L’histoire de la 2ème Division Blindée restera dans les mémoires comme une des plus belles de l’histoire de France. Menée par le Général Leclerc, elle connut les terribles batailles d’Afrique du Nord, de Normandie, de Paris jusqu’à Berchtesgaden, résidence secondaire d’Hitler. Raymonde Jeanmougin, 97 ans, dernière « rochambelle » (ambulancière) a soigné et sauvé les blessés français, américains et même les allemands ennemis sans ségrégation. Entretien réalisé fin 2016, nous souhaitons rendre hommage à Mme. Jeanmougin décédé hier.

 

 

 

Pour quelles raisons, une jeune femme et son mari décident de quitter son pays pour rejoindre des troupes militaires basées sur un autre continent ?

 

 

 

Je vivais à Troyes. Mon mari était militaire et avait été affecté à Istres en 1942. J’ai tout fait pour le rejoindre. C’était logique pour moi. J’ai donc demandé un laisser passer pour la France Libre. Au bout de quelques mois, je l’ai reçu et j’ai rejoint mon mari. Il a ensuite été appelé à partir à Oujda. Alors j’ai demandé l’autorisation et je l’ai suivi.

 

 

 

Dans quel état était l’armée française à votre arrivée en Afrique du Nord ? Comment s’est organisée votre formation de rochambelle ?

 

 

 

Il y avait 2 mouvements De Gaulle et Giraud. Mon mari est parti en Angleterre et je me suis engagée dans l’Armée française.

 

Je suis devenue aspirante et j’ai obtenu mon permis de conduire avec une vieille voiture militaire. J’ai été affectée au 27ème train d’Alger. Le colonel nous a remis nos affectations. Je devais rejoindre l’Italie mais je souhaitais pas y aller. Mon colonel a été furieux car en tant que militaire, je devais obéir. J’étais timide mais j’insistais. Le colonel a déchiré mon affectation et m’a sortie. Puis le colonel plus tard m’a remis une nouvelle affectation. J’ai lu que j’étais affectée à Rabat (Maroc). On m’a alors dit que les bataillons de renforts étaient là-bas et que la seule mission était de rester cantonner. Cette idée ne me 30709109_10156390645687431_2374645006380592233_nplaisait pas. Je voulais activement participer à la Libération. J’ai mis 4-5 jours pour arriver à Rabat. On m’a dit qu’il y avait le 13ème bataillon médical de « l’armée Leclerc » comme on dis

ait à l’époque. Au bout de 6-7 km à pied, j’ai rejoint l’hippodrome où il y avait les troupes. J’ai à ce moment-là rencontré des ambulancières. Les soldats leur donnaient le surnom de « rochambelles » en rapport à leur unité, Rochambeau compagnon de guerre du Marquis de La Fayette.

 

 

 

Dans la 2ème DB, vous étiez 38 ambulancières et quelques infirmières pour 18 000 hommes. Comment étaient les relations entre vous et tous ces hommes soldats ?

 

 

 

Le Général Leclerc ne voulait pas de femmes dans sa division, que des véhicules. Mme florence_conrad_fontainebleau_30_juin_1945Florence Conrad, Américaine francophile et responsable rochambelle, avait acheté les 19 ambulances qui venaient des Etats-Unis et elle a donc menacé que s’il n’y avait pas de femmes, il n’y aurait pas de véhicules. Leclerc a cédé mais s’était dit qu’à son arrivée en France, il allait nous remplacer par des hommes. Nous sommes allés en Algérie pour attendre l’embarquement pour l’Angleterre.

En mer, nous avions très souvent des exercices anti-sous marins. Nous nous sommes même approchés des côtes américaines afin d’éviter toute menace. Un jour, je me suis réveillée. Je n’entendais plus les moteurs du bateau. Je suis alors sur le pont et là j’ai vu une grande horloge. Nous étions arrivées à Liverpool dans la nuit.

 

 

Comment était perçu le Général Leclerc par les troupes ?

 

 

C’était quelqu’un d’extraordinaire. A Rabat, il voulait recevoir les ambulancières 2 par 2. Il était encore jeune. Pendant la campagne, la 2ème DB avait 3 groupements. On le rencontrait partout avec sa jeep. En Normandie, on suivait une colonne. Il fallait ramener un blessé allemand. Leclerc n’était pas content de nous voir si proche de la ligne de front.

A Paris, il nous a réunies à Bagatelle dans le bois de Boulogne. Leclerc était satisfait de nos actions en Normandie donc il avait décidé de nous garder pour le reste de la guerre.

 

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Vous étiez souvent proche de la ligne de front, comment était l’atmosphère ? Quel était le rythme pour soigner les soldats ?

 

 

 

Notre rôle était de ramasser les blessés donc nous étions très souvent en avant du front. Nous les amenions dans l’antenne avancé de la division puis ils étaient envoyés dans les hôpitaux américains. C’était le triage.

Nous mettions des pansements compressifs, des garrots; parfois nous utilisions les cravates des soldats quand nous en manquions. Ma co-équipière faisait des piqûres de morphine. Certains sont morts dans l’ambulance.

 

 

 

Vous avez côtoyé la mort. Y’a-t-il une adaptation ou cela reste toujours une épreuve ?

 

 

On ne pensait pas à ce qui pouvait nous arriver. Nous étions dans une certaine ambiance sans réfléchir aux risques. Je n’ai jamais pensé à la mort. Notre idée principale était de ramasser les blessés et de les sauver.

 

 

 

Etait-ce une surprise pour la population française de voir arriver des troupes françaises plutôt que des Anglo-saxons ?

 

 

En Normandie, je me souviens d’une ferme. Nous voulions du lait. Les fermiers étaient surpris de voir des Français. Ils avaient vu des Allemands, des Américains. Cela ne le faisait plus rien. On avançait, on reculait. Les gens étaient tout de même ravis de parler Français à leurs libérateurs.

 

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Pouvez-vous nous raconter votre arrivée ? L’atmosphère qu’il y avait à Paris le 25 août 1944 ?

 

 

Autour de Paris, les combats de Paris avaient été durs. Je suis arrivée par la porte de Gentilly. Je n’étais jamais venue à Paris. Ma co-équipière parisienne me parlait souvent de Paris. Les Parisiens nous embrassaient, surtout les hommes. J’en avais mal aux joues.

Je suis allée au Jardin des Plantes. Les Allemands voulaient bombarder Paris et se sont trompés et ont attaqué la foire aux vins qui a flambé. Nous sommes allés à Bagatelle.

 

 

Qu’avez-vous appris de votre engagement au sein de la 2ème Division Blindée ?

 

 

Dans la vie civile, quand il y avait un pépin, on repensait à ce qu’on avait fait dans la 2ème DB. Les épreuves paraissaient alors moindre. La guerre nous avait endurcis. Alors que nous étions stationnés dans la région de Chateauroux, nous nous étions plaints d’une femme qui criait de douleur car elle s’était cassée la jambe. Son problème nous paraissait risible face à nos soldats qui avaient risqué leur vie. Nous nous étions en fait déshumanisées car nous avions vues tellement de morts. Le retour à la vie civile nous a permit de nous réhumaniser.

 

 

Pouvez-vous nous raconter votre quotidien et votre engagement au sein de l’association ?

 

 

Après guerre, je suis allée en Tunisie, au Sénégal, en Algérie puis en France. Je me suis inscrite à l’association. J’ai travaillé chez un ancien de la 2ème DB et sa femme avait été rochambelle.

J’ai été à la retraite et le mois d’après, on m’a demandé de m’occuper de la maison des anciens de la 2ème DB. J’ai dit oui en 1985 et c’est une très belle fonction de s’occuper de nos anciens combattants qui sont malheureusement de moins en moins nombreux.

Je vis à Saint Gratien alors je prends le RER jusqu’à Pereire puis Montparnasse. Quand il y a des grèves, je prends les bus même si c’est parfois un vrai parcours du combattant.

 

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Pour en savoir plus sur la Maison des anciens de la 2ème Division Blindée :

http://www.fondation-leclerc.com/62/fondation-leclerc/maison-anciens-2eme-db.htm

 

 

 

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