, la 1ère Division Française Libre n’a pas participé à la campagne d’Allemagne mais a tenu des positions dans les Alpes où les Allemands continuaient de se battre. J’ai appris la fin de la guerre alors que j’étais à Mougins (Alpes maritimes).

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Vous êtes ensuite parti en Indochine puis en Algérie.

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Oui ayant été volontaire pour combattre contre le Japon, on m’a demandé de retourner me reformer aux États-Unis mais finalement les bombes atomiques ont été laképincées sur Hiroshima et Nagasaki et la guerre du Pacifique s’est terminée ainsi. J’étais à Paris à ce moment-là. Je pensais que j’allais rentrer en Guadeloupe mais comme je m’étais porté volontaire, l’armée française m’a envoyé en Extrême Orient. Je suis devenu Maréchal des  logis au 43ème régiment d’infanterie de marine. Partis du port de Menton, je me souviens encore mon commandant nous dire : « À mon commandement : direction Saïgon ! ». Lorsque nous sommes passés par la baie de Naples, je me souviens avoir vu le volcan du Vésuve qui continuait de fumer comme lorsque j’y étais en 1944.

Je suis arrivé en Indochine en février 1946. Il restait encore quelques troupes japonaises qui continuaient le combat. J’étais impressionné par leur discipline. La guerre a continué : le danger était partout avec le Viet Minh notamment au 17ème parallèle. Je suis devenu instructeur au 66ème bataillon vietnamien (BVN). J’ai passé trois séjours en Indochine jusqu’en 1955. Puis je suis devenu adjudant et j’ai stationné à la caserne d’Orléans à Alger dans le 13ème régiment de tirailleurs sénégalais  (13ème RTS). Nous avions des missions nuit et jour notamment dans les montagnes. L’ambiance était tout de même moins dangereuse qu’en Indochine.  

Je suis ensuite venu vivre en France métropolitaine avec mon épouse allemande que j’avais rencontrée en Algérie. Finalement, depuis 1943, je ne suis jamais revenu en Guadeloupe.

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OctavePerrette1

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