Bêtes de somme, un mal de chien, prendre le taureau par les cornes,… La relation entre l’Homme et l’animal n’est décidément pas de tout repos et cela depuis des siècles.

La dernière marche de l’association L214 à Paris pour réclamer la fin des abattoirs est un des nombreux exemples du débat du bien-être animal. Afin de mieux nous éclairer sur cette question de l’histoire des animaux et par conséquent leur lien avec les hommes, nous nous sommes entretenus avec Eric Baratay, Maître de conférence à l’Université Jean-Moulin de Lyon, Membre de l’Institut Universitaire de France et spécialiste de l’histoire de l’animal

 

– L’animal est-il plus victime que partenaire tout au long de l’Histoire des hommes?

 

L’un et l’autre ! Mais il faut se rappeler que le statut de victime est une idée récente, née en Occident. Auparavant, et dans la plupart des civilisations humaines, les visions philosophiques et religieuses justifiaient le « don » des animaux aux hommes, ce qui permettait d’évacuer la victimisation des premiers, ceux-là étant faits pour les hommes. Tout au plus condamnait-on l’excès humain, la brutalité « sans raison », c’est-à-dire sans utilité humaine. Mais celle-ci étant difficile à définir, nombre de traitements étaient justifiés, même pour le simple plaisir. Tout cela est encore accepté et justifié dans une grande partie de l’humanité. Cela a passé souvent par une dévalorisation des animaux, comme l’entreprend très tôt la philosophie grecque, et par une séparation entre le monde divin et le monde animal, comme le firent peu à peu les trois monothéismes sous l’impulsion de cette philosophie.

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– La question du bien-être animal est un sujet récent ou déjà débattue au fil des siècles?

 

En France, le terme de bien-être apparaît au début du XIXe siècle sous la plume de quelques-uns qui assistent à l’adaptation forcée des animaux aux révolutions industrielles et agricoles. Puis il est oublié jusqu’à son retour à partir des années 1970-1980. Il prend depuis une ampleur sans précédent et devient de nos jours un véritable motif de débat social et politique, par exemple avec les candidats du parti animaliste aux élections législatives de juin 2017.

Cependant, la question du traitement des animaux, sous-jacente à celle de bien-être puisqu’elle concerne les animaux domestiqués, aux mains des hommes, est posée par quelques-uns dès l’Antiquité : des philosophes, comme Pythagore, ou des religieux puisque l’Ancien Testament contient des versets demandant un bon traitement des bêtes : alimentation fournie, repos suffisant, sollicitude quotidienne… Toutefois, en restant très minoritaire et en étant peu appliqué. Au Moyen Âge chrétien, l’attention aux animaux est une affaire de saints, comme François d’Assise, sachant dépasser l’humanité. On ne pense pas pouvoir exiger cela du commun des fidèles.

 

– Le Christianisme a-t-il maudit totalement la divinité et la place de l’animal auprès de Dieu?

 

Contrairement à ce que l’on croit, le christianisme n’a jamais apporté de réponse unanime et constante à propos des animaux. Les premiers livres de l’Ancien Testament contiennent des versets exprimant l’idée d’une forte proximité avec l’homme, comme créatures de Dieu. Peu à peu, dans les derniers livres de l’Ancien Testament, dans le Nouveau Testament puis parmi les Pères de l’Église, la philosophie grecque va imposer la conviction d’une grande différence de nature et de destin : matérielle, instinctive, mortelle pour les animaux, immatérielle (l’âme humaine), raisonnable et immortelle pour l’homme.

Seuls quelques-uns en Occident vont garder le message d’une communauté des créatures et d’une bienveillance de l’homme pour les animaux, ces autres créatures de Dieu. Il s’agit de francois poulesaints, comme François d’Assise qui est l’un des rares à appliquer un véritable christianisme biblique en tenant compte des versets exigeant la modération envers les animaux et de cette parole du Christ, rapportée par les apôtres, demandant d’aller prêcher à toutes les créatures.

D’exception, plus ou moins bien tolérée selon les époques, le franciscanisme est devenu un modèle possible pour les fidèles à partir du XIXe siècle. Récemment, dans son encyclique Loué sois-tu, le pape François en a fait une obligation pour tous, ce qui constitue un renversement considérable afin que l’Église participe au tournant écologiste à venir.


– La Première Guerre mondiale est aussi un conflit où des millions d’animaux sont présents (chevaux, pigeons, chiens, vermines,…). Y’a-t-il des différences de traitement selon les armées?

 

Oui et elles peuvent être considérables. Par exemple entre Britanniques et Français à propos des chevaux l’été 1914. Les cavaliers français, entraînés dans les offensives, les retraites, la course à la mer, descendent peu de leur monture, enlèvent peu les selles qui frottent durement les poils, les peaux, les chairs, provoquent des pourrissements aux odeurs épouvantables qui effraient les cavaliers britanniques. Eux doivent régulièrement descendre de cheval, enlever les selles, marcher à côté, et sont accompagnés par des vétérinaires et des maîtres des chevaux qui les encadrent, leur apprennent à tenir compte des besoins des montures, à faire attention. Il en est de même lors des transports maritimes sur l’océan Atlantique, pour amener au front des chevaux américains. Alors que les Britanniques aménagent les navires pour limiter les affres de la traversée, les Français entassent les bêtes dans les cales. La différence de mortalité est énorme.

 

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– Comment peut-on expliquer l’émotion à la mort du chien du RAID Diesel lors de l’assaut à Saint Denis le 18 novembre 2015?

 

Cela entre dans le phénomène récent de victimisation. Le sacrifice d’animaux pour l’homme est de plus en plus mis en question. Cela a commencé pour les chevaux et les animaux de compagnie à partir du XIXe siècle, pour les animaux sauvages depuis la décennie 1950 et maintenant pour les animaux de ferme comme en témoignent les indignations à chaque dévoilement des pratiques en abattoir ou en élevage par l’association L214.

Le sacrifice de ce chien a suscité l’émotion parce qu’il s’agissait d’un animal dévoué à l’homme, participant activement au « bien » humain et social. Pour les uns, il a semblé être envoyé à une mort certaine, sacrifié « un peu légèrement » par les forces de police qui aurait pu employer d’autres moyens, par exemple un robot à la place. Ce qui a choqué, c’est finalement qu’on n’ait pas pris autant de précautions pour ce chien que pour les hommes eux-mêmes. Pour d’autres, c’est le devoir jusqu’à la mort qui a suscité l’émotion. Un sentiment développé depuis le XIXe siècle pour les animaux héros.

 

–  Reconnaître que les animaux sont des « êtres vivants doués de sensibilité » et non des « biens meublés » permettra-t-il, selon vous, d’accéder à une histoire plus apaisée?

 

C’est une contribution parmi d’autres, qui ne changera pas les choses d’un coup, mais qui participe à, encourage, fortifie l’évolution occidentale actuelle. L’attention aux animaux est une invention récente (XIXe siècle) des démocraties occidentales, à commencer par la Britannique. Elle participe à ce processus de civilisation décrit par des sociologues, notamment Norbert Élias. Elle contribuera à un apaisement de l’histoire si la tendance se poursuit et se renforce, ce qui n’est pas automatique, obligatoire. Car il s’agit d’une entreprise de longue haleine, avec ses succès et ses revers. Ce qui demande une grande modestie de la part des ceux qui l’entreprennent, sans jamais perdre espoir. « Qui veut déplacer une montagne commence par déplacer de petites pierres » ! (Confucius)

 

Le site de M. Baratay: http://sites.google.com/site/ericbaratay

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