Film mélangeant comédie et gangsters, « Les tontons flingueurs » de Georges Lautner reste totalement culte pour les Français. Univers indémodable malgré les années (Les tontons ont plus de 55 ans!), le film ne finit pas d’être une référence et personne ne se lasse de re-re-revoir les bourre-pifs de Lino Ventura et de rire devant la scène de la cuisine.

Entretien avec Philippe Lombard, auteur de « L’univers des tontons flingueurs » (2013), pour mieux comprendre ce succès cinématographique.

 

 

Comment peut-on expliquer le succès toujours aussi fort des « Tontons flingueurs » (1963) ?

 

 

Je pense que cela ne s’explique pas. Pourquoi on aime quelque chose finalement ? Pourquoi ce film ? Et pourquoi pas « Un singe en hiver » ou « Le cave se rebiffe » qui sont tout aussi bien écrits ?

« Les Tontons flingueurs » font fantasmer une époque. Les gangsters ne se comportaient pas ainsi et ne s’exprimaient pas comme cela. C’est cette ambiance qui a marqué les esprits. Tous les gens qui ont travaillé sur ce film, Audiard, Simonin ou Lautner, ont donné le meilleur d’eux-mêmes naturellement.

« Les Tontons flingueurs » traitent aussi de nombreux sujets  comme la jeunesse ou la morale.

 Patricia

 

D’où vient le titre des « Tontons flingueurs » ?

 

 

Mystère. Michel Audiard voulait nommer le film « Le Terminus des prétentieux » mais ce fut abandonné. La production n’aimait pas non plus le titre « Les Tontons flingueurs » et ne croyait pas du tout au succès du film.

C’est aussi le premier film comique de Lino Ventura. Il a remplacé Jean Gabin qui n’a pas été gardé car il insistait pour travailler avec la même équipe et s’était brouillé avec Audiard. Le film aurait été très différent.

Lino Ventura, lui-même, ne croyait pas au succès du film. Mais une nuit, il a réveillé sa femme pour lui dire qu’il venait de tourner « la scène du siècle » : celle de la cuisine.

 

 

Peut-on dire que le film « Les Tontons flingueurs » est une adaptation très libre du roman d’Albert Simonin « Grisbi or not grisbi » ?

 

 

 

Il y a une trilogie littéraire de Simonin avec le personnage de Max le menteur : « Touchez pas au grisbi », « Le cave se rebiffe » et « Grisbi or not grisbi ». Ce sont des classiques. Et lorsqu’est tourné « Le cave se rebiffe »  en 1961, Michel Audiard sait qu’il ne reprendra pas fidèlement la suite, « Grisbi or not grisbi ». C’était quelqu’un qui aimait travailler à partir d’intrigues déjà écrites mais changeait l’histoire au fur et à mesure. Audiard ne se voyait pas comme un bon scénariste. C’était la même chose avec les dialogues- il partait toujours d’une base qu’il modifiait avec son style.

Nous sommes aussi à l’époque du renouveau du polar français avec Jean Gabin et l’équipe des « Tontons flingueurs » veut faire autre chose. Simonin accepte l’idée de transformer son roman pour l’adaptation au cinéma. Il reste au scénario des « Tontons flingueurs » et travaille avec Michel Audiard et Georges Lautner. Mais il ne faut pas oublier l’importance de Simonin qui est bien trop souvent oublié.  Beaucoup des « Tontons flingueurs » vient de Simonin. Le « bourre pif » n’est pas une invention d’Audiard comme on a pu le lire, mais c’est un mot d’argot que Simonin avait déjà utilisé dans ses romans. Et l’évocation de « Lulu la nantaise » vient d’un film, « Le Feu aux poudres » (1957), qu’il avait déjà écrit.

Audiard-Simonin est un vrai duo. A un moment donné, ils se sont fachés car Audiard avait tout le succès et Simonin était mis de côté.

 

AUDIARD TONTON

 

Est-ce un film conservateur sur les tensions générationnelles et les tentatives de changement ?

 

 

C’est un effet comique de mettre en opposition les vieux et les jeunes. Michel Audiard l’avait déjà fait dans « Les Vieux de la vieille » (1960) et comme c’est souvent les anciens qui ont les rôles principaux, il y a un parti pris. TRAITE

Avec « Les Tontons flingueurs », en plus d’être des vieux, ce sont des gangsters qui veulent faire la morale aux jeunes. Lorsque Bernard Blier, alcoolisé, propose la traite des blanches alors qu’il est scandalisé quelques instants avant par la jeune fille ivre dans la cuisine, c’est un aspect comique.

On voit déjà  cela dans « Touchez pas au grisbi » (1954). Ce sont des gangsters qui veulent « s’embourgeoiser », être respectés et être respectables.

 

 

Comment a été composée la musique du film ?

 

 

Michel Magne avait repris un thème classique et le décline en twist et en musique religieuse. Georges Lautner est resté au début dubitatif et finalement l’a gardé.

 

 

La police n’est jamais présente dans le film. Est-ce une comédie qui rend hommage au Milieu ?

 

 

C’est surtout une vision fantasmée avec des gangsters qui sont avant tout des gens sympathiques, élégants et drôles. La violence n’est pas non plus brut.

 

 

Les dialogues enrichis par la langue verte restent mémorables. Est-ce un film très parisien ?

 

 

Même s’il s’agit d’argot, les dialogues ne sont pas incompréhensibles et font rire car on les comprend. Même encore aujourd’hui. En réalité, il n’y a pas tant que ça d’argot dans le film.

 

 

La scène de la cuisine débute avec la confrontation entre les frères Volfoni et le clan de M. Fernand pour finalement continuer par une certaine paix des braves. Est-ce une façon pour « Les Tontons flingueurs » de tout dédramatiser ?

 

 

Rien n’est grave. C’est un univers presque cartoonesque. La série noire depuis les années 40 a apporté au cinéma beaucoup de gravité et de violence. « Les Tontons flingueurs » dédramatise et rit de la Série noire.  Il y a déjà de cela avec la série du « Monocle noir » de Georges Lautner.

 CUISINE

 

Le personnage de Théo donne au film un aspect très moderne (même si discret) à la figure de l’homosexuel dans le cinéma français. Qu’a-t-on voulu transmettre avec lui ?

 

 

Oui, il ne représente pas la vision de l’homosexuel que l’on retrouve dans le cinéma  français des années 60. Il y a dans le film « Le rouge est mis » (1957), écrit par Michel Audiard,  un tontons 3 THéojeune ouvertement homosexuel qui frappe à la porte de Jean Gabin. La mère de ce dernier demande « Qui c’est ? » et Gabin répond « c’est une lope ! ».  Ce jeune est vraiment une caricature.

Dans « Les Tontons flingueurs », il n’y a pas de cela. Il y a des références comme le club « Chez tonton » connu pour être un lieu pour homosexuels qui font comprendre que Théo vit avec son jeune complice mais il n’est pas féminisé comme d’autres dans les films de cette époque. Théo est un ancien soldat allemand et reste un personnage sérieux et inquiétant.

 

 

« Les Barbouzes » (1964) n’est pas une suite mais on retrouve une bonne partie de l’équipe des « Tontons ». Pourquoi c’est un film qui n’a pas eu autant de succès ?

 

 

C’est surtout un délire. « Les Barbouzes » est un cartoon assumé et donc moins maîtrisé que « Les tontons flingueurs ». Ça a été la même chose avec « Le Guignolo » (1980) qui reprenait l’équipe de « Flic ou voyou » (1979) – Audiard, Lautner et Belmondo – mais sans se préoccuper d’une histoire trop rigoureuse…

 

 

La mort des derniers acteurs du film (même petits rôles) suscite à chaque fois une certaine émotion. Comment expliquer un tel attachement ?

 

 

C’est un film qui fait « partie de la famille ». Ce sera la même chose un jour pour le Splendid. Patrice Leconte a dit un jour que des films comme « Les Bronzés » sont cultes car on a l’impression qu’il s’agit d’un album de photos de vacances.

Le film « Les Tontons flingueurs » a été cristalisé ainsi.

 

Bernard Blier, Lino Ventura, Sabine Sinjen, Claude Rich, Francis Blanche

 

 

Pour en savoir plus :

Le livre de Philippe Lombard : « L’univers des tontons flingueurs » (2013) Editions First

https://www.amazon.fr/Petit-livre-LUnivers-Tontons-flingueurs/dp/2754056122

 

 

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