Sommes-nous seuls dans l’univers ? L’humanité a-t-elle une perception limitée du monde qui l’entoure et même au sens spirituel ? Serions-nous les seules créatures que Dieu a façonné ? Que dit l’Eglise à ce sujet ? Si nous découvrons un jour que d’autres espèces intelligentes peuplent la galaxie, la foi religieuse peut-elle en être ébranlée ?

Toutes ces questions se sont posées depuis des galaxies. L’autre, cet être mystérieux, est bien souvent l’objet de curiosité mais aussi de peur.

Jacques Arnould, historien des sciences et théologien, a réfléchi aux multiples questions dans son livre « Turbulences dans l’Univers- Dieu, les extraterrestres et nous » paru en 2017. Il nous a reçu au CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) 

 

 

 

Que nous disent les textes sacrés notamment la Génèse concernant la vie ? Celle-ci est-elle dans un environnement fermé (le jardin d’Eden) ou y’a-t-il déjà l’idée d’un univers plus large ?

 

 

Vous posez deux questions différentes : l’une concerne la vie et les êtres vivants, l’autre la possibilité de formes de vie ailleurs que dans le monde qui nous est directement accessible, qu’il s’agisse du jardin d’Eden ou de l’univers tel que nous ne cessons de le découvrir.

Si vous le permettez, je commencerai par la seconde question. Ni la Bible, ni les traductions théologiques qui s’y réfèrent ne permettent de donner une réponse précise. Et pour cause : ce n’est pas leur propos. Du moins dans notre manière de l’aborder, je veux dire scientifique. Or le propos de la Bible comme celui de la théologie n’est pas de l’ordre de la connaissance, arche_myledu savoir, de ce que nous appelons aujourd’hui les sciences. Leur propos est avant tout théologique : il s’agit de parler de Dieu et du lien qu’il entretient avec nous, ses créatures, et l’ensemble de la création qui nous entoure. Ce lien, c’est précisément ce que recouvre le terme de création, comme l’a souligné Thomas d’Aquin. Un lien qui prend la forme d’une alliance entre Dieu et chacune de ses créatures, humaines ou non. Il faut relire le récit du Déluge et celui de l’alliance qui a immédiatement suivi la sortie de l’arche : Dieu établit une alliance non seulement avec Noé mais aussi avec toutes les créatures, de manière à empêcher tout retour d’une telle catastrophe.

Alors nous pouvons essayer de répondre à la première question. Celle de la vie. D’abord, disons-nous bien qu’il n’existe pas de définition unique de la vie. Interrogez des biologistes, des philosophes : chacun aura sa propre définition, même s’ils parleront tous d’autonomie, de reproduction, d’évolution. La Bible ne fait pas mieux, si je puis dire ; ou plutôt, elle invite le croyant à revenir sans cesse à la source de la vie, cette œuvre créatrice de Dieu dont je viens de parler. Dieu souffle sur la matière inanimée pour lui donner la vie. Comme sur les ossements desséchés de la vision d’Ezéchiel qui, grâce à l’esprit, au souffle de Dieu, reviennent à la vie. Dieu est la Vie par excellence.

Dès lors, car je soupçonne que vous pensez déjà à la possibilité d’êtres vivants ailleurs que sur Terre, cette possibilité n’est a priori pas impossible, car Dieu, dit encore la Bible, aime la vie, aime donner la vie ; alors, pourquoi pas sur l’une des si nombreuses planètes qui peuplent l’univers (ce dont nous sommes désormais certains depuis la découverte de planètes autour d’autres étoiles que notre Soleil) ?

Mais je sais bien que l’idée d’existences extraterrestres n’a pas toujours plus aux croyants, que certains y ont vu une menace pour leur foi au Dieu créateur de la Bible. Rien d’étrange, car cette question ou plutôt les réponses à cette question ont été associées, depuis plus de deux millénaires, à des conceptions du monde qui ont pu apparaître comme contradictoires avec la foi chrétienne.

Thomas d’Aquin, encore lui, refuse l’idée d’une pluralité de mondes habités car les philosophes grecs qui l’ont défendue ont expliqué que ces mondes avaient émergé par hasard ; pas question, pour le théologien chrétien, de laisser place au hasard au sein de la Création divine. Résultat : pas question non plus d’admettre l’existence de plusieurs mondes, l’existence d’extraterrestres… Mais d’autres chrétiens ont parfaitement admis cette idée ; je pense, deux siècles après Thomas, au cardinal Nicolas de Cues qui décrivait les habitants de la Lune et du Soleil : apparemment, ils ne faisaient ombrage ni à Dieu, ni aux Terriens…

 

 

A-t-on imaginé au fil des siècles une rencontre du 3ème type ?

 

 

Votre question me permet de faire une petite remarque de langage. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le terme d’extraterrestre est équivalent à celui de surnaturel ; ce qui permet de déclarer que la Vierge Marie possède quelque chose d’extraterrestre. Évidemment, nous ne pourrions plus le dire aujourd’hui… Pourtant, si nous pensons que certains de nos contemporains estiment que les anges qui peuplent les écrits religieux sont en fait des extraterrestres, au sens moderne du terme, et que le char de feu sur lequel le prophète Élie est emmené au ciel était une soucoupe volante, nous pouvons évidemment parler de rencontre du 3e type…

En fait, jusqu’au début du XVIIe siècle, nos prédécesseurs n’ont jamais imaginé pouvoir aller cyrano-henriotdans ce que nous nommons désormais l’espace. Ils devaient attendre que les êtres célestes, angéliques ou divins, leur rendent visite. Avec la révolution astronomique, celle de Copernic et de Galilée, les voyages humains dans l’espace sont devenus possibles, du moins pour l’imagination humaine. Alors, non seulement l’univers s’est peuplé d’habitants, mais les humains ont pu les rencontrer.

Je peux apporter une précision supplémentaire. Nous avons tous entendu parler de telles rencontres… mais, pour ce qui concerne la connaissance que nous en avons au CNES, l’agence spatiale française, et les témoignages que nous recueillons depuis plus de quarante ans, nous n’avons quasiment pas de récits de rencontre du 3e type. D’ailleurs, ce que nous avons coutume d’appeler les OVNI et que nous, au CNES, préférons qualifier de « Phénomènes Aérospatiaux Non Identifiés » peuvent être en fait identifiés dans de très nombreux cas ; désormais, grâce à nos connaissances, aux méthodes d’enquête que nous avons développées, à la plus grande attention aussi des témoins, le nombre de phénomènes qui restent effectivement non identifiés est devenu très faible. Mais il n’est pas nul. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve. En ce domaine, il faut raison garder, ne pas prendre des vessies pour des lanternes ni des lanternes thaïlandaises pour des soucoupes volantes ; mais, pour autant, ne pas être bornés !

 

 

La preuve d’un univers immensément développé voire infini est-t-elle en contradiction avec la vision d’un Dieu proche des êtres humains ?

 

 

Celui qui a osé briser l’idée d’une création aux dimensions réduites pour ne pas concurrencer la puissance infinie de Dieu est Giordano Bruno ; c’est l’une des raisons pour lesquelles il a (malheureusement) été brûlé à Rome en 1600. Or, pour Bruno, l’argument doit être inversé : un Dieu infiniment puissant doit créer un monde infini… Les savants qui succèdent à Bruno n’ont pas hésité à qualifier l’univers d’infini et, ainsi, de donner à la réalité des propriétés jusqu’alors réservées à Dieu. Ce faisant, ils ont obligé les autorités ecclésiastiques à ne plus confondre théologie et science, à ne plus intervenir dans le domaine scientifique. Ce que Galilée avait clairement demandé, avant d’être condamné par l’Inquisition.

Reste votre mention de la proximité de Dieu. Il y a là un enjeu important pour la foi chrétienne qui a un souci particulier pour la relation entre Dieu et ses créatures humaines : que faire de ce souci lorsque l’univers prend des dimensions exorbitantes, dans l’espace et dans le temps ? Eh bien, il faut tout tenir ! Nous devons penser à nous (ce qui relève de l’anthropocentrisme), sans oublier que nous existons dans un univers immense et que, peut-être, y existent d’autres créatures de Dieu, aussi intelligentes que nous, peut-être davantage. Pourquoi serions-nous jaloux ?

 

 

Que pensent les croyants d’une possible vie extraterrestre ?

 

 

Je sais que cette dernière position est problématique pour des chrétiens ; je sais aussi que des scientifiques voient dans les dimensions de l’univers et la possibilité de vies 1a5816c01281f8a6db9f4e074920cf71extraterrestres le moyen d’en finir sinon avec Dieu, du moins avec les religions. Je ne partage aucune de ces deux positions.

J’aime rappeler la prudence théologique d’Étienne Tempier : en 1277, cet évêque de Paris a refusé l’affirmation que nous sommes seuls dans le monde, parce que, explique-t-il, il ne nous revient pas de décider à la place de Dieu de ce que ce dernier peut ou ne peut pas faire ! C’est là une position aussi prudente que juste !

J’ajouterai que, au XXe siècle, Pierre Teilhard de Chardin a invité les chrétiens à retrouver une idée théologique élaborée aux premiers temps du christianisme, mais trop oublié depuis : celle du Christ cosmique. Les premiers théologiens chrétiens avaient déjà expliqué que l’action du Christ ne se limite à la seule sphère terrestre, mais qu’elle touche le cosmos entier, passé compris… De quoi nous remettre à notre place, sans pour autant nous diminuer.

 

 

La fascination pour l’extraterrestre (un autre « autre ») est-elle par le fait qu’on ne puisse apporter de réponse (pour l’instant!) à son existence ?

 

 

J’aime dire que la question d’autrui poursuit l’humanité comme son ombre. Au fur et à mesure que leur horizon a reculé, franchissant les montagnes, puis les mers et finissant par tourner en rond une fois la Terre explorée, les humains ont reporté cette question sur d’hypothétiques extraterrestres. Au fond, rien de bien étonnant.

Autrui nous fascine : nous voulons l’approcher, mais nous en avons également peur… Jamais sa quête ne s’achèvera… Et, pour moi, Dieu demeure le Tout-Autre par excellence !

 

 

L’imaginaire a-t-il permis d’aller plus loin dans la découverte des mystères terrestres mais aussi de possibles autres mondes ?

 

 

L’imaginaire est le cadeau le plus empoisonné que la nature a fait à l’être humain. Cette capacité à nous penser ailleurs dans l’espace et dans le temps, à penser une chose qui n’existe pas ici et maintenant, est absolument extraordinaire. De là, notre désir d’explorer la réalité, de repousser l’horizon dont je viens de parler. De là aussi, les peurs qui nous habitent et, surtout, celle de notre propre mort !

Sans imagination, il n’y aurait pas de recherche scientifique, pas d’exploration de l’espace, pas de création artistique, pas de science-fiction non plus. Et, je vais vous surprendre, pas de théologie. Je me souviens avoir choqué un président du comité consultatif national d’éthique en lui demandant quelle place son comité accordée à l’imagination…

Il faut cultiver l’imagination pour préparer le futur, mais, en même temps, toujours raison garder. Nous sommes des humains !

 

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Pour en savoir plus :

http://www.albin-michel.fr/ouvrages/turbulences-dans-lunivers-9782226326188

Jacques Arnould
Expert Éthique au CNES
Email: jacques.arnould@hotmail.com
Web site: http://jacques-arnould.com

 

 

 

 

 

 

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