Lorsqu’Alberto Moravia, auteur italien du roman « Le mépris », invente dans les années 60 le terme de jet set, il écrit : « Tous ces gens-là, je les trouve inutiles. Si j’en avais le pouvoir, je les inviterais à un grand bal donné sur une île isolée. Et pendant le bal, je ferais éclater une bombe… Je sauverais seulement un garçon, il s’appelle Massimo et vient de Naples ».
Massimo Gargia n’est pas (encore) un survivant mais un grand témoin depuis les années 50 de ce phénomène qu’est la jet set. Côtoyant artistes et hommes politiques, le napolitain a également été dans les bras de nombreuses femmes puissantes. Dans son dernier livre, « La double vie » (éditions Favre- 2019), Massimo Gargia revient sur ses souvenirs de play-boy et de ses expériences homosexuelles. Rencontre.
Vous êtes-vous parfois imaginé votre vie à Naples sans la jet set ?
Je ne serais jamais resté à Naples. J’en suis même parti dès l’âge de 15 ans. J’ai toujours aimé voyager. J’aurais pu certes fait autre chose comme une carrière d’acteur mais je trouvais cela trop difficile. La vie de play-boy me convenait parfaitement.
Peut-on dire que vous avez eu une jeunesse brute à Naples ?
C’était une époque très machiste. Dès mon adolescence, j’avais l’obsession des femmes. Mais je n’ai pas connu la misère car j’étais issu d’une famille bourgeoise napolitaine.
C’est aussi durant votre jeunesse que vous avez eu une liaison avec Raimonda « Dindina » Ciano, l’une des petites-filles de Mussolini.
Je la trouvais charmante même si elle n’était pas très jolie et plus âgée que moi. Dindina n’était pas responsable des crimes de sa famille donc je n’avais pas de scrupules.
Elle vivait chez sa mère, Edda Ciano, à Capri. L’atmosphère sur l’île était différente qu’ailleurs. Lorsqu’Edda Ciano passait dans la rue, la population l’applaudissait comme si c’était une star. Même dans les soirées, les Ciano avaient les premières places qui leur étaient réservées. Les crimes fascistes avaient été comme oubliés à Capri.
Vous avez côtoyé des personnalités comme Pasolini, Visconti ou encore l’écrivain Alberto Moravia pendant l’âge d’or du cinéma italien. Aviez-vous conscience de rencontrer les plus grands artistes au meilleur moment ?
C’était une époque merveilleuse à Rome. Il y avait un club, le club 84, où il était facile de rencontrer tous les soirs les plus grandes personnalités comme Alain Delon ou Vittorio Gassman. Les stars n’étaient pas aussi inaccessibles comme de nos jours. Les artistes venaient sans garde du corps au restaurant ou en boîte de nuit. Je n’avais pas beaucoup d’argent à l’époque mais comme j’étais très beau j’ai intégré ce milieu. Aujourd’hui, il est plus difficile d’entrer dans la jet set.
Mon père avait payé mes études à Rome pour que je puisse entrer au ministère des affaires étrangères mais la diplomatie ne m’intéressait pas. J’ai raté deux fois le concours. Je n’étudiais pas assez car je sortais tous les soirs. C’est ça qui me plaisait le plus. Je voulais être riche et célèbre. La mondanité c’est du full time job. Cependant, la beauté ne suffit pas. Certains sont très beaux mais disparaissent très rapidement. Ma compagnie plaisait également aux intellectuels. J’avais ce côté napolitain très ouvert. Visconti n’était pas attiré physiquement par moi mais on se voyait tout de même. Pasolini non plus- il aimait les gens du peuple au physique de camionneur. J’étais trop sophistiqué pour lui. Mais Pasolini était fasciné par Alberto Moravia. A chaque fois qu’il écrivait quelque chose, il demandait l’avis de Moravia. Et lorsque Pasolini a vu que Moravia m’aimait beaucoup, il voulait savoir pourquoi. Les deux étaient communistes. Mon père était socialiste mais cela ne me gênait pas de fréquenter l’aristocratie romaine. Alors que Pasolini avait une vie très simple, Moravia avait une fascination pour le luxe. Quand il venait à Paris, il allait déjeuner chez Maxim’s.
Vous étiez séduit par la générosité des femmes- vous ne refusiez pas leurs cadeaux. Vous avez notamment eu une liaison avec la star suédoise Greta Garbo qui, elle, n’était pas du tout généreuse. Qu’est-ce qui vous séduisait chez elle ?
C’était une immense star. Pour moi, Napolitain, c’était incroyable d’être avec Garbo. Lorsqu’il fallait payer le restaurant, c’était moi qui m’en occupais alors que j’étais fauché. Elle était très avare. Une star comme Garbo était unique. Elle devait constamment se cacher de la foule. Aujourd’hui, il n’existe pas une personnalité comme elle.
Ce fut la même chose avec Audrey Hepburn ?
Hepburn était plus ouverte et moins angoissée que Garbo. Je voulais la séduire mais elle est tombée amoureuse d’un de mes amis, docteur. Ils se sont même mariés.
Vous avez connu la jet set américaine notamment au club Studio 54…
J’ai connu Andy Warhol alors qu’il n ‘était pas encore très célèbre. C’était un personnage étrange du Studio 54 mais ses tableaux ne coûtaient pas plus de 10 000 dollars. J’ai voulu qu’il me fasse un portrait comme cadeau. Warhol m’a alors demandé de m’habiller en femme puis j’ai compris qu’il voulait que je couche avec lui et son compagnon. Alors j’ai refusé. Quelle erreur ! Le tableau aurait valu des millions aujourd’hui…
Vous avez eu une liaison avec Lady Olga Deterding, veuve de Sir Henry Deterding « le Napoléon du pétrole ». Vous avez voulu rompre en apprenant qu’elle avait été la maîtresse d’Hitler. Y a-t-il une éthique dans la jet-set ?
J’avais été profondément choqué en l’apprenant. Je venais d’une famille de socialistes. Certains ont été tués par les fascistes. Sir Henry Deterding avait eu des funérailles nationales en Allemagne et Lady Deterding a toujours été interdite de séjour au Royaume-Uni.
J’ai même été invité dans un cocktail où il y avait Edda Ciano, la fille de Mussolini et Carmen Franco y Polo, la fille du général Franco. J’étais fasciné par les personnages historiques. Cela me fascinait et en même temps cela me révulsait d’être intime avec des gens aussi obscurs. C’était comme une drogue. Durant ma jeunesse à Naples, la sphère de Mussolini était inaccessible et tout d’un coup, je me retrouvais avec des personnes qui en ont fait partie.
Votre liaison avec Donina Toeplitz s’est très mal terminée puisque vous avez connu de grandes intimidations…
C’est une histoire d’amour qui s’est très mal finie. Donina a tout fait pour me couler. Ce fut un choc ! Les stars les plus célèbres se sont mises à me rejeter. La presse américaine m’a coulé. Tout cela m’a obligé à trouver un travail. Je n’avais encore jamais travaillé. Je voulais prouver à tout le monde que je n’étais pas un gigolo. Mon ami Gianni Versace m’a donné mon premier travail. Ma carrière dans les relations publiques a commencé ainsi.
Vous avez fréquenté beaucoup d’hommes politiques comme John Fitzgerald Kennedy, Jimmy Carter ou encore Donald Trump. Est-ce que ce sont des jet setters comme les autres ?
Ce sont des obsédés du pouvoir et je les comprends. Être sur un balcon avec des milliers de personnes qui vous acclament : c’est incroyable ! Lorsque vous touchez le pouvoir, vous en devenez comme accros comme si c’était une drogue.
Avec Françoise Sagan, j’ai pu rencontrer François Mitterrand. Il était très cultivé et très sympathique.
Vous avez très heureux avec votre épouse, Francine Crescent, rédactrice en chef de Vogue de 1961 à 1984. « La femme de [votre] vie » est d’ailleurs le titre d’un de vos livres. L’époque où vous avez travaillé chez Vogue a-t-elle été la meilleure de votre vie ?
J’ai connu les meilleurs moments de ma vie lorsque j’étais jeune. J’avais un tel succès ! Lorsque j’étais avec Francine, j’étais déjà vieux (rires). La vie change lorsque vous avez 40 ans.
Le mouvement Metoo a révélé de nombreux scandales sexuels. Êtiez-vous conscient depuis longtemps de cet harcèlement envers les femmes ?
Non. Beaucoup de ces femmes qui accusent les hommes célèbres le font pour devenir célèbres, pour gagner l’argent. Ces problèmes n’existaient pas au même titre que les problèmes de drogue. Ce n’était pas perçu comme des soucis dans la jet set. C’est venu après. Le sida a également été un choc.
La jet-set a-t-elle un avenir selon vous ?
Il y aura toujours une classe plus au-dessus que les autres. La jet set d’aujourd’hui s’ouvre aux couturiers, aux coiffeurs même aux anciens détenus de prison.
Y a-t-il des histoires sur la jet-set que vous ne raconterez jamais ?
Il y a toujours des histoires à raconter. Il ne faut jamais dire jamais! Si j’ai la force et si un éditeur a le courage de me publier, j’écrirais un 10ème livre.
Vous faites à présent du théâtre. C’est une expérience qui vous plaît ?
Beaucoup. J’ai fait 14 représentations. J’ai compris le plaisir d’être acteur. Lorsque j’arrive sur scène, le public m’applaudit sans avoir commencer à jouer. C’est comme de l’ivresse pour moi. Le public rit beaucoup et au lever de rideau, il y a beaucoup de succès. J’espère pouvoir continuer à jouer sur les planches.
Pour en savoir plus :
« La double vie » de Massimo Gargia- Editions Favre 2019 http://www.editionsfavre.com/info.php?isbn=978-2-8289-1424-0