Disparus il y a 65 millions d’années, les dinosaures ne finissent pas pourtant de nous passionner au cinéma avec le dernier Jurassic World ou encore dans les musées avec la dernière exposition du Muséum national d’Histoire naturelle « Un T-Rex à Paris ».

Près du squelette de la tyrannosaure femelle Trix, nous sommes allés à la rencontre de Constance Bronnert, Doctorante au Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements. 

 

 

Comment peut-on imaginer un territoire comme la France il y a 65 millions d’années ?

 

 

Le climat était sub-tropical avec une présence importante de la mer dont le niveau était plus haut qu’aujourd’hui. Le pays (et l’Europe) était composé d’un archipel d’îles. Les faunes étaient composées de dinosaures, de tortues et de crocodiles. Tortues et crocodiles survivront à la catastrophe qui tuera la quasi-totalité des dinosaures à l’exception des oiseaux. Par la suite, les mammifères vont se diversifier et occuper les niches écologiques laissées libres par les espèces disparues. Et il y a 55 millions d’années, tous les groupes de mammifères modernes seront présents, c’est-à-dire les ancêtres des mammifères que l’on connaît aujourd’hui. Des animaux proches du tapir, des chevaux ou encore des ruminants, ainsi que les premiers primates vont apparaître. Il y a un réchauffement global sur une période entre le Paléocène et l’Eocène sur toute la planète. Les climats tropicaux vont s’étendre de plus en plus vers les pôles pendant l’Eocène.

 

 

Est-il toujours courant de trouver des fossiles ou cela devient de plus en plus rare ?

 

 

C’est courant mais certainement moins spectaculaire pour le public qu’il y a un siècle, quand on ne voyait pas des dinosaures partout à la télévision. Ce n’est plus la guerre des os entre Marsh et Cope où avec des gros moyens, de nombreux dinosaures ont été découverts. IMG_3054Aujourd’hui, des espèces sont toujours découvertes, mais il faut pouvoir financer et organiser des missions de fouilles. Depuis 150 ans, nous avons trouvé beaucoup de fossiles et nous devons aussi prendre le temps de les étudier.

Dans les niveaux fossilifères, on trouve toujours autant de dinosaures en France ou ailleurs.

Un certain nombre de découvertes se font lors des travaux d’aménagement ou de construction, il est possible d’y découvrir des fossiles. Mais le problème c’est que contrairement à l’archéologie, il n’y a pas de législation concernant les fossiles. Comme pour les roches, toute personne ayant trouvé un fossile sur son terrain en est propriétaire. Il n’y a donc pas d’obligation légale de prévenir les autorités ou les universités.

 

 

Les dinosaures ont-ils tous réellement disparu après la crise de 65 millions d’années ?

 

 

Les dinosaures sont un groupe de reptiles bien défini. Ils incluent les dinosaures que l’on a habituellement à l’esprit (Tyrannosaure, Diplodocus, Tricératops…), ainsi que les oiseaux. Ils sont plus proches des crocodiles que des autres reptiles actuels. Ils ont presque tous disparu. Les seuls qui ont survécu sont les oiseaux. Ils sont apparus au sein du groupe des Théropodes. Pourquoi eux ? Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette crise biologique. Les deux principales sont un volcanisme important et un impact météoritique. Un volcanisme très important a eu lieu en Inde pendant près de 500 000 ans. Les volcans ont rejeté beaucoup de gaz, notamment des gaz à effet de serre qui ont un impact sur le climat. Il y a également la chute d’une météorite qui a provoqué des incendies, des tsunamis et un hiver nucléaire. La roche qui remplissait ce cratère de presque 200 kilomètres de diamètre a été vaporisée et envoyée dans l’atmosphère sous la forme de petites particules, ce qui a formé un grand nuage. Ce nuage était tellement important qu’avec les vents et les courants, il a englobé toute la Terre. Les rayons du soleil ne pouvaient pas passer à travers ce nuage opaque. Il y a donc eu un important manque de lumière et une baisse de la température.

La végétation ne peut pas vivre sans lumière. Moins de lumière entraine une disparition d’un grand nombre de plantes, induisant une rupture dans la chaine alimentaire. Moins de plantes, c’est moins de nourriture pour les herbivores. Si les herbivores meurent en masse, les carnivores n’auront plus de quoi s’alimenter. A cette période, presque tous les animaux de plus de 25 kg n’ont pas survécu car ils avaient besoin d’apports énergétiques trop importants par rapport aux ressources disponibles. Certains petits oiseaux avaient sans doute un régime alimentaire différent à base d’insectes et de graines. Certains mammifères ont également réussi à survivre, mais de tous les dinosaures, seuls les petits oiseaux ont survécu.

 

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Quelles sont les dernières découvertes paléontologiques ?

 

 

Il y a des découvertes tous les jours, mais elles sont généralement peu médiatisées. Parmi les plus populaires ces dernières années, il y a eu la découverte de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis), une des premières espèces de la lignée humaine après la divergence avec la lignée du chimpanzé, et qui serait vieux de 7 millions d’années, bien plus ancien de Lucy.

Plus récemment, on peut mentionner la découverte de Patagotitan en 2014 et sa publication en 2017. Il s’agit d’un dinosaure sauropode d’Argentine de 37 m de long, un des plus grands animaux terrestre ayant existé.

 

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Les singes ont-ils eux aussi évolué ?

 

 

Oui, comme tous les animaux, et plus largement tous les organismes vivants. Nous avons un ancêtre commun avec les grands singes. Le plus éloigné de nous est l’orang-outan et le plus proche est le chimpanzé.

Il existe et a existé une grande diversité de formes et de modes de vie chez les singes, et les primates en général. Il s’agit d’un groupe très intéressant. Il y a quelques millions d’années, il y a eu des singes gigantesques en Asie avec une taille de près de 3 m, apparentés à l’orang-outan. Leur découverte aurait pu donner naissance à la légende du yéti. Cependant, ce n’est qu’une théorie.

Il existe des singes arboricoles, des singes terrestres, qui marchent sur 4 pattes, parfois sur 2, qui sautent… Différentes communautés, différents usages d’outils… Tout ceci résulte de l’évolution des différentes espèces à partir d’un ancêtre commun il y a plusieurs dizaines de millions d’années.

 

 

Le Tyrannosaurus rex est l’un des dinosaures qui fascine le plus. L’animal est-il moins redoutable que le fantasme lui-même ?

 

 

 
C’était le prédateur dominant de sa région. Cependant, quand on pense à lui,  on a tendance à occulter tous les autres dinosaures Théropodes (carnivores) qui ont vécu du IMG_6137Trias au Crétacé.

On retient beaucoup le tyrannosaure car on le connaît depuis longtemps et que des squelettes presque complets ont été trouvés, ce qui est assez rare.

La femelle Trix actuellement exposée au Museum national d’Histoire naturelle est complet à 65% ce qui fait d’elle un des tyrannosaures les plus complets au monde. Les chercheurs ont déterminé son âge (une trentaine d’années) et ont trouvé plusieurs pathologies (des traces de morsures, des infections qui ont rongé l’os, des côtés cassées qui ont cicatrisé).

 

 

Est-ce émouvant d’étudier des os d’animaux ayant vécu il y a des millions d’années ?

 

 

Un peu, parfois plus que d’autres. Je travaille sur des animaux proches des chevaux qui vivaient il y a 55 millions avec une taille proche du chat. Dans l’Oise, les fossiles trouvés portent la marque d’une digestion par un crocodile. Un très grand nombre de ces animaux était victime de prédateurs. Les fossiles nous permettent de retracer des morceaux de vie, avec parfois une fin tragique.

 

 

Avez-vous été influencé par le cinéma et la littérature dans votre souhait de poursuivre des études de paléontologie ?

 

 

Lorsque j’étais enfant, j’étais fan de dinosaures. J’avais dû recevoir un livre sur les dinosaures et j’ai été fascinée. Devenir paléontologue est devenu mon objectif à 6 ans ! Mais il est certain que Jurassic Park ne m’a pas refroidi. J’ai suivi un master de paléontologie et j’ai fait une thèse. Beaucoup de personnes me disaient qu’il n’y avait pas de débouchés et ne comprenaient pas très bien les raisons de telles études. C’est un métier passion, et il faut leur donner raison, il y a très peu de débouchés. Mais je n’ai jamais été découragée et je suis toujours ravie. Je finis ma thèse prochainement, et c’est une aventure que je souhaite à tous les passionnés.

 

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L’achat de squelettes de dinosaures est devenu une mode chez les plus fortunés. Est-ce selon vous une perte pour la recherche scientifique ?

 

 

Il y a un vrai commerce des fossiles, qui peut être très lucratif.

Il est intéressant de savoir qui l’achète et que va devenir ce dinosaure. Un fossile magnifique a été vendu à la Tour Eiffel il y a quelques mois pour plusieurs millions d’euros, et serait une nouvelle espèce. Si un particulier achète une nouvelle espèce potentielle (potentielle tant qu’elle n’a pas été étudiée et publiée dans une revue scieIMG_6122ntifique), nous ne pourrons pas l’étudier. C’est une perte scientifique. Il arrive aussi que des particuliers fassent des donations, de leur vivant ou à leur mort, ce qui peut permettre de voir entrer dans les musées des spécimens scientifiquement intéressants.

Aujourd’hui, les revues demandent que l’holotype (l’animal de référence) soit déposé dans un musée afin que tout le monde puisse l’étudier et de le comparer. C’est une demande logique, car comment comparer et identifier les futurs fossiles si l’animal de référence n’est pas accessible ?

Certaines personnes qui exploitent les carrières autorisent les chercheurs à étudier les fossiles découverts sur leurs terrains. C’est le cas à Angeac-Charente où une forte concentration d’animaux du Crétacé (des ornithomimosaures, des sauropodes, des crocodiles, des tortues, des stégosaures…) a été retrouvée. Les exploitants avaient contacté le musée d’Angoulême en pensant que les os trouvés appartenaient à un éléphant antique, ce qui n’est pas rare dans la région. Depuis l’été 2010, le site est fouillé un mois par an par une équipe composées de chercheur.euse.s, technicien.ne.s et étudiant.e.s du Museum national d’Histoire naturelle, du musée d’Angoulême et d’ailleurs. Une cinquantaine d’ornithomimosaures, des dinosaures autruches, ont été découverts. Les squelettes ne sont pas articulés (les os sont tous séparés), mais ils ont pu permettre d’identifier un troupeau d’animaux jeunes, de différents âges. Du point de vue de la taphonomie (étude des processus qui interviennent depuis la mort d’un organisme jusqu’à la sa découverte en tant que fossile), on peut observer des traces intéressantes comme du piétinement ou des attaques de carnivores.

 

 

 

Que pensez-vous du clonage des mammouths ?

 

 

Il est compliqué de retrouver de l’ADN. L’ADN se dégrade rapidement, et pour retrouver un ADN exploitable, il faut que le mammouth soit resté congelé depuis sa mort. Même dans le meilleur des cas il n’est pas certain de pouvoir collecter de l’ADN.

La question est : que va-t-on faire avec ce mammouth ? Les mammouths que l’on essaye de cloner vivaient dans un environnement particulier, appelé “la steppe à mammouths“. Cet environnement n’existe plus aujourd’hui, cet animal n’a plus un environnement naturel IMG_6118adapté. Il serait de toute façon utopique de vouloir remettre des mammouths dans la nature, l’équilibre des écosystèmes actuels en pâtirait, et le coût financier serait astronomique. Il y a aujourd’hui de nombreuses problématiques concernant la protection des espèces actuelles, dont une bonne partie est liée à l’activité humaine. C’est un enjeu sans doute plus important que d’essayer de recréer des espèces éteintes. En revanche, recréer un mammouth représente sans doute une avancée génétique (et c’est certainement cela le but premier de l’opération), mais ce n’est pas là mon domaine de compétence.

Les derniers mammouths ont disparu il y a un peu plus de 4 000 ans. Il n’est pas nécessaire de les ramener à la vie. Cela peut paraître triste mais les espèces apparaissent, elles évoluent parfois pour donner d’autres espèces, mais l’entité que l’on appelle “espèce“ en biologie (= groupe d’individus interféconds qui présentent des caractères communs) finit toujours par disparaître. C’est l’histoire de la vie.

 

Pour en savoir plus :

Le site du Muséum National d’Histoire Naturelle : https://www.mnhn.fr/

 

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