Dans la nuit du 2 novembre 1975, il y a 50 ans, le corps de Pier Paolo Pasolini (1922-1975) est retrouvé sans vie sur la plage du quartier romain Ostie. Frappé à coups de bâton puis écrasé par sa propre Alfa Romeo, le réalisateur italien a connu souffrances et agonie.

Tout au long de sa vie, Pasolini a su construire une réflexion très large et de véritables mythes autour de ses œuvres et de sa propre personne. Par ses films mais aussi ses poèmes, il a notamment abordé le thème de la sainteté.

Autrice du livre « Pasolini ou la tentation de la sainteté » (Sambuc Editions 2025), Karine Josse enquête et met en lumière le style, l’imaginaire et les sensibilités du réalisateur poète.

Entretien sur ce Saint Pasolini.

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Quel est votre rapport avec Pier Paolo Pasolini ?

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J’ai entendu parler pour la première fois de Pasolini à l’âge de 15 ans. Je m’intéressais déjà beaucoup au cinéma mais c’est en feuilletant quelques livres que je découvre que ce réalisateur-poète italien avait été sauvagement assassiné. Cela a attisé ma curiosité et j’ai acheté cet ouvrage qui mêlait histoire et psychanalyse.

J’ai ensuite vu « Le Décaméron » (1971) au cinéma Le Champo à Paris. Depuis, je me suis passionnée pour les films et la vie de Pasolini.  

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Qui était Pasolini le poète ?

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Contrairement à d’autres poètes du XXème siècle, je pense qu’au début Pasolini n’a pas été influencé par le cinéma. Jeune, c’était un passionné de littérature et de langues – il a écrit des poèmes en dialecte. En revanche, lorsque Pasolini vient au cinéma, c’est en tant que poète. Il s’agit d’un artiste qui reste le même. Pasolini aborde des thématiques similaires.
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© Domenico Notarangelo – Associazione Pier Paolo Pasolini Matera

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Marx et Freud sont-ils des saints pasoliniens ?

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Peut-être pas mais ils s’en approchent. Pasolini parle de son admiration pour le prêtre colombien Camilo Torres Restrepo devenu révolutionnaire. Pour lui, de tels choix sont de la poésie en acte. Les saints selon Pasolini sont des êtres entiers. Le martyre est pour lui une finalité logique pour ceux qui consacrent leur vie entière à une cause.

Pasolini s’intéresse entre autres à Saint Paul car il s’agit d’une personnalité ambiguë. Avant la conversion, l’apôtre est persécuteur des Chrétiens. Pasolini est lui-même dissocié : communiste donc traitre à son milieu bourgeois, homosexuel dans l’Italie très catholique. Selon lui, le saint est celui qui est hors de l’institution. Par conséquent, Pasolini aime les saints qu’ils soient laïcs ou mystiques mais et reste très critique envers l’Eglise.

Le réalisateur-poète aime avant tout la rupture.  
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Le monde de Pasolini est-il sans Dieu et donc sans scrupules ?

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Son monde reste tout de même plein d’éthique. « Salò ou les 120 Journées de Sodome » (1975) est une œuvre à part. La cruauté, l’injustice et la violence à outrance dominent. Le film reflète l’état d’esprit de Pasolini. « Salò ou les 120 Journées de Sodome » est également sujet à beaucoup de fantasmes puisque le réalisateur est décédé peu avant sa sortie au cinéma. Giuseppe Zigaina, peintre et ami de Pasolini, a même affirmé qu’il aurait orchestré son propre assassinat.

Même si je n’adhère pas à de telles thèses, il y a en tout cas de l’ambiguïté de la part de Pasolini. Il y a une obsession du martyre et de la mort violente. Pasolini était une personnalité complexe et torturée. Cela suscite encore beaucoup de fantasmes.
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« L’Evangile selon Saint Matthieu » (1964) reste à la fois une référence cinématographique mais aussi religieuse. Pasolini était pourtant athée. Est-ce par conséquent l’œuvre la plus ambiguë ?
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« L’Evangile selon Saint Matthieu » reste un hommage à la figure du Christ. Son athéisme n’est pas un souci. Pasolini admire le parcours de Jésus et par conséquent dénonce les actions de l’Eglise qui se seraient éloignées du message initial.

Pour le film, Pasolini a travaillé avec l’association Pro Civitate Christiana afin d’être le plus fidèle possible à l’Evangile tout en revendiquant son athéisme. Sa vision du Christ serait donc culturelle et non cultuelle. Par contre, dans l’Italie profondément chrétienne, il est difficile de distinguer les deux.

« L’Evangile selon Matthieu » est aussi une œuvre que beaucoup de personnes peuvent s’approprier. Un croyant peut tout à fait citer comme référence religieuse le film.

Pier Paolo Pasolini avait pour projet de réaliser un film sur la vie de Saint Paul ou de Saint François d’Assise. Certes, la culture chrétienne le fascine mais il rend hommage aux hommes justes. Pasolini voulait également tourner des films sur les philosophes Socrate et Antonio Gramsci. C’est un athée qui considère la vie comme sacrée.
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La bourgeoisie est-elle le mal absolu pour Pasolini ?

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Issu d’une famille de propriétaires terriens, il devient une célébrité qui n’assumait pas de gagner de l’argent. Au fil de sa vie, la définition de la sainteté selon Pasolini évolue. Dans son roman posthume « Pétrole », il traite de sainteté ascético-pragmatique. Dans un monde capitaliste (néo-fasciste pour Pasolini) sans foi ni loi, Il est plus difficile de devenir saint. Il faut s’adapter afin d’atteindre l’exemplarité.

Pasolini prétend avoir trahi la bourgeoisie, sa propre classe, en devenant communiste. Posséder des biens vous éloigne de la grâce.
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Les films reflètent-ils avant tout les malaises et tourments de son réalisateur ? (« Œdipe », « Porcherie », « Salô »)
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Pasolini s’identifie totalement à l’Œdipe freudien. Certaines scènes du film (1967) sont tournées à Bologne, sa ville d’enfance. Œdipe acquiert un savoir si douloureux qu’il ne peut l’accepter. Opère alors ce que Freud appelle la sublimation, par laquelle Œdipe (Pasolini) devient artiste. Pasolini parle de lui-même.

« Porcherie » (1969) est une dénonciation de la société de son époque. Pasolini semble s’identifier au personnage de Julian Klotz, ce bourgeois mi-révolté, mi-passif. Dans « Porcherie », contrairement à ses autres œuvres, notons que la figure de la mère disparaît. Le désespoir règne en maître. « Porcherie » annonce d’une certaine manière « Salo ».

Pasolini souhaitait réaliser avec son dernier film une œuvre inconsommable.    
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La mort violente de Pasolini fait-il de lui un des derniers martyrs (laïcs) ?

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Elle est sulfureuse au même titre que celle de James Dean ou de Kurt Cobain. 50 ans après, cet assassinat reste, encore de nos jours, difficile à expliquer.
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Qu’est-ce qui vous surprend encore chez Pasolini ?

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J’ai débuté l’étude « Pasolini ou la tentation de la sainteté » comme travail universitaire. Cette réflexion m’accompagne depuis 35 ans. J’ai décidé de reprendre mon étude pour le 50ème anniversaire de la mort de Pasolini.

Dans ses derniers écrits polémiques, j’ai été surprise par sa dimension écologique. Pasolini est perçu comme un artiste en avance sur son temps. Je suis d’accord avec cet aspect. Pasolini a abordé la question des besoins artificiels, du contrôle des naissances d’un point de vue écologique ou de la domination de la nourriture industrielle. La nature est pour lui un bien qu’il faut sauvegarder. Pasolini a dit qu’il était communiste par instinct de conservation. Il était conscient que la société de consommation allait tôt ou tard détruire l’environnement. Notre époque n’est plus celle de l’abondance.

© Didier Paquignon
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