« On atteint plus vite le ciel en partant d’une chaumière que d’un palais ». Ainsi s’exprimait Saint François d’Assise, fondateur italien de l’Ordre des frères mineurs au XIIIème siècle. A l’imitation du Christ, les Franciscains ont en effet toujours choisi la pauvreté et la simplicité évangélique pour mieux diffuser la parole catholique.
Près de 800 ans après la création de l’Ordre, nous avons souhaité rencontrer Frère Jean-Baptiste Auberger, Gardien de la fraternité du Couvent Saint-François des Franciscains de Paris mais aussi aumônier à l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière.
– « Si tu veux être parfait: Va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres » (Matthieu 19:21). Cette parole du Christ résume-t-elle la pensée des Franciscains ?
C’est du moins la parole du Christ que saint François redisait aux frères qui souhaitaient entrer dans sa fraternité.
– Saint François d’Assise apporte au XIIIème siècle une réelle nouveauté dans la pensée chrétienne. Qu’est-ce que les Franciscains aujourd’hui apportent à la société?
Ce que François apporte de neuf dans la vie chrétienne de son époque, c’est le sens de la Fraternité. Une Fraternité universelle avec tout le créé. Non seulement avec les hommes de son temps quelque soit la classe à laquelle il appartient, mais aussi avec les animaux, les plantes et tout ce que Dieu a créé. On dit qu’il en faisait une échelle pour aller à Dieu, il y voyait un miroir de sa beauté, de sa bonté, de sa grandeur qui le portait à louer Dieu. Par ailleurs, il n’a pas combattu les musulmans, mais il est allé à la rencontre du sultan en homme de paix. C’était un souci constant chez lui que de réconcilier les opposants. Ainsi à la fin de sa vie, il a ajouté une strophe au cantique des créatures qu’il a fait chanter par ses frères pour inviter le podestat (le maire) et l’évêque à se réconcilier, car ils s’étaient mutuellement excommuniés. Aussi, devant la grandeur de la création de Dieu et de sa bonté, ils se sont mutuellement pardonnés. De même il chantera notre sœur la mort, car nul ne peut y échapper comme un passage vers la Vie avec Dieu.
– La règle de vie de François est un retour aux sources aux Evangiles. Est-ce aussi un éloge à la modestie et à la vie en communauté?
Fils d’un riche marchand, François veut tout d’abord devenir quelqu’un de grand. Aussi choisit-il le métier des armes et s’enrôle dans différentes armées pour devenir noble. Puis, il a un double songe: François se rend compte que pour devenir quelqu’un de grand, il ne faut pas servir le serviteur mais servir celui qui est au-dessus de tout c’est-à-dire Dieu.
Son désir de perception et de grandeur l’amène à être attentif aux appels du Seigneur et surtout à relativiser les lois humaines. Il ne souhaitait pas fonder un ordre mais sa transformation intérieure va lui apporter une interrogation. Plus on est dépouillé, plus on est libéré intérieurement et donc rayonnant. Voilà le message de François. D’où le nom de frère mineur (mineur : en latin minor est un comparatif qui signifie plus petit que). Il s’agissait donc de se considérer comme toujours plus petit que celui qui est en face de so.
La volonté profonde de François c’était de vivre dans cette sobriété. Si je rencontre un pauvre, il faut être plus petit que lui. Si j’ai un manteau qui m’a été offert, il ne m’appartient pas donc je peux le donner au pauvre, car Dieu l’aime comme moi.
Ainsi, François considérait l’autre comme respectable.
Sa relation avec la Création est du même ordre. Son discours n’était pas de préserver la nature pour nos descendants. L’optique de François était de voir toute chose comme création de Dieu et par conséquent digne d’être aimée et respectée.
– Comment devient-on Franciscain?
Les raisons sont diverses et variées. Personnellement, j’étais séminariste lorsque j’ai étudié la Règle de Saint François. Son discours était simple et diffusait la notion de liberté totale.
Certains frères, par tradition familiale, sont devenus aumôniers militaires ou de police. Tout est possible mais ce qui nous définit c’est de nous mettre en relation avec tous les hommes et les femmes car le royaume de Dieu c’est lorsque tous seront frères et sœurs.
– Comment voyez-vous le pontificat du Pape François?
Bien qu’il soit Jésuite, je le vois avec beaucoup de sympathie (rires). Ce qui me semble intéressant c’est qu’il reconnaît l’importance des pauvres et des marginaux, l’importance de la nature et des équilibres. Tout homme doit avoir le droit de vivre convenablement et de se loger.
Le Pape souhaite une Eglise proche des gens (« un hôpital de campagne ») car nous sommes tous des blessés de la vie. Au lieu de jeter l’opprobre sur les divorcés ou les homosexuels, essayons de les comprendre d’abord. Après tout, avoir connu l’échec de son mariage ne veut pas dire que nous sommes de mauvais chrétiens. Etre homosexuel n’est pas un choix de perversion mais une nature. Il faut comprendre la complexité de ce choix. C’est une autre vision de la vie affective.
Il est plus important d’être évangélique que partisan des normes de décisions romaines.
– En quoi consistent vos activités à Paris?
Le couvent jouit d’une grande chapelle. Nous accueillons les paroissiens. Puis, chaque frère a ses occupations. Je suis moi-même aumônier à mi-temps à l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière, d’autres ont été aumôniers de prison. Certains frères travaillent leur thèse.
Nous sommes Franciscains à Paris depuis 1217.
– Alors que récemment encore des Chrétiens ont été victimes d’attaques terroristes en Egypte, que peut-on donner comme message à ceux qui choisissent la religion comme prétexte de violence et de pouvoir?
La religion est pour eux une couverture cachant leur volonté de puissance et de revanche. Ce sont les généraux de Saddam Hussein qui ont crée Daesh. Ils ont recruté de jeunes musulmans sans travail et sans ressources.
Les terroristes n’ont pas étudié le Coran. Les musulmans cultivés ont des relations équilibrées avec les Chrétiens. J’ai rencontré une jeune musulmane suivant le Ramadan mais elle estime qu’on ne peut imposer aux autres sa propre religion.
Nous pouvons dire la même chose avec les Chrétiens. Certes, il y a eu au fil des siècles les guerres de religion, mais aujourd’hui nous ne cautionnerions pas de tels agissements.
– Que signifie la crèche? La corde comme ceinture pour les Franciscains? Les stigmates?
La corde distingue la famille franciscaine. Il est plus modeste de porter une corde qu’une ceinture en cuir. La bure franciscaine était le vêtement des pauvres paysans de l’époque. Elle a été redessinée au fil des siècles et distingue les différentes branches de la famille franciscaine : conventuels, franciscains et capucins.
Comme Saint Bernard, Saint François avait une dévotion pour l’humanité du Christ. Il y a un prolongement de Dieu en Jésus et sa venue parmi nous.
La crèche rappelle l’incarnation.
Les premiers franciscains ont eu cette dévotion au même titre que la Passion.
La paraliturgie est une façon simple pour les pauvres de montrer leur dévotion.
Saint François est le premier saint connu à avoir reçu les stigmates. C’est une réponse à son désir de connaître ce qu’à connu Jésus au moment de la crucifixion dans son corps mais aussi son âme et dans son cœur c’est-à-dire l’amour dont Jésus était habité dans tout son être.
Dieu va alors accorder à François cette marque dans son corps comme une authentification de la validité de sa vie à la suite de Jésus.
– Quelle est la relation entre les Franciscains et les autres religions? La croisade selon François n’est pas avant tout le souhait de rencontrer l’étranger?
J’ai eu la chance un jour d’aller à Bangalore (Inde) et de visiter un ashram. Un des moines nous a fait part de son émerveillement pour Saint François, à cause de son amour pour toute chose créée.
Mais avant toute chose, les Franciscains sont des catholiques. Saint François insistait sur le fait que les frères devaient suivre catholiquement la règle.
Les relations entre l’Ordre et les hauts dignitaires de l’Eglise sont restées importantes et dès le début.
Saint François a toujours été habité par un message de paix. Lorsqu’il part à la 5ème croisade, c’est en tant qu’homme de paix. C’est pour cette raison que Jean-Paul II est venu à Assise pour prier pour la paix.
Un texte traite de la demande de Saint François d’aller rencontrer le sultan. Il ne reçoit pas l’autorisation mais il n’a pas non plus l’interdiction de la part du chef de la croisade.
Saint François rencontre alors le sultan et demande à dialoguer avec les chefs religieux musulmans ce qu’on lui refuse. Le sultan lui propose des cadeaux qu’il refuse et ne demande que deux choses: Un bon repas et la possibilité de retourner aux armées chrétiennes.
Ce texte externe aux Franciscains (il émane d’un écuyer chrétien racontant la croisade et témoin de l’évènement) décrit selon moi des faits qui se sont réellement produits. Je défends cette thèse.
– Peut-on dire que la pensée de François a pu influencer le communisme selon vous?
Ce qui a influencé le communisme c’est la pensée des premiers chrétiens qui prône l’égalité des hommes et la mise en commun des biens pour qu’il ne manque rien à personne.
– Vous êtes également aumônier à l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière, vous avez une relation hebdomadaire avec la souffrance et la mort, quelle est votre fonction?
Je dois avoir un regard fraternel avec les patients. J’ai la chance d’aller de chambre en chambre et de converser avec des personnes de toute religion ou même non croyants.
Nous ne sommes pas à l’hôpital pour endoctriner les gens mais pour leur apporter un réconfort.
Ceux qui sont proches de la mort ont des angoisses. Le fait de leur proposer le sacrement des malades peut être un soutien pour eux-mêmes et rassurer leurs proches.
Les mourants et les souffrants s’interrogent sur le sens même de leur vie.
A l’annonce d’un cancer, certains patients dégringolent. Et j’ai vu le retour de l’envie de se battre après le sacrement des malades, car il s’agit d’une cérémonie où nous invitons les patients et leur famille à continuer le combat. On ne peut pas penser qu’il y a une décision irrémédiable. Il y a parfois des guérisons inattendues.
J’ai connu un motard qui avait percuté une voiture que conduisaient ses parents. Sa femme et ses filles ont dû prendre la décision de continuer les soins ou non alors qu’il était dans un état végétatif.
Une femme a eu une rupture d’anévrisme. Les médecins ont demandé à son mari s’il était possible de prélever les organes. Il était très remonté contre Dieu. On m’a donc appelé. Pendant une heure, j’ai écouté sa colère. J’ai ensuite demandé s’il autorisait le prélèvement des organes. L’époux a répondu que son esprit voulait dire à 90% oui mais qu’à 10% il disait non, car il craignait que ses enfants ne puissent pas ainsi faire le deuil rapidement.
Je lui ai alors proposé pour prendre sa décision d’interroger dans son coeur son épouse. Ainsi, il ne serait plus seul pour décider ce qu’il aurait à faire.
Le site des Franciscains de Paris: http://www.franciscains-paris.org/